"Quatre nuits avec Anna" : histoire d'amour subliminale

Cannes 2008, Quinzaine des réalisateurs, Jerzy Skolimowski, sortie 5 novembre 2008
Ce film a fait l’ouverture de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes cette année, un grand cru…


photo Les Films du Losange
Ce film poignant fait un peu penser à « Garage » présenté l’année dernière à la même Quinzaine des réalisateurs, un homme simplet, victime de la société qui l’exploite ou s’en fiche, emmuré dans une solitude intérieure et extérieure. Leon Okrasa, employé au funerarium d’un hôpital, est omnubilé par Anna, une infirmière, qui habite dans la maison face à la sienne. Quelques années auparavant, Leon a été le témoin involontaire du viol d’Anna dans une grange, il est resté pétrifié, hébété par ce qui venait de se passer, incapable d’intervenir.Elevé par une grand-mère impotente, Leon va passer à l’acte d’aimer Anna à sa manière quand la vieille dame meurt. C’est après son enterrement que Leon nourrit le projet d’endormir Anna pour passer des nuits à son chevet la regarder. Mieux, il range sa maison, recoud un bouton, répare des objets, lui peint les ongles en rouge. Quatre nuits avec Anna, Leon entre par la fenêtre chez elle, dorlotant son chat au passage, lourdaud, maladroit, s’étalant sur le sol avec un bouquet de roses rouges qu’il plante comme un plumeau dans un vase, car Anna vient de fêter son anniversaire, pendant la fête, il l’observait en buvant et fumant derrière son vasistas. Plus tard, Leon va bouleverser sa maison en installant une fenêtre toute neuve pour mieux regarder Anna.

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photo Les Films du Losange
Dans un premier temps, le film nous montre comment la société voit Leon Okrasa, visage en gros plan d’un assassin, d’un serial killer, d’une brute, le pas lourd de Leon sur les pavés de la rue ouvre le récit, l’homme marche dans le froid, un peu voûté, accablé, préoccupé. Caché derrière un mur, il observe à la dérobée deux femmes blondes qui promènent un chien… Dans une sorte de cave, l’homme qui vient d’acheter une hâche, récupère une main coupée qu’il fait brûler, plus tard, une infirmière vient lui réclamer l’alliance qui allait avec cette main, on est pas loin d’accuser Leon de l’avoir volée… La vision du spectateur se modifie, Leon n’est donc pas un assassin ni un voleur non plus… Au procès, Leon dira « par amour » quand on lui demandera pourquoi, le préposé le fera répéter « plus fort! » Pourquoi il a passé ces quatres nuits avec Anna sans la toucher… Lui offrant anonymement une bague en diamants qu’il a payée avec ses indemnités de licensiement…Le film est magnifique, un conte d’hiver glacé sur l’indifférence, l’incompréhension à l’égard d’un homme différent, mal à l’aise avec la société civilisée, faisant de son mieux avec ses moyens, ne pensant pas à mal comme on dit, le regard des autres s’en chargeant, le chargeant de vices qu’ils connaissent et pratiquent mais qu’il ignore. Mais le film est  beaucoup plus violent encore qu’un simple constat, la société viole les faibles, parfois, les violés deviennent les violeurs, Leon, victime idéale depuis la naissance, lui, ne violera que l’intimité d’Anna mais c’est déjà trop… Une histoire à pleurer, on a souvent les larmes aux yeux en regardant ce film où la compassion le dispute au sentiment d’impuissance devant l’injustice…


photo Les Films du Losange

La manière de filmer du réalisateur Jerzy Skolimowski (« Le Départ » avec Jean-Pierre Léaud, ours d’or à Berlin en 1967), perdu de vue depuis le début des années 90 où il avait renconcé au cinéma pour la peinture, est une vraie leçon de cinéma. Rien n’est laissé au hasard, le récit inserre des portions de passé et de futur du procès dans le coeur de l’histoire d’amour malgré tout, les images clignotent quand Leon se souvient du procès, de l’armée, on appelle son nom « Okrasa! », il n’a plus de prénom… Le réalisateur utilise beaucoup le son en surégime pour caractériser Leon, ses déplacements, ses activités, car le film est peu bavard, Leon, quasiment autiste, parle peu et s’exprime mal, et Anna, la plupart du temps, dort… Bien qu’il ait injecté un peu de comédie dans le tragique, la balourdise de Leon est plus touchante que comique, dans la seconde partie du film, le réalisateur montre cet homme mentalement limité comme la société devrait le voir : un homme sans malice avec des idées simples, qui va se lover près du corps d’Anna comme le fait son chat, là où il fait chaud…
 

 

Notre note

5 out of 5 stars (5 / 5)

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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