"Foster child" ("John-John") : le petit frère

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Cherry Pie Picache et Kier Alonzo | |
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Le film démarre sur les toits aménagés comme une pièce supplémentaire en plein air, il faut descendre des escaliers tordus pour accéder au logement proprement dit, une pièce principale commune aménagée le plus coquettement possible, des rideaux en coton fleuris, des photos découpées dans des magazines aux murs, les objets rangés à leur place, la toilette se faisant dans la ruelle en bas dans une cuvette, le temps que Thelma aille chercher une serviette pour sécher John John et il est allé se salir en jouant au ballon. Acheter une couche (pas deux, encore moins un paquet entier) est un problème financier, Thelma envoie un de ses deux fils, Yuri, un ado, en acheter une au marché pour le jour J.
L’arrivée de l’assistante sociale Mlle Bianca est filmée comme la descente de police dans « Tirador », la caméra nous intègre, nous absorbe, pour descendre avec elle cette ruelle en pente vertigineuse, escarpée, défoncée, grise et sale, avec son caniveau tranchant comme une lame, ses trente-six sièges posés sans la rue, ses mères de familles trop jeunes avec leurs bébés dans les bras, son échoppe de maïs grillé d’où la tenancière chasse un homme ivre, plaqué par son épouse, à coup de grand plumeau en feuille de palmier. Mlle Bianca, voix de crécelle et petite veste cintrée qui dénote avec la mise des autres femmes du quartier, gronde, donne des conseils, péremptoire, et fait la morale sous couvert de s’extasier devant la mine des enfants, à une presque fillettte « encore enceinte? mais tu vas former une équipe de foot! », à une autre, elle intime de cesser de jouer aux cartes et changer son bébé, etc…
L’assistante sociale finira par emmener Thelma, Yori et John John au rendez-vous avec le couple américain, non sans passer auparavant par l’orphelinat pour présenter à Thelma ses futurs pensionnaires… L’arrivée dans un hôtel de luxe en sortant du bidonville est éloquente : bascule sur le hall luxueux, les ascenseurs, le liftier en tunique de soie mauve, la suite immense des futurs parents adoptifs avec leur condescendance naturelle, hôtes pétris d’une excessive bonne volonté, qui ont font trop et pas assez. Le couple blond et blanc, l’épouse livide vient de se fouler la cheville, a déjà avec eux quantité d’enfants asiatiques déjà adoptés, occidentalisés, gâtés, débordant de biens de consommation, en grappe devant la télé avec des jeux vidéo, la scène choc étant l’incursion de Thelma dans la salle de bains en marbre de deux pièces avec des paniers d’invités débordant de shampoings, de gels douche, de bonnets de bain, un téléphone mural laqué ivoire, des kilos de linge immaculé… La malheureuse Thelma (dont l’assistante sociale ne prenait pas la peine au salon de traduire ses phrases) est trempée par une douche multi-jets qu’elle ne sait pas faire fonctionner.
Le récit se passe dans une seule journée où la tension va monter du dernier lever en famille où le père grogne « on avait dit jeudi! » mais justement c’est déjà jeudi le jour du départ de John John… jusqu’à la séparation définitive dévastatrice pour Thelma, la mère adoptive de fait pendant trois années. Dans l’intervalle, on est happé dans ce quartier labyrinthique formé de baraques et de campements à ciel ouvert empilés les uns sur les autres, juxtaposés, collés, comme un chateau de carte bricolé et menaçant de s’effondrer à tout instant, surpleuplé de familles et d’enfants qui jouent partout, grouillant de dix fois plus de résidents que la place existante (avec nos normes occidentales) pour y vivre. Et pourtant, une ambiance pleine de vie s’en dégage, l’énergie des femmes, la débrouillardise, la solidarité, la gentillesse des habitants entre eux, la générosité de ceux qui n’ont rien vous cloue la conscience de la réalité du monde sur votre fauteuil de cinéma à se souvenir des conflits dans un immeuble parisien (où au mieux on s’ignore) pour une poubelle mal rangée…
En échappant miraculeusement à tout misérabilisme, c’est avec beaucoup de tendresse que le réalisateur filme cette population tonique et digne, ne se laissant jamais abattre par une adversité et une précarité qui ne les révolte pas mais avec lesquelles ils n’ont pas d’autre choix que de composer. Pas le temps de s’apitoyer sur son sort, la priorité, c’est de vivre, semble nous dire Brillante MA. Mendosa!
Notre note
(4 / 5)
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