
« Loin d’elle » : la mémoire en fuite / Avant-Première
Quil est ingrat de confesser ce voyage au bout de lennui sagissant dune belle histoire pleine de bons sentiments Un homme seul en voiture sen va sonner chez une dame quil ne connaît pas, cest lhistoire au présent. Cet homme, Grant Anderson, se souvient des derniers temps à la maison chez eux quand sa femme Fiona a commencé à perdre la mémoire. Cest elle qui a voulu être enfermée dans une institution spécialisée dans la maladie dAlzheimer. Il la supplié de ne pas sen aller, puis, il sest persuadé que cétait provisoire. Lors de leur première visite ensemble dans la clinique pour prendre date de larrivée de Fiona dans les lieux, on leur a fait visiter létablissement. Il a refusé la visite du second étage, celui des cas irrécupérables, de ceux qui sont «partis» dans une amnésie totale. Au rez-de-chaussée, les malades se souviennent encore quelquefois, surtout des souvenirs anciens car ils ne mémorisent plus les événements proches. Très vite, Fiona a oublié Grant aussi et sest amourachée dAubrey, un patient dépressif quelle na plus quitté, il a observé tout ça, près d’elle, loin delle. Cest l’épouse de ce rival inattendu quil va voir aujourdhui, Marian, une forte femme peu compassionnelle. Les deux époques se rejoignent alors dans le film.
Le parti pris de la réalisatrice, cest davoir coiffé, habillé et fait fonctionner ses personnages d’environ 70-75 ans comme si ils avaient subi leur vieillissement avec les vêtements et les habitudes de leur jeunesse, comme sils sétaient desséchés sur pied, immobiles ; ainsi, Fiona porte de longs cheveux blanchis avec une coiffure de jeune fille, des jeans et des pulls détudiante ; ainsi, le couple, après 44 ans de vie commune, semble avoir une vie sexuelle inchangée, drôle de scène où Fiona demande à Grant de lui faire une dernière fois lamour avant de la laisser dans la clinique et de lui dire adieu, ces deux êtres blanchis, fatigués, ridés, dans les draps blancs et la lumière blanche d’un purgatoire blanc
Pour mettre un douloureux point sur le i, la photo de Fiona à 20 ans apparaît de façon récidivante en insertion, blondeur de Julie Christie jeune. Selon le même procédé, le contentieux des 44 ans de vie du couple est illustré par une photo de jeune fille brune, celle avec qui Grant lui était infidèle. La réalisatrice laisse entendre à maintes reprises que le refuge de Fiona dans loubli de tout serait une sorte de punition pour Grant dont on comprend quil était enseignant cédant aux sirènes de jeunes étudiantes et quil a démissionné il y a 20 ans pour prendre un nouveau départ avec sa femme Fiona. Ces images de la jeunesse semblent maladroitement collées par dessus les autres, artificielles, trop ou pas assez présentes, et surtout pas assez obsédantes comme ça aurait dû être leur effet en surimpression, bien qu’on comprenne où l’on veut en venir.
Un beau jour, Marian retire son mari de létablissement, faute de pouvoir payer la pension, refusant de vendre sa maison à laquelle elle est très attachée. Une sorte de marché va sinstaller entre les deux êtres encore bien portants qui voient chacun leur conjoint sombrer dans la maladie et saimer sans eux : Grant cédera aux avances de Marian en espérant pouvoir ramener Aubrey à Fiona pour la consoler, se raccrochant à une logique de la présence de lautre de laquelle elle séloigne tous les jours.
Est-ce pour tamiser un tantinet lambiance totalement dépressive de cette clinique où chaque patient sombre ou sombrera inéluctablement dans lamnésie, symbolisée par cette menace de les parquer au second, antichambre de la fin de la mémoire, que la réalisatrice a blanchi, délavé, amorti son film de tout stimulus émotionnel? Les voix sont douces et monocordes, désincarnées, parfois peu audibles, les lumières pâles et pâlies, délavées, la neige omniprésente (une scène repassant en boucle de Fiona perdues dans la neige), les conflits absents, la douleur muette, et un ballet de fantômes occupe le terrain deux heures durant. Les personnages subissent sans la moindre révolte, seule Marian, l’épouse du rival de Grant, conserve un peu d’humanité dans sa tentative désespérée de bonheur malgré tout.
On en arrive aux acteurs dont la seule connue est Julie Christie, à la fois ravissante et décomposée, filmée on ne peut plus cruellement alors que l’affiche du film la réprésente comme on ne la voit jamais avec une blondeur et un sourire seyants. Le choix (évoqué plus haut) d’avoir habillée et coiffé JC comme une femme jeune ayant oublié de changer d’habillement et de coiffure la vieillit avec une cruauté rarement égalée. Courage de l’actrice d’avoir accepté ce rôle mais on ne peut pourtant s’extasier sur sa prestation un rien affectée.
Ce nest rien de dire quil ne se passe rien… Par pudeur sans doute, pas la moindre once de pathos, une émotion neutralisée, des échanges dévitalisés, certes, on peu saluer la réalisatrice davoir éviter lécueil du mélo avec un sujet propice à lapitoiement, les personnages conservent tous leur dignité et beaucoup de ce flegme anglais "never complain never explain". Pendant ce temps, la salle du cinéma Balzac ayant invité les membres du club dont un nombre certain ont lâge du rôle, on se sent angoissé pour eux en espèrant quil ne céderont pas à lidentification. Pour les autres, lennui naquis de luniformité, on en mesure la profondeur pendant que les lentes allées et venues des personnages déréalisés et fantômatiques, tournent en rond tout en creusant leur mortel sillon doubli, anesthésiant le spectateur ankylosé par une monotonie lourde comme une nuit blanche. En ce sens, l’objectif du film de nous faire partager la mort éveillée de Fiona est réussie, on aimerait cependant un peu moins de perfection et un peu plus de réalité dans leur comportement frisant la sainteté.
Un film atone, lent et pudique, empli de langueur et de sentiments contenus, étranglés, gommés, craignant à ce point den faire trop quil en oublie presque de raconter, mais puisquon parle justement doubli Un film dont on sent quil peut indifféremment enchanter ou barber selon sa sensibilité, son degré de projection sur la situation et son état desprit. Individus sujets au spleen, sabstenir !
NB. Les images du film publiées, et surtout celle de l’affiche souriante…, ne réflètent en rien l’ambiance du film.
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