
« Les Neiges du Kilimandjaro » : retourner le film de la fin des utopies

Pitch
Au chômage pour cause de licenciement économique, Michel vit pourtant heureux avec Marie-Claire, son épouse depuis 30 ans, leurs deux enfants, leurs petit-enfants. Quand une agression va les faire basculer de leurs certitudes...
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photo Diaphana
La première scène montre Michel (JP Darroussin), responsable syndical, assisté de Raoul (Gérard Meylan), son collègue et beau-frère, qui tire au sort 20 noms dans un chapeau : la liste des ouvriers qui vont être licensiés afin d’empêcher la fermeture de l’usine. Michel tire son nom, Raoul l’engueule, il n’était pas obligé de faire partie du tirage au sort pour cause de syndicat mais Michel y tenait, il ne semble pas très affecté par cette pré-retraite forcée, parti de l’usine en héros au sens qu’il a terminé sa vie professionnelle en accord avec son engagement politique, ses idées d’égalité. Pourtant, Christophe (Grégoire Leprince-Ringuet), le dernier licencié tiré au sort, un des derniers embauchés aussi, le vit différemment, à un point de rage et désespoir que ni Michel ni Raoul ne peuvent l’imaginer.
Le film a pris comme point de départ « Les Pauvres gens », un poème de Victor Hugo, qui est plutôt le point d’arrivée du récit, une manière pour le réalisateur de refuser ses désillusions, au cinéma, du moins, c’est possible. Durant une partie de belote entre Michel, son épouse Marie-Claire, sa soeur et son mari Raoul, deux types cagoulés les agressent, les attachent à leurs chaises, les dépouillent de leur argent, de leurs cartes de crédits. Or, Michel et Marie-Claire (Ariane Ascaride) s’étaient vu offrir pour leur 30 ans de mariage et la retraite du premier un cadeau royal : un safari en Tanzanie au pied du Kilimandjaro et une grosse somme d’argent, fruit de la collecte des amis, des collègues, de la famille. Qui connaissait l’existence de cet argent? Ensuite, les emmerdements s’enchaînent, l’opposition à la banque pour les cartes de crédits volées n’a pas fonctionné assez tôt, le découvert en banque ne couvre pas les vols, etc… Après l’agression, Michel est sonné, beaucoup plus abattu que par son chômage forcé, surtout quand il découvre le coupable qui le traite de petit bourgeois propriétaire de sa maison, sa voiture, un crédit à la banque pas trop lourd, prenant l’apéro sur sa pergola. Ce pour quoi des hommes comme Michel et Raoul on lutté dès leur adolescence et des années de labeur durant : l’égalité, l’accession à la propriété, l’ascenseur social, la fin de la précarité.

photo Diaphana

photo Diaphana
Heureusement, RG a l’émotion intense et intelligente, les passages d’amour et d’amitié sont magnifiques, JP Darroussin, le magicien, est au sommet de son art, Gérard Meylan semble son frère jumeau. Ariane Ascaride et Marilyne Canto, jouant les deux soeurs, campent des quinquas méridionnales toujours sexy comme RG les a observées dans son enfance, ces femmes féminines, coquettes et méritantes, qui aiment danser et s’habiller de petits gilets moulants, de talons hauts, que le ménage, le repassage, la vie de famille, n’accable pas, comme MC qui a renoncé à ses études d’infirmière pour élever ses enfants… Dans la nouvelle génération d’acteurs, RG a choisi parmi les meilleurs : Anaïs Demoustiers, Grégoire Leprince-Ringuet (déjà employé dans son « Armée du crime »). Le jeune homme qui quittait l’Estaque pour Paris,
pour un toujours probable, dans « Denier été » et Rouge midi » (1981, 1983), est de retour pour raconter une réussite sociale individuelle gangrénée par l’échec militant cuisant de toute une vie d »engagement politique, intellectualisé, théorisé, plus tard à Paris, loin de chez soi… Peut-on jamais revenir vraiment chez soi autrement que dans la nostalgie quand on on en est parti?
Notre note
(5 / 5)
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