« Gun crazy » : plus choc que « Bonnie ans Clyde », 20 ans avant…

DVD Joseph H. Lewis, 1950

Pitch

Bart est depuis toujours fasciné par les armes à feu quand, de retour dans sa ville natale après 4 ans de maison de correction, il rencontre Laurie, vedette d'un numéro de tir dans une fête foraine, c'est le coup de foudre.

Notes

Quelle giffle que ce film! Dans la luxueuse collection « Art of noir » éditée ponctuellement par Wild side vidéo, après « La nuit du chasseur » l’année dernière, on livre pour cette fin d’année une perle méconnue du film noir, « Gun crazy ». Dans le coffret DVD un livre de plus de 200 pages écrit spécialement pour l’occasion (principe de cette collection),

ici un passionnant historique du film par Eddie Muller himself, le king du film noir. Un film produit par trois frères (King), anciens bootleggers en quête de respectabilité, à partir d’un livre de MacKinlay Kantor, écrivain à la mode dans les années 50. Mais le scénario qu’il tire de son propre livre n’est pas bon, on appelle à la rescousse un grand scénariste blacklisté, Dalton Trumbo, qui reprend le scénario sous un faux nom, il va reserrer le récit, y intégrer du mouvement, de la vitesse. Et le film est sous tension en permanence, qu’il s’agisse de violence ou de sentiments contradictoires.On découvre Bart Tare enfant qui a la passion des armes mais il tue un poussin dans le jardin et, ensuite, il pleure… De ce jour, le petit monstre veut bien s’entraîner au tir mais il ne veut plus tuer, lors d’une partie de chasse avec des copains Dave et Clyde, il refuse de viser un vieux puma. C’est ce qu’ils témoigneront à la barre car le film démarre par une scène forte, très « film noir » : la rue, la pénombre, la pluie, un gamin fasciné par la vitrine d’un armurier, qui, soudain, la brise pour voler un pistolet mais, alors, surgit l’image immédiate de la répression sous la figure menaçante, dilatée, d’un policier.

Après quatre ans de maison de correction et quelques années dans l’armée contre entraîneur de tir, Bart revient en ville. Avec ses copains retrouvés, Dave et Clyde, dont l’un est devenu chef de la police, Bart s’en va assister au cabaret à un tour de tir : la scène est très sensuelle, Laurie Starr tire avec jubilation, manipulant les armes d’une manière quasiment sexuelle, Bart, fasciné, accepte de tirer en invité sur la scène, on entend tous ces coups de feu, cette tension libidinale qui monte en quasi-temps réel. Le film est très moderne, la photo, les gros plans, les enchaînements, le son réel, la vitesse, l’énergie, tout est incroyablement novateur pour l’époque, d’ailleurs, on dit que Godard s’en inspirera pour son « A Bout de souffle », et on comprend pourquoi.

Laura fait engager Bart dans le cirque où elle fait son numéro, puis, le couple, viré, se marie à la hâte. Bart veut une vie heureuse, Laurie veut de l’argent « par tous les moyens », les coups, dit-elle, elle en assez pris toute sa vie, à présent, c’est à elle de « cogner ». Bart, fasciné par Laurie, la suit et les braquages s’enchaînent. Quand ils ont dépensé tout l’argent volé, Laurie supplie Bart de faire « un dernier coup », il accepte avec cet argument « tu es la seule chose réelle, Laurie, le reste est un cauchemar », ce « dernier coup » se passera dans des abattoirs… où les deux complices se sont fait engager comme employés…

Et aussi

On a beaucoup argué que Bart est un faible envoûté par Laurie, et le casting, pour faire passer ce message au spectateur, avait renoncé à un acteur super-viril, genre Mitchum, pour un acteur plus doux et vulnérable, John Dall (un des tueurs de "La Corde" de Hitchcock), un acteur gay dans la vie, ce qu'on ne pouvait pas afficher à l'époque. Le résultat est qu'aujourd'hui, où on ne confond plus homosexualité et virilité, cela donne un personnage de Bart au charme puissant, ambigu, qui n'a plus grand chose d'une simple victime de Laurie. D'autant que l'actrice qui joue Laurie, Peggy Cummins, fut engagée parce-que les producteurs ne pouvaient pas mettre la main sur Veronica Lake, avec cependant un handicap, ayant débuté le tournage d'"Ambre", on l'avait remplacée par Linda Darnell, la trouvant trop jeune, trop fragile. Or, quand on voit Peggy Cummins dans "Gun crazy", c'est de la dynamite! La voix de Peggy Cummins est en soi une arme, un peu nasillarde, très sensuelle, un brin enfantine, quand je pense que des gens vont voir le film en VF, pas ça! Son regard halluciné quand elle s'apprête à tuer, elle est ailleurs, dans une jouissance macabre... Il a peur de tuer, elle tue parce-qu'elle a peur, c'est un peu ainsi qu'on peut résumer l'ambivalence des personnages, ce couple fusionnel que vont former Laurie et Bart. Elle le prévient dès le départ qu'elle "ne vaut rien", une vie sans argent, sans action ne l'intéresse pas, et puis, elle a des comptes à régler avec la vie, lui, aime tirer parce-que c'est le seul moment où "il se sent exister" mais il se méfie de ses pulsions meurtrières. Bart et Laurie, les deux faces du miroir, ce complètent, dès le premier soir, ils se sont reconnus, ayant avec le tir une relation passionnelle qu'ils vont partager. "Bonnie and Clyde" aurait emprunté beaucoup à "Gun crazy"? C'est vraissemblable, les fuites, la traque, la désespérance, le final sans issue, et même le béret de Bonnie que portait déjà Laurie Starr... Pourtant, ici, on est dans le film noir, malgré la modernité du ton, cette rupture de style (voire de contenu) qui en fait un film précurseur de la Nouvelle vague ou même du Nouvel Hollywood, Laurie est ce personnage de femme fatale qui va faire (au premier degré) le malheur de Bart... Les scènes sentimentales existent, quelques moments de respiration éphémères (quand ils dansent, par exemple) ; mais le plus belle scène est celle où Laurie ayant décidé qu'ils doivent se séparer après le casse, chacun dans une voiture différente, afin de ne plus se revoir pendant trois mois (et, là, elle obéit au registre femme fatale à la Ava Gardner dans "Les Tueurs", s'apprêtant, en plus, à doubler son amant et garder l'argent), Bart fait demi-tour, le spectateur s'attend alors à ce qu'il se fasse rabrouer... Mais, au contraire, Laurie se jette dans ses bras...  Car on est ici dans l'amour fou partagé, ce qui est novateur aussi pour un film noir. Bon! Je ne vais pas raconter tout le film, d'ailleurs, c'est impossible, j'ai lu les 220 pages du livre d'Eddie Muller avant de voir le film et, dès la première image, sidérée par cette bombe qu'est ce "Gun crazy" (du début à la fin), je ne me suis rendu compte que je n'avais encore rien imaginé à la hauteur du film... A propos, qu'a donc tourné Joseph H. Lewis, réalisateur de ce chef d'oeuvre? On connaît de lui surtout "The Big combo" (1955).
[caption id="" align="aligncenter" width="400"] photos Wild side vidéo[/caption]
PS. les "ancêtres" de "Bonnie and Clyde" (1967) d'Arthur Penn : "You Only Live Once" (1937, "J'ai le droit de vivre") de Fritz Lang "They live by night" (1948, "Les Amants de la nuit") de Nicholas Ray "Gun crazy" (1950, "Le Démon des armes" ) de Joseph H. Lewis le célèbre contemporain de "Bonnie and Clyde" : "Badlands" (1973, "Ballade sauvage") de Terence Mallick

Diffusion

Coffret DVD + Blu-ray, éditions Wild side vidéo, sortie 4 décembre 2013
Livre de 220 pages d’Eddie Muller

BONUS
« Peggy Cummins à bout portant » : entretien mené par Eddie Muller en 2013 lors de la présentation du film au « Festival Noir City » de San Francisco
entretien avec Joseph H. Lewis
analyse d’une séquence par Joseph H. Lewis
« Russ Tamblyn, enfant de la balle » (l’acteur qui joue Bart enfant)

Notre note

5 out of 5 stars (5 / 5)

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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