« DANS PARIS » : Selon Doinel/Avant-Première Cannes 2006

18613071

Louis Garrel et Romain Duris

C’est fou le nombre de film qui font référence au cinéma de Truffaut et d’Eustache, ce ne sont plus des références, ce sont des scènes entières recopiées et greffées dans un film. Ainsi, depuis quelques temps, on ressasse la scène où Claude Jade et JP Léaud lisent couchés dans « Domicile conjugal ». Ici, on suit la filiation de Truffaut à Eustache, d’Antoine Doinel à Alexandre de «La Maman et la putain», le film commence avec une scène à trois dans un lit trop étroit d’une chambre modeste, plus loin, on cite explicitement « Mes Petites amoureuses » de Jean Eustache.

Tout de suite, un pesant aparté du narrateur face caméra, Jonathan (Louis Garrel) va nous raconter l’histoire de son frère Paul (Romain Duris) ou comment par amour, on peut en arriver à se jeter d’un pont dans un accès de romantisme.

Paul est parti vivre avec Ana et son fils en province, leurs relations sont passionnées et conflictuelles par essence, en deux mots, prise de tête. La grande trouvaille revendiquée du film, c’est d’avoir donné à Romain Duris le rôle du frère taciturne, introverti et à Louis Garrel celui du frère solaire, dilettante. Ana est d’emblée exaspérante avec une drôle de manière de hurler son texte, la voix placée comme au théâtre pour atteindre le dernier rang. Paul/Romain Duris, vilaine barbiche et cheveux coupés à la serpe, la mine renfrognée et fermée, grimaçante, ressemble davantage à Landru qu’à l’idée qu’on se fait d’un jeune homme amoureux, fut-il en prise avec des tourments intérieurs.

On est content de quitter le couple Paul et Ana et l’arrivée dans l’histoire de Guy Marchand, le père, seul acteur à jouer juste, donne un peu d’air. Paul s’est réfugié chez son père et son frère à Paris pour ruminer son chagrin tandis que Jonathan poursuit une trajectoire à la Antoine Doinel dans « Baisers volés », c’est d’autant plus frappant que Louis Garrel pastiche totalement Léaud, le génie en moins, avec un physique jumeau et la même coupe de cheveux que son modèle dans « L’Amour en fuite ». Cerise sur le gâteau, on a convoqué Marie-France Pisier, égérie truffaldienne par excellence, dans le rôle de la mère, une prestation peu valorisante pour une actrice que j’adore mais qui, mal à l’aise, semble avoir conscience de son rôle de faire-valoir et se parodie elle-même avec sa voix inimitable. Pour varier les plaisirs tout en restant immergé dans le patrimoine cinématographique, vers la fin du film, on fait appel à Jacques Demy avec un duo chantant…

On se demande si pour reproduire cette fameuse distanciation du jeu des acteurs de la Nouvelle Vague, tout en tentant de rajeunir l’ensemble, on n’en est pas arrivé à ce que tous, sauf Guy Marchand, jouent plus ou moins faux pour une bonne moitié de leurs scènes. Romain Duris, à des années lumières de son talent dans « De Battre mon cœur s’est arrêté » et « Déjà mort », n’est absolument pas convaincant, Louis Garrel a quelques fulgurances de ce qu’il pourrait donner en étant bien dirigé.

La facture du film est académique, on démarre avec un plan de Paris la nuit qu’on retrouve à l’identique à la fin du film, l’ambiance se veut ultra-intimiste et bavarde avec un décor tristounet minimaliste à la manière du cinéma d’Eustache, qui, lui, n’avait pas le choix, faute de moyens.

Malgré tout, on sent bien que c’est un film qu’il faudrait aimer pour être dans le coup, dans le sens de l’indentification des trentenaires aux protagonistes du même âge sur l’écran, un film plein de bonnes intentions et d’empathie pour ses spectateurs qui aura sans doute les suffrages d’un public ciblé. Le réalisateur a voulu faire une sorte de «Poupées russes en plus littéraire, suite de «L’Auberge espagnole », le grand succès commercial de Cédric Klapisch dont c’était le plus mauvais film…

Christophe Honoré, réalisateur qui bénéficie d’une réelle cote d’amour en ce moment, écrivain et journaliste, passé à la réalisation en 2002, a obtenu un franc succès critique avec «17 fois Cécile Cassard» et «Ma mère». J’avais ce soir le projet de regarder ce dernier film qu’on repassait sur le satellite pour y chercher quelques clés du succès de Christophe Honoré mais je me suis endormie, un acte manqué… Désolée…

Mini-Pitch : deux frères, obnubilés par leur mal de vivre et leurs tourments amoureux truffaldiens, se retrouvent autour de leur père et du souvenir de leur soeur disparue.

Film présenté à Cannes 2006 dans la section "La Quinzaine des réalisateurs". Sortie en salles le 4 Octobre 2006.

PS DU 3 OCTOBRE 2006 (le billet de ma critique du film a été rédigé en mai) . En raison des commentaires choqués parce que je n’aime pas ce film, je me suis penchée, dubitative, sur les critiques de presse élogieuses qui affluent : couverture des "Cahiers du cinéma" où Christophe Honoré fut lui-même critique, interviews (très intéressantes) du réalisateur et de Romain Duris dans les "Inrock", etc…

Extraits des "Inrocks" du mardi 3 octobre : "… Christophe Honoré lui aussi rentre à la maison. Cette maison, c’est celle du cinéma français, ses figures de pères, ses images-fantômes. Paris devient un réservoir à réminiscences fétichistes : les Invalides de Truffaut, le Saint-Germain d’Eustache, la silhouette de Jean-Pierre Léaud…"

Extrait de l’interview de Christophe Honoré dans les "Inrocks" : cette référence à la Nouvelle vague fait partie du projet initial…J’ai voulu filmer Paris comme un musée de cinéma… Mon film n’est pas un hommage à la Nouvelle Vague. le projet était plutôt d’adapter ses désirs à ses moyens : c’est ça l’enseignement de la Nouvelle vague…"

Autre extrait de l’interview sur les acteurs : "…la plupart des acteurs s’interdisent tout lyrisme, se retrouvent dans un jeu à l’américaine, très intériorisé, qui n’existe plus d’ailleurs aux Etats-Unis… Tous les grands acteurs masculins ont compris que être acteur, c’est être actrice… (il cite Johnny Depp)… Les acteurs français luttent contre ça. Quand ils vieillissent, ils deviennent de vrais cons car ils n’assument pas ce côté-là… Je pense que Romain (Duris) a ça… (la part de féminin, comme Depp)…"

Mon commentaire d’octobre :

Tout argument en faveur de peut être retourné en sens inverse et vice-versa, si j’ose dire… Les partis pris de Paris musée de la Nouvelle Vague, le jeu des acteurs tel que le réalisateur le préconise, m’ont irritée autant qu’ils ont séduit la majorité. Dans ces conditions, je préfère mille fois revoir la série des Doinel avec l’original ou les films d’Eustache avec le même absolument unique Jean-Pierre Léaud (sans parler de la magique Marie-France Pisier dont je suis une inconditionnelle depuis "Antoine et Colette") ; cette impression de copie tout le long de film peut-être retournée en hommage et en arguments favorables mais, non seulement, je n’ai pas pu y adhérer, mais au contraire, je pourrais reprendre la plupart de ces points en négatif sauf cette remarque d’adapter ses désirs à ses moyens comme enseignement de la Nouvelle vague. On croit tout de même déceler chez le réalisateur une surprise devant cet assaut de félicitations pour ce que les critiques considèrent comme une filiation revendiquée à la Nouvelle Vague avec ce "retour à la maison"… Dans tous les cas, il est possible que mon attachement quasi religieux aux originaux de La Nouvelle Vague me rend impossible d’en apprécier les successeurs…

18395954
JP Léaud, J. Bisset et F. Truffaut dans "La Nuit américaine"

 

Partager l'article

Posted by:

zoliobi

Laisser un commentaire

Votre email ne sera pas publié. Remplissez les champs obligatoires (required):

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Back to Top