
Catherine Deneuve intemporelle et réelle à la Cinémathèque, rencontre après «Tristana» de Bunuel/Rétrospective
Jai bien failli ne jamais raconter lévénement de la rencontre avec le mythe Deneuve à la cinémathèque tant il fut ardu dobtenir une place. Le quota des places réservées aux abonnés ayant été vite dépassé, les autres places vendues à 18 heures avec file dattente depuis 17h00, une longue triple file fermée par à 18h30 par un cordon rouge, bref, de mémoire de cinémathécticien, on navait jamais vu ça Merci encore à la personne qui ma revendu sa place à dix minutes du début de la séance (et sans augmenter le prix dun centime, 4 Euros)
Ayant assisté discrètement à une partie de la projection, elle sest avancée sur lestrade, elle, la star ultime, intemporelle, en pantalon et gilet noir, élégants escarpins avec brides sur le talon (mes préférés) et sac Chanel assorti noir à chaîne dorée posé par terre sous un petit foulard vert plié. Petite, un peu gênée dêtre le centre du monde, la blondeur Deneuve éternelle, les cheveux longueur « Belle de jour », dont je lisais hier linterview dun coiffeur qui disait que cétait la seule personne dont les clientes voulaient la même couleur de cheveux (or, elle change souvent, dans « Tristana », par exemple, le film quelle avait choisi pour ce soir, elle est chatain-roux terne mais sublime aussi )
Serge Toubiana, directeur de la cinémathèque, rayonnant de la béatitude sereine de qui vit un rêve denfant éveillé, le second interlocuteur, Bernard Payen, vaguement tétanisé par lapparition, ont posé les premières questions. Intimidée le temps de deux ou trois réponses, Catherine Deneuve a vite pris le parti de répondre normalement aux questions, et, chemin faisant, la fausse lisse fausse calme, dont on nous dit en vain depuis des lustres quen vrai, elle est drôle et vivante, sans doute quelque chose de cette Deneuve-là inconnue, sans masque et descendue de son écran-piédestal, a fait surface, on la même entendu interpeller en plaisantant un spectateur qui lui demandait si elle venait quelquefois à la cinémathèque «et pourquoi cette question? Pour se revoir?». Peut-être aussi a-t-elle perçu, comme au théâtre, lincroyable et unanime sympathie qui se dégageait de cette assemblée de 400 personnes dont pas une na protesté quand, pendant dix minutes, on a projeté « Tristana » en espagnol sans sous-titres, pas un mot, moi-même, je métais faite à lidée de regarder au lieu découter, dautant que la première scène se passe avec un muet à qui lhéroïne parle en langage des signes
Cette image de star inaccessible quon voit en elle, cette disproportion entre ce quelle est et ce quon voit delle, au détour dune question, elle a soufflé avoir eu toute sa vie le sentiment dimposture, quelle ne sy habituerait jamais (alors, le fantôme de sa sur Françoise Dorléac*est passé dans les esprits en empathie avec elle, les spectateurs ont pensé à celle dont elle a cru longtemps avoir pris la place, dont elle na pas pu parler pendant 20 ans, un minuscule silence de mort, comme un moment de recueillement tacitement consenti). Dailleurs, le sujet Dorléac est sensible pour toujours, quand on lui a demandé si elle avait gardé le nom de sa mère, elle a répondu quelle portait normalement celui de son père et que parce sa sur (actrice) le portait aussi, alors, elle avait emprunté celui de sa mère.
Sur le film Tristana, sur Bunuel, Ferreri :
CD a parlé de Tristana dans ses Carnets de tournage, ce nest pourtant pas ça qui la déterminée à choisir ce film, ces carnets furent écrits quand elle tournait à létranger, seule à lhôtel le soir. Cest la première question, elle bredouille un peu quelle ne sait pas trop pourquoi ce film Pour avoir lu une autre source, elle avait dit dans les années 70 que ce film lavait marquée, voire traumatisée (voir en annexe *** interview de lépoque 1976). Elle y est revenue plus tard dans la rencontre qui a duré presque une heure : Tristana est un rôle généreux avec trois étapes de la vie dune femme : la jeune fille, la femme, la femme infirme et aigrie (voir aussi annexe *** interview de lépoque 1978) De Bunuel, Catherine Deneuve se souvient quil parlait et communiquait peu mais quétrangement, lessentiel de ses indications était transmis. Elle dit que Bunuel, comme Ferreri, ces «hommes du sud», était un pudique qui naimait pas retourner les scènes et qui par dessus tout redoutait la psychologie. Elle rappelle la scène sur le balcon (que nous venons de voir) ou Tristana ouvre son peignoir avec le gros plan sur son visage, Bunuel lui avait intimé «surtout, pas de psychologie!» Le second point commun entre Bunuel et Ferreri, cest le poids de leurs fantasmes, fait remarqué ST, des cinéastes à fantasmes, comme il les appelle. CD répond quelle a bien conscience que son apparence lisse, réservée, « laissait une place » aux fantasmes, quune actrice très sexualisée, plus ostensiblement charnelle, naurait pas offert la même distance, elle emploie le mot que cela aurait été «loverdose»!
Tristana ayant été projeté ce soir en espagnol (on a recommencé la projection avec les sous-titres français..), CD na pas lhabitude de cette version, dans le DVD, elle parle français, en espagnol, ce nest pas sa voix mais cest elle qui sest doublée ensuite en français pour la VF. Ce qui lui a donné loccasion de mesurer combien elle parlait vite et de le regretter, dit-elle en riant, quand il a fallu faire le doublage !
Sur ses rôles au cinéma, sur les cinéastes de sa vie : Demy, Téchiné, Truffaut, Lars Von Triers, Ozon :
Ce que cherche CD, ce sont des rôles quelle na pas fait, mieux, quelle ne sait pas faire, enfin, cest ce quelle croit Mais tous les films nont pas la qualité de Tristana, ou alors, il faudrait tourner un film tous les dix ans, dit-elle avec malice et dajouter quil ne vaudrait mieux alors ne pas se tromper ! CD dit que quand on a un niveau de notoriété important, on doit assurer, elle ne le dit pas ainsi, elle parle modestement de «petite notoriété» et «dêtre à la hauteur» de ce quon attend de vous Elle convient quelle pourrait jouer sans effort toujours le même type de rôle mais ça ne lintéresse pas.
Quand on lui demande quel a été le premier cinéaste important pour elle, sans hésitation, elle cite Demy, «Les Parapluies de Cherbourg», ça a été une immense initiation, il fallait apprendre tous les textes de tout le monde par cur, elle sen souvient encore Non, elle naurait pas pu tourner «Lola», le film précédent de Demy (avec Anouk Aimée), elle ne sen sentait pas capable. Ce qui lui a plu aussi, cest que Demy la choisie pas seulement pour sa beauté mais parce quil lavait vue dans un film ou pourtant elle navait pas le premier rôle.
Téchiné (avec qui elle a tourné une demi-douzaine de films) a-t-il pris la place de Demy dans sa vie ? Oui et non, avec Téchiné, cest un rapport fraternel dont elle serait la grande sur protectrice, les femmes ont davantage le sens pratique, dit-elle. Les interventions pour la faire parler de Téchiné sont un peu longues, Catherine Deneuve sen tiendra à la fragilité de lhomme Téchiné. Sagissant de Truffaut, ça claque presque sèchement « tout a été dit », elle évoque vaguement «Le Dernier métro» puisquon insiste, le rôle de la maturité (CD était la compagne de Truffaut pendant «La Sirène du Mississipi», lire la biographie de Truffaut).
Avec la jeune génération de réalisateurs, CD regrette quon ne voit plus les rushes, ça ne se fait plus, beaucoup dacteurs naiment pas se voir à lécran et les réalisateurs nont pas envie de provoquer leur parano, dautant quil savent à quoi sen tenir sur leurs moniteurs. Dommage pour les rapprochements entre les acteurs et léquipe technique
Téléphone-t-elle à des réalisateurs pour proposer ses services? Aujourdhui, elle en est capable. Elle a écrit une fois avec Lars Van Triers et il sen est servi ! Finalement, il lui a proposé dans «Dancers in the dark » un rôle quil avait écrit pour une américaine noire en lui disant que ça lui irait très bien, elle a de lhumour
De lironie aussi sur son engagement à lUnesco, Clint Eastwod a accepté avec elle en sachant quil ne serait pas sur place, cest elle qui sy est collée, si elle a démissionné, cest à cause du recrutement dun marchand darmes pour lui donner limmunité (la salle applaudit). Plus les minutes passent et plus la perfection Deneuve parle normalement de tout
Drôle, incisive, vive, directe, elle sait dire non ou je naime pas. Quand dans les questions, on lui demande si dans «Les Voleurs» de Téchiné, ça ne la pas gêné de jouer une femme amoureuse dune fille de lâge de sa fille (Laurence Côte dans le film), non seulement, elle répond avec conviction que non ça ne la gêne pas mais elle insiste, elle relance le sujet : pire, elle est choquée quon ne soit pas choqué quun homme âgé parade au bras dune fille jeune et quon dénigre une femme mure avec un homme jeune, cette fois-ci, elle nest plus calme du tout!
Sur le cinéma avec un C majuscule :
CD reste émerveillée par la séance de cinéma au cinéma, la première fois quelle voit un film, cest dans une salle (elle rejoint ici Truffaut avec le film quon découvre et le film quon consulte quand il parlait de la vidéo). Quitte à aller à la séance de 22h00 en rentrant dun tournage (elle est connue pour préférer les salles de son quartier au premières people). Dailleurs, pour cette soirée dhommage à la cinémathèque, elle en vient dun tournage à Roubaix quelle vient de commencer avec Arnaud Desplechin «Contes de Noël» : une famille se retrouve pour Noël avec ses amours et ses haines Revenons à CD dans une salle de cinéma, les lumières séteignent et cest magique, elle restera pour toujours une spectatrice émerveillée quand le film est beau «pas blasée mais souvent déçue», pondère-t-elle, malicieuse. Au passage, elle égratigne tranquillement François Ozon et le tournage de «Huit femmes», comme un bon exemple de tournage pénible et de résultat bluffant à lécran à linverse de la tension sur le plateau.
Son image, toujours
CD a conscience que son image a évolué avec le temps mais cest dun système entier quil sagit : les spectateurs se rapprochent de plus en plus des acteurs, elle résiste à en dire plus sur les indiscrétions mais on sent que des choses la choquent. Elle dira très clairement quelle déteste la familiarité, elle revendique dêtre une femme réservée. Elle réfute aussi lomniprésence des acteurs sur tous les médias qui alors ne font plus rêver : au cinéma en salles, en dvd, à la télé, elle va même jusquà dire quil devient difficile dêtre «absent des écrans»! ! ! Elle tient beaucoup à cette part dabsence. Cette phrase de Truffaut dans « Le Dernier métro » "aimer est une joie et une souffrance" pourrait-elle sappliquer au tournage dun film? Elle a dit récemment dans une interview quelle choisirait toujours la vie au cinéma et elle le redit, même si les fins de tournage sont toujours douloureuses, « je suis contente daller tourner le matin mais je suis contente de rentrer chez moi le soir ».
La dernière question et il est près de 22h00, va-t-elle aller au cinéma ? Elle a dit plus tôt quelle a aimé «Lady Chatterley» mais que ce nest pas son rôle en tant quactrice de parler comme la fait Pascale Ferran, elle était à LA pour les Oscars, elle na pas tout entendu mais cest mieux sagissant dune réalisatrice de prendre parti. Quel film ira-t-elle voir ? Aime-t-elle le cinéma asiatique? Tiens, voilà une question quon ne lui a pas posée mais on ny serait encore elle, mythique, sa blondeur, sa voix mélodique, son rire sous-jacent, et sa petite bouteille deau minérale «on est en direct nest-ce pas?» nous et notre stupéfaction quelle sadresse à nous, pauvres mortels ayant oublié davoir soif, quelle plaisante, quelle sanime comme une lampe quon allume enfin et néclairerait pas seulement un écran de cinéma Il y a des jours, des soirs, où habiter Paris, la pollution, lagressivité, la météo, le stress, les embouteillages, les manif, ça vaut le coup . surtout barricadé à la cinémathèque, salle Henri Langlois
Lire la critique de Tristana… , la beauté de Deneuve y est stupéfiante bien quon lait enlaidie
Les photos de la rencontre prises tant bien que mal…
Annexes/Citations sur Tristana.
***Ce rôle de femme méchante, aigrie, exténuée, c’était cependant, bouleversant, extraordinaire, mais, en même temps, terriblement fatigant. Le film fini, j’ai mis des semaines à me rétablir, à retrouver mon équilibre. Je n’ai pas assisté à la "première", je ne suis allée ni au théâtre, ni au cinéma pendant pas mal de temps. C’était, très exactement, "pour des raisons de santé". Peut-être est-ce le rôle qui m’aura été le plus lourd, le plus douloureux de tous ceux que j’ai tournés, mais je ne le regrette pas…
Catherine Deneuve, Le Soir Illustré 1976
***"Tristana" a été pour moi une expérience beaucoup plus forte. Dans "Belle de jour", ce qui ressort quand on le voit, c’est son côté glacé, sa débauche, sa perversion. Mais c’est un rôle statique. En revanche, "Tristana", où je joue au début le rôle d’une adolescente, qui devient une jeune femme, puis qui devient une femme acariâtre, aigrie, malade, infirme, c’est évidernrnent un rôle beaucoup plus généreux pour une actrice.
Catherine Deneuve, Ecran 1978
*** Les deux personnages dont je me sens le plus proche sont Tristana et Carole, l’héroïne de "Répulsion". A cause de la timidité et d’une certaine solitude. Carole, c’était la folie de quelqu’un qui ne supporte pas d’être laissée seule. Par contre, il m’est impossible de m’identifier à Belle de Jour. C’était amusant à jouer mais c’était impossible de s’identifier. Je vais sans doute décevoir beaucoup de monde…
Catherine Deneuve, citée dans le livre de Françoise Gerber 1981
*** Doc (interviews) recueillie sur le site extrêmement complet, pour ne pas dire une mine d’infos… ToutsurDeneuve…
Françoise Dorléac
* Françoise Dorléac (photo ci-dessus) a joué dans "Cul de sac" de Polanski, "La Peau douce" de Truffaut, ou dans "L’Homme de Rio" avec Belmondo. Avec sa soeur, elles ont joué dans "Les Demoiselles de Rochefort" de Demy. Promise à une belle carrière, l’actrice s’est tuée en voiture en 1967 sur une route du sud de la France.
Années 60
Avec Luis Bunuel
Belle de jour (1966)
Tristana (1970)
La Femme aux bottes rouges (1974)
(De Juan Luis Bunuel, le fils de Luis Bunuel)**
Avec Polanski
Répulsion (1965)
Avec JacquesDemy/Agnès Varda
Les Parapluies de Cherbourg (1964)
Les Demoiselles de Rochefort (1966)
Peau dâne(1970)
LEvènement le plus important (1973)
Les Créatures dAgnès Varda (1965)
Avec François Truffaut
La Sirène du Mississipi (1969)
Le Dernier métro (1980)
Années 70
La période italienne
Liza de Marco Ferreri (1971)
Touche pas à la femme blanche de Marco Ferreri (1973)
La Grande bourgeoise de Mauro Bolognini (1974)
Ames perdues de Dino Risi (1976)
La période américaine
Folies dAvril (1969) de Stuart Rosenberg
La Cité des dangers (1975) de Robert Aldrich
Avec JPierre Melville
Un Flic (1972)
Avec Claude Lellouch
Si cétait à refaire (1976)
Années 80/90
Avec André Téchiné
Hôtel des Amériques (1981)
Le Lieu du crime (1986)
Ma Saison préférée (1992)
Les Voleurs (1996)
Les Temps qui changent (2004)
Années 90/2000
Avec les nouveaux réalisateurs
Place Vendôme de Nicole Garcia (1998)
Pola X de Leos Carax (1999)
Le Vent de la nuit de Philippe Garrel (1999)
Dancers in the dark de Lars Von Triers (2000)
Huit femmes de François Ozon (2002)
Roi et reines dArnaud Despleschin (2004)
Prochain film de Catherine Deneuve sur les écrans le 23 mai 2007
"Après lui" de Gaël Morel…
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