« La Raison du plus faible » : polar social et antisocial…/Avant-Première Paris-Cinéma

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18613944 Un rideau de fer tombe sur un chantier balayant l’écran de gauche à droite, contrechamp sur les visages des ouvriers au chômage derrière la grille de droite à gauche. On retrouvera ce procédé vers la fin tragique du film avec d’autres images s’y substituant… Gros plan des visages burinés et désolés de ces hommes qu’on vient de priver de leur travail, de leur dignité, de leur vie en quelque sorte…

Ce drame, inspiré très librement d’un fait divers vrai, se passe à Liège en Belgique. Pour payer une mobylette à Carole (Natacha Régnier), la femme de Patrick (Eric Caravaca), un copain, un petit groupe d’exclus de la société décide d’organiser un casse, au départ, trois hommes : Robert (Claude Semal) et Jean-Pierre (Patrick Descamps), deux chômeurs quinquagénaires prématurément usés par l’existence, et Lucas, fraîchement débarqué dans l’usine et tout juste sorti de prison, ça leur donne des idées… Se greffe au trio, Patrick, le mari triste et qu’on dirait sans âge, père de famille surdiplômé sans emploi, en charge de la garde de son fils Steve tous les jours pendant que sa femme Carole travaille à l’usine, repartant ensuite dormir seul de son côté.

Robert, le blond teint en blond, autrefois beau gosse, qu’on découvre attrapant au réveil depuis son lit une canette de bière, les mêmes bières qu’on met en caisses à l’usine : plan des caisses de bières dans l’immensité de la chaîne de travail, vue d’avion de la grande salle des machines dans l’usine avec cet vacarme des moteurs en route (qu’on retrouvera comme un leit motiv sonore obsédant dès qu’on pénètre dans l’usine), plan d’une bouteille dans la chambre de Robert, simplicité, efficacité, choc des images sans artifices…
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Jean-Pierre, le brun barbu, infirme (après un accident au travail?), qui tombe de son lit en cherchant à grimper sur son fauteuil roulant, qu’on retrouve l’arcade sourcilière fendue « tu es encore tombé ? » demande Robert en allant le chercher au vingtième étage d’une tour dont l’ascenseur est en panne… «Installer des handicapés au vingtième étage…», ronchonne JP, «on va se débrouiller…» dit Robert, «t’en as pas marre de te débrouiller…» répond JP…

Le quotidien de ces hommes ne trouve qu’un lieu de respiration : le bistrot où on tape la carte, la belote, on boit, on écoute des la musique sur le juke-box… C’est là que les deux anciens vont faire la connaissance de Lucas, repris de justice, contraint d’aller signer tous les jours un registre de police, à qui la société ne donne en réalité aucune chance de se réintégrer que superficiellement en le considérant comme un monstre dont on attend la récidive, un ex-taulard en sursis qui ne saurait tarder à y retourner. La panne de mobylette de Carole va être le catalyseur du passage à l’acte pour prendre l’argent là il est : dans les caisses de l’usine… Patrick, le mari de Carole, bardé de diplôme et sans emploi, pataugeant dans sa garde parentale et ses problèmes de couple, partage la détresse des deux hommes, il prendra la place de Lucas pour le hold-up qui, lui, payera l’addition de toute façon, coupable de l’avoir été…

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Flash sur Natacha Régnier, la suite…

Sous les traits de la lumineuse Natacha Régnier, le personnage de Carole apporte un tantinet de légèreté à ce film noir c’est noir. De la panne de mobylette, elle ne fait pas un drame, elle est ennuyée de devoir se lever une heure plus tôt pour prendre le train, elle se débrouillera, le désamour de leur couple, elle l’accepte comme un évènement de la vie, ce n’est en rien un personnage résigné ou amer, encore moins désespéré, portrait d’une jeune femme coquette et moderne qui n’a connu dans sa famille depuis des générations que le travail à l’usine dont elle tire une certaine fierté, loin de se révolter.

Qu’il s’agisse des deux chômeurs, du repris de justice, du diplômé sans emploi, de l’ouvrière de l’usine, la photo de groupe est sans concession… Lucas Belvaux démontre et démonte les rouages de la précarité et de ses conséquences sur les individus, dont la seule pulsion de vie va consister à transgresser la loi pour s’en sortir, faute d’avoir un autre choix. Extrait d’une interview de Lucas Belvaux "Je crains que l’on aille vers une société où finalement il y aura une sorte de tolérance, enfin pas vraiment de tolérance, mais d’acceptation d’un monde où les plus fragiles seront obligés de se débrouiller eux-mêmes. Petit à petit, les gens qui dérapent, qui ne savent plus comment faire…"

Les évènements sont décrits avec une lenteur extrême, comme en temps réel, le récit du casse et des péripéties est interminable à l’échelle de ce que supportent les casseurs et les otages, on attend avec eux… La fin s’étire sans fin… comme si le réalisateur rechînait à tuer son personnage principal… Les plans de la ville sont nombreux du début à la fin du film, on y revient, on ressasse, on n’en finit pas de filmer cette cité… Seule incursion dans les quartiers chics de la ville : pour kidnapper le directeur de l’usine chez lui (joué par Gilbert Melki).
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Disons le clairement : si tous les personnages sont touchants, en particulier ceux de Robert et Jean-Pierre, les deux anciens avec ce brin d’humour envers et contre tout, l’incursion de Lucas, joué par le réalisateur lui-même, quand il occupe en majorité l’écran dans la seconde partie du film, plombe le film qui devient lourd, presque ennuyeux… Il y a deux parties dans ce film : la première parfaitement réussie et la seconde approximativement loupée. C’est toujours difficile d’émettre des réserves dès lors que le réalisateur dénonce les injustices sociales dans un cinéma courageux sans concessions, cependant, s’agissant du casting, ce n’est pas un bon choix pour le réalisateur de s’être octroyé le rôle de Lucas, comme si en conservant aussi dans le film le même prénom que dans la vie, il n’y avait plus aucun recul possible pour Lucas Belvaux de nuancer une interprétation mono-expressive pêchant, en outre, par une austérité excessive, une raideur et une absence totale de charisme. C’en est à ce point que l’empathie pour l’ensemble des personnages s’en trouve délitée au cours du film alors que l’inverse était sans doute dans la logique scénaristique…

Après la trilogie «Un Couple épatant», «Cavale», «Après la vie», Lucas Belvaux, dont c’est le film le plus personnel, un de ses grand-pères étant "métallo", s’est donné ici le rôle de l’exclu au superlatif : un repris de justice tombé pour attaque à main armée et dont la réhabilitation par la société est un leurre. Polar social et antisocial, « La Raison du plus faible » marque sûrement davantage les esprits pour l’argument et l’atmosphère que pour le traitement de l’histoire, bien que l’image soit au dessus de tout soupçon, un genre de cinéma où, à mon avis, les réalisateurs anglais comme Ken Loach sont davantage dans leur élément…

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Mini-Pitch : Quatre exclus de la société au bout eu rouleau décident de commettre un casse pour prendre l’argent là où il se trouve et tenter de survivre… Un polar social noir c’est noir sans concessions…

Film de la sélection officielle de Cannes 2006, présenté en avant-première lors du festival Paris-Cinéma, sortie officielle le 18 juillet.

MMAD : c’est quand même moins dur à voir que vol 93…

 

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zoliobi

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