"Dans Paris" : Selon Doinel / Avant-Première Cannes 2006

Christophe Honoré, 2006

Cest fou le nombre de film qui font référence au cinéma de Truffaut et dEustache, ce ne sont plus des références, ce sont des scènes entières recopiées et greffées dans un film. Ainsi, depuis quelques temps, on ressasse la scène où Claude Jade et JP Léaud lisent couchés dans « Domicile conjugal ». Ici, on suit la filiation de Truffaut à Eustache, dAntoine Doinel à Alexandre de «La Maman et la putain», le film commence avec une scène à trois dans un lit trop étroit dune chambre modeste, plus loin, on cite explicitement « Mes Petites amoureuses » de Jean Eustache.

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Tout de suite, un pesant aparté du narrateur face caméra, Jonathan (Louis Garrel) va nous raconter lhistoire de son frère Paul (Romain Duris) ou comment par amour, on peut en arriver à se jeter dun pont dans un accès de romantisme.

Paul est parti vivre avec Ana et son fils en province, leurs relations sont passionnées et conflictuelles par essence, en deux mots, prise de tête. La grande trouvaille revendiquée du film, cest davoir donné à Romain Duris le rôle du frère taciturne, introverti et à Louis Garrel celui du frère solaire, dilettante. Ana est demblée exaspérante avec une drôle de manière de hurler son texte, la voix placée comme au théâtre pour atteindre le dernier rang. Paul/Romain Duris, vilaine barbiche et cheveux coupés à la serpe, la mine renfrognée et fermée, grimaçante, ressemble davantage à Landru quà lidée quon se fait dun jeune homme amoureux, fut-il en prise avec des tourments intérieurs.

On est content de quitter le couple Paul et Ana et larrivée dans lhistoire de Guy Marchand, le père, seul acteur à jouer juste, donne un peu dair. Paul sest réfugié chez son père et son frère à Paris pour ruminer son chagrin tandis que Jonathan poursuit une trajectoire à la Antoine Doinel dans « Baisers volés », cest dautant plus frappant que Louis Garrel pastiche totalement Léaud, le génie en moins, avec un physique jumeau et la même coupe de cheveux que son modèle dans « LAmour en fuite ». Cerise sur le gâteau, on a convoqué Marie-France Pisier, égérie truffaldienne par excellence, dans le rôle de la mère, une prestation peu valorisante pour une actrice que jadore mais qui, mal à laise, semble avoir conscience de son rôle de faire-valoir et se parodie elle-même avec sa voix inimitable. Pour varier les plaisirs tout en restant immergé dans le patrimoine cinématographique, vers la fin du film, on fait appel à Jacques Demy avec un duo chantant

On se demande si pour reproduire cette fameuse distanciation du jeu des acteurs de la Nouvelle Vague, tout en tentant de rajeunir lensemble, on nen est pas arrivé à ce que tous, sauf Guy Marchand, jouent plus ou moins faux pour une bonne moitié de leurs scènes. Romain Duris, à des années lumières de son talent dans « De Battre mon cur sest arrêté » et « Déjà mort », nest absolument pas convaincant, Louis Garrel a quelques fulgurances de ce quil pourrait donner en étant bien dirigé.

La facture du film est académique, on démarre avec un plan de Paris la nuit quon retrouve à lidentique à la fin du film, lambiance se veut ultra-intimiste et bavarde avec un décor tristounet minimaliste à la manière du cinéma dEustache, qui, lui, navait pas le choix, faute de moyens.

Malgré tout, on sent bien que cest un film quil faudrait aimer pour être dans le coup, dans le sens de lindentification des trentenaires aux protagonistes du même âge sur lécran, un film plein de bonnes intentions et dempathie pour ses spectateurs qui aura sans doute les suffrages d’un public ciblé. Le réalisateur a voulu faire une sorte de «Poupées russes en plus littéraire, suite de «LAuberge espagnole », le grand succès commercial de Cédric Klapisch dont cétait le plus mauvais film

Christophe Honoré, réalisateur qui bénéficie dune réelle cote damour en ce moment, écrivain et journaliste, passé à la réalisation en 2002, a obtenu un franc succès critique avec «17 fois Cécile Cassard» et «Ma mère». Javais ce soir le projet de regarder ce dernier film quon repassait sur le satellite pour y chercher quelques clés du succès de Christophe Honoré mais je me suis endormie, un acte manqué Désolée

Mini-Pitch : deux frères, obnubilés par leur mal de vivre et leurs tourments amoureux truffaldiens, se retrouvent autour de leur père et du souvenir de leur soeur disparue.

Film présenté à Cannes 2006 dans la section « La Quinzaine des réalisateurs ». Sortie en salles le 4 Octobre 2006.

PS DU 3 OCTOBRE 2006 (le billet de ma critique du film a été rédigé en mai) . En raison des commentaires choqués parce que je n’aime pas ce film, je me suis penchée, dubitative, sur les critiques de presse élogieuses qui affluent : couverture des « Cahiers du cinéma » où Christophe Honoré fut lui-même critique, interviews (très intéressantes) du réalisateur et de Romain Duris dans les « Inrocks », etc…

Extraits des « Inrocks » du mardi 3 octobre : « … Christophe Honoré lui aussi rentre à la maison. Cette maison, c’est celle du cinéma français, ses figures de pères, ses images-fantômes. Paris devient un réservoir à réminiscences fétichistes : les Invalides de Truffaut, le Saint-Germain d’Eustache, la silhouette de Jean-Pierre Léaud… »

Extrait de l’interview de Christophe Honoré dans les « Inrocks » : « cette référence à la Nouvelle vague fait partie du projet initial…J’ai voulu filmer Paris comme un musée de cinéma… Mon film n’est pas un hommage à la Nouvelle Vague. le projet était plutôt d’adapter ses désirs à ses moyens : c’est ça l’enseignement de la Nouvelle vague… »

Autre extrait de l’interview sur les acteurs : « …la plupart des acteurs s’interdisent tout lyrisme, se retrouvent dans un jeu à l’américaine, très intériorisé, qui n’existe plus d’ailleurs aux Etats-Unis… Tous les grands acteurs masculins ont compris que être acteur, c’est être actrice… (il cite Johnny Depp)… Les acteurs français luttent contre ça. Quand ils vieillissent, ils deviennent de vrais cons car ils n’assument pas ce côté-là… Je pense que Romain (Duris) a ça… (la part de féminin, comme Depp)… »

 

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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