"Eureka", "The Long goodbye" ("Le Privé"), 2 sorties DVD, 2 films rares, surtout le premier

Nicolas Roeg, 1983, Robert Altman, 1973, sortie DVD 2 octobre
  

Le point commun entre les deux sorties DVD Potemkine du 2 octobre, soit « Eureka » de Nicolas Roeg et « Le Privé » d’Altman, c’est que ni l’un ni l’autre ne s’intéressent vraiment à ce que raconte leur scénario, l’intérêt des films est ailleurs dans une lecture fantastique, quasiment philosophique, d’une destinée pour « Eureka », sociétale (les années 70 et le début de la fin de la contre-culture) dans « Le Privé ». Mais des deux, l’évènement cinéphile, c’est la sortie DVD de « Eureka », film dont la sortie en salles aux USA en 1983 fut bâclée par les studios MGM qui ne savaient pas quoi en faire… dont la sortie en Europe se cantonna à l’époque à la seule Angleterre (une édition de l’Etrange festival l’a programmé à Paris il y a quelques années).

« Eureka » (1983)

Pitch.
1945, un ancien chercheur d’or qui a amassé une fortune colossale, meurt d’ennui dans son île privée des Bahamas, en conflit avec sa fille qui a épousé un homme qu’il déteste. Car le souvenir de la découverte de l’or 20 ans auparavant occulte le présent.

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Inspiré d’une histoire vraie en 1912 d’un chercheur d’or ayant fait fortune et été ensuite assassiné dans les années 40 à Nassau, sans doute par un de ses gendres qui fut d’ailleurs acquitté, le récit transpose l’histoire en 1925. Dans le blizzard canadien, un chercheur d’or, qui y travaille sans relâche depuis 15 ans, trouve enfin, au péril de sa vie (scène où les loups renoncent à l’attaquer alors qu’il est effondré dans la neige, a moitié-mort), un gisement d’or. On ne peut s’empêcher de penser à cette citation de Blaise Cendrars « J’étais l’homme le plus riche du monde, l’or m’a ruiné ». Car la démonstration du film, mis en scène par flash-forwards ou flash-backs si on prend les choses dans l’autre sens (par le milieu)!, c’est que ce n’est pas tant de posséder l’or qui est le point d’extase du chercheur d’or mais de le trouver. Or, en 1925, Jack McCann a trouvé ce gigantesque filon d’or. 20 ans plus tard, il meurt d’ennui sur une île privée des Bahamas dans sa propriété « Eureka », entouré de convoitises et de mauvais sentiments pour ce qu’il représente. La tirade de Tracy, au procès de son mari, Claude, accusé du meurtre de Jack, son beau-père (à la fin du film), dépasse largement ce qu’elle pense en tant que fille de son père de la situation, elle dit ce qu’il n’a pas pu exprimer avant d’être assassiné, il est mort mentalement en 1925 quand il a trouvé l’or, ensuite, il a souffert de l’extinction du désir, le point d’incandescence du désir n’arrivant qu’une fois dans une vie. Tracy, la fille, compare d’ailleurs l’amour qu’elle porte à Claude, son mari, à la découverte de l’or par son père, évoquant cette nuit sans retour où ils ont atteint la passion et ne peuvent que redescendre.


photo Potemkine

Démarrant en 1925 sur la bagarre dans la neige entre Jack McCann et son associé de l’époque, se terminant par l’assassinat de Jack et le procès de son gendre, accusé de l’avoir tué sauvagement, soit vers 1945 où on annonce que la seconde guerre mondiale est finie, le sujet du film n’est pourtant pas l’intrigue, les intrigues, mais la destinée d’un homme après qu’il ait réussi sa vie trop tôt, accédé à son rêve prématurément (l’or) ; ne lui reste ensuite qu’à regretter les sensations passées, à tourner en rond, accompagné de son épouse Helen qui regrette aussi l’ancien Jack quand lui pense à une autre femme, Frieda, personnage outré, quasiment fantasmé, un peu sorcière, qui s’adresse à lui comme une sorte d’oracle lui indiquant qu’il a choisi l’or aux dépends de l’amour, qu’il l’a tuée en quelque sorte.
Filmé de manière ostensiblement étrange, le film a des allures oniriques, parfois film fantastique, pour la forme, traitant de la réalité (les réalités) pour le fond, dans le bonus du DVD, on parle du tropisme de Nicolas Roeg pour « l’étrangeté du réel » et c’est ce qui définit le mieux ce film. La réalité telle que la percoivent les personnages. La réalité est telle qu’on la perçoit et le réalisateur s’appuie sur l’emploi du zoom, des images qui basculent, se retournent, n’hésitant pas à parsemer son film de symboles, de références cinéma explicites comme « Pandora » (le yacht de Claude, le mari de Tracy McCann, s’appelle « Pandora »), « La Ruée vers l’or » (affiche dans les rues).Venant du Swinging London, Nicolas Roeg, réalisateur anglais, s’est fait connaître avec le film cultissime « Performance » (1969) avec Mick Jagger, Anita Pallenberg et James Fox où apparaît déjà la figure du triangle et le thème de la sexualité de groupe (en fait, plus le thème de l’identité sexuelle s’agissant de « Performance ») ; triangle qu’on retrouve ici avec Jack, le père, Tracy, la fille, Claude, le gendre (personnage français pour bien marquer la figure de « l’étranger »), puis, la fameuse scène censurée par la MGM de la partouze Vaudou où Claude, le gendre, y emmène des amis français sortis de nulle part justement le soir où Jack, son beau-père, va être tué, torturé, chez lui dans sa propriété « Eureka » par une bande de gens qui tous ont quelque chose à lui envier, cet or qu’il a trouvé et qu’ils ne trouveront jamais qu’il soit mort ou vivant d’autant qu’il se sentait déjà mort en étant vivant (voir le début de l’article), c’est simple, non?

Le casting est savoureux : Gene Hackman dans le rôle de Jack à deux époques de sa vie, Teresa Russel (magnifique, regard vert et coiffure de Scarlett, actrice notamment dans « La Veuve noire »), compagne du réalisateur dans la vie, Joe Pesci et Mickey Rourke débutant (superbe, avec cette voix détimbrée qu’il avait adoptée dans les années 80) dans des seconds rôles. On l’a bien compris, c’est un film pour cinéphile à la recherche d’une pépite cinématographique et on pourrait s’amuser à faire la comparaison que le cinéphile est à la recherche d’une sensation d’origine assez orgasmique qu’il ne cesse de traquer et retrouve en fait assez rarement (mais un peu plus qu’une seule fois, contrairement à Jack, chercheur d’or du film). Tout n’est pas parfait, on décroche parfois, les femmes sont plus caricaturées que les hommes (sauf, toute proportions gardées, Teresa Russel), le réalisateur plus l’aise avec les personnages masculins.

Le bonus du DVD fait beaucoup référence à un film de Nicolas Roeg que je n’ai pas vu… « Walkabout », plongée fantasmatique au coeur de la civilisation aborigène (mais qui existe en DVD, paru en 2008 dans la même collection).


Anita Pallenberg et Mick Jagger dans « Performance » (1969)

« The Long goodbye » (« Le Privé ») (1973)

Pitch.
Réveillé en pleine nuit par son copain Terry Lennox, le détective privé Philippe Marlowe l’accompagne, à sa demande, de toute urgence, au Mexique. A son retour, Marlowe est inculpé pour l’assassinat de la femme de Terry Lennox. 

On a tort de présenter ce film comme un « film noir » mais comment faire autrement puisqu’il s’agit de l’adaptation d’un roman de Raymond Chandler, « The Long Goodbye », dont certains critiques loueront qu’Altman s’est approché au plus près de la psychologie de Philip Marlowe. Possible pour les valeurs intrinsèques du personnage, le culte de l’amitié, de l’entraide, l’horreur de la trahison (on verra que la fin, allant dans ce sens, semble se souvenir du film noir). Pour le reste, ce qui intéresse Altman, ce sont les moeurs des années 70 en Californie, l’immeuble où réside Marlowe est flanqué du voisinage de cinglées qui font du yoga nues comme des vers sur leur balcon 24h/24, acceptant à l’occasion de nourrir son chat. La première scène est le contraire de la description du détective privé viril et nihiliste qu’on pouvait attendre : réveillé par son chat, Marlowe va au supermarché la nuit et ne trouve pas la marque de pâtée préférée de l’animal, il essaie de tricher en transvasant en cachette le contenu d’une boite d’aliments pour chat d’une autre marque dans une vieille boite de conserve… Puis, c’est au tour de l’ami Terry Lennox, antipathique play-boy blond platine roulant en décapotable, de lui demander de l’accompagner en urgence au Mexique après une dispute avec son épouse. A son retour, Marlowe est inculpé par la police de l’assassinat de l’épouse de Terry Lennox, peu de temps après, ce dernier est retrouvé mort, lui aussi, au Mexique.


photo Potemkine

Libéré sous caution, Marlowe est engagé par la blonde Sylvia (tenues hippies chic d’époque, très cool) pour retrouver son mari, grand écrivain genre Hemingway, colosse alcoolique qui ne supporte plus la page blanche et a disparu se cacher dans une clinique psychiatrique tenue par escroc. Ainsi, ce sont les moeurs du LA de 1973 qui intéressent le réalisateur : les voisines perpétuellement défoncées,
les parties oisives et répétitives dans les villas de Malibu beach, l’essoufflement du mouvement hippie, de la contre-culture, le règne du profit et la cupidité, il n’y a donc plus de valeurs (celles que le détective privé Marlowe a conservées) et bientôt plus de contre-valeurs non plus. Pour ma part, j’ai trouvé le film infiniment trop bavard et truffé d’un excès de plaisanteries plates, d’une fausse légèreté, des conversations à n’en plus finir pour ne rien dire entre Marlowe et la police, par exemple. La violence est exceptionnelle et isolée comme cette unique scène où Marty Augustine, un truand sanguinaire, casse une bouteille de Coca sur le nez de sa petite amie qu’il affirme adorer, ceci afin de faire peur à Marlowe dont l’interprétation par Elliott Gould est décalée, assez fade.Le bonus du DVD a trouvé une solution pour expliquer comment on a parachuté Marlowe dans les année 70 : comme on le découvre dormant sur son lit dans sa chambre, on en déduit qu’il pourrait bien s’éveiller d’un long sommeil datant de la parution du livre! Et voilà que Robert Altman aurait immergé le détective privé et ses « vraies valeurs » périmés dans le monde dévoyé des années 70, pourquoi pas?

DVD « Eureka » de Nicolas Roeg et « Le Privé » de Robert Altman
éditions Potemkine/Agnès B le 2 octobre 2012

 

Notre note

4 out of 5 stars (4 / 5) 3 out of 5 stars (3 / 5)

 

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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