« Requiem » : Délivrez-nous du mal

18653305

Ce film s’intègre plus ou moins bien dans le renouveau du cinéma allemand, ce que le festival de Paris-Cinéma en juillet dernier a appelé «l’embellie allemande» avec des réalisateurs comme Christoph Hochhäusler ("Le Bois Lacté", "L’Imposteur" ), Henner Winckler ("Lucy" ), Bülent Akinci ("L’Assureur-vie" ) ou Ulrich Köhler ("Montag" ). Un cinéma du quotidien dépouillé et intuitif, sans pathos inutile ni ornementation, filmé de façon presque clinique, blanc et froid avec une profonde psychologie sous-jacente des personnages. Ici, le sujet est très différent et le traitement des images dans le style de l’époque, mais subsiste la narration factuelle et dépassionnalisée d’un sujet où le réalisateur Hans-Christian Schmidt aurait pu en faire des tonnes : le récit dans les années 70 en Allemagne, du calvaire d’une jeune fille épileptique embringuée dans des superstitions et l’obscurantisme religieux des campagnes de l’époque que sa famille fera exorciser au lieu de la faire soigner.

La première scène montre une jeune fille essoufflée en vélo, on entend son essoufflement dès le générique, elle se précipite dans une église et supplie «bitte!»… Dans la scène suivante, Michaela, 25 ans, vient de recevoir un avis favorable de l’université, elle brandit le courrier administratif devant ses parents consternés. La mère, dure, la casse sans ménagements « tu t’imagines, avec ton problème ! », le père compatissant et coupable avoue qu’il était au courant… Michaela emménage dans un foyer de jeunes filles en ville, dès son arrivée dans l’amphi, le prof la descend parce qu’elle arrive en retard, l’ancienne copine de classe lui tourne le dos. Dans sa chambre au foyer, Michaela, seule, avale un comprimé, tout le long du film, cette boite de médicament est présente, rassurante et menaçante, rappelant la possibilité d’une crise d’épilepsie… Ce qui est frappant dans le nouveau cinéma allemand, c’est l’importance des objets et des gestes quotidiens filmés très sobrement, sans gros plans ni effets, une boite de médicaments sur une table de nuit pour la maladie, un cheveu blanc devant le miroir pour le vieillissement, etc… tout est dit en un plan discret qu’il faut lire presque entre les lignes, le spectateur étant projeté dans un miroir de la vie moderne égoïste et solitaire où personne ne regarde rien ni personne ou si rarement.

Pendant que la vie de fac s’organise, les pélerinages en famille vont bon train, Michaela y rejoint ses parents : c’est là qu’elle a sa première rechute, une crise d’épilepsie tellement attendue et redoutée par l’angoisse des parents qu’on dirait qu’elle l’a provoquée… Son père la ramasse par terre et lui dit qu’heureusement que ce n’est pas sa mère qui la voit comme ça… Le comportement de la mère est assez monstrueux, allant jusqu’à jeter à la poubelle les vêtements neufs de Michaela dont elle est si fière, ceux qu’elle a achetés pour plaire à Stephan à la fac… Tant que Michaela essaye de s’en sortir hors du foyer familial, la mère la démolit moralement et multiplie les brimades et les coups bas, elle ne s’adoucira que quand sa fille rentrera vaincue chez eux, ayant renoncé à lutter. Le père suivra une trajectoire inverse, complice de sa fille, il l’aidera comme il peut à vivre comme toutes les étudiantes de son âge mais s’effondrera à son retour quand la mère prend les choses en main.

Le film est lourd et angoissant, on redoute la crise d’épilepsie de Michaëla comme toute sa famille tout en étant révolté par leur comportement : dans le premier tiers du film, il subsiste encore quelques rares moments légers, dans le second tiers, malgré la présence de deux personnages équilibrés : Hannah l’amie et Stephan le copain, les dés sont jetés, on attend le drame, dans le troisième tiers, c’est l’épreuve finale… L’image est parfaitement dépressive, morne comme une photo jaunie, un film d’époque sous-exposé, le ciel bas, l’éclairage insuffisant virant au jaune éteint, les personnages habillés dans les mêmes tons, ocre, beigeasse, blanc sale, les tapisseries des murs marron clair, les cheveux de Michaela châtain terne, par ci par là, des signes religieux, un crucifix sur un mur, un rosaire, un livre sur Sainte Catherine martyre… Heureusement pour nous spectateurs, la BO rock années 70 apporte un peu de réconfort dans cet univers lugubre (rock allemand : Amon Düül, Zarathustra ; "Anthem" de Deep purple, etc…).

Sans concessions, le film dissèque la peur de la crise paralysante qui en arrive à accélérer la survenue du mal par des comportements de défense allant dans le sens de la maladie : Michaela boit de l’alcool contre-indiqué avec ses médicaments, sa famille la stresse en croyant la protéger… Comme il démontre l’impuissance de l’amour et l’amitié à aider autrement que ponctuellement Michaëla, isolée mentalement, en proie à la peur de la folie, dont l’état nécessite des soins médicaux qu’elle et sa famille réfutent : on comprend que la jeune fille a passé des années d’enfance dans des hôpitaux, qu’elle ne veut plus y retourner, ce qui ira dans le sens de la décision insensée de ses parents de la garder avec eux à la maison… pour la faire exorciser…

18653306

Bien entendu, c’est un film pénible à regarder, d’autant plus qu’on connaît le sujet et qu’on attend en regardant l’héroïne se débattre dans un combat perdu d’avance. Bien que le sujet soit éprouvant, le réalisateur filme Michaela avec une certaine distance, lui octroyant des moments de vie normale, ne faisant pas du personnage une malade à temps plein, ne la jugeant pas. S’agissant des parents et des prêtres, le regard du cinéaste est accusateur bien qu’on sente qu’il soit davantage concerné par la description de l’enfer d’une prison familiale que par les délires mystiques des exorcistes. Le genre de film qu’on ne revoit pas…


 

Partager l'article

Posted by:

zoliobi

Laisser un commentaire

Votre email ne sera pas publié. Remplissez les champs obligatoires (required):

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Back to Top