
« RED ROAD » : le pardon des offenses

Il y a longtemps que jattendais ce film, depuis sa présentation à Cannes où la réalisatrice Andrea Arnold, seule à présenter un premier film en sélection officielle, mavait forte impression pendant sa conférence de presse (retransmise sur TV festival). Le film aussi est impressionnant, dur à regarder dautant, que nous nétions que quatre dans la salle (comme pour « Pardonnez-moi » de Maïwenn, 4 spectateurs) et que, malgré cette projection quasi-privée par la force des choses, une jeune femme na cessé de protester à cause dun petit bruit de papier que faisait un monsieur en grignotant des bonbons, ambiance
Jackie est employée dans une société municipale de télésurveillance, passant ses jours et ses nuits dans un local exigu et sombre immergée dans une multitude décrans vidéo à scruter les rues, les jardins, les immeubles. A cet enfermement matériel fait écho un impossible deuil, une douleur mutique que la jeune femme trimballe depuis des années. Quand une nuit, Jackie reconnaît sur lécran dans un couple qui sébat dans un terrain vague, un homme quelle considère comme le responsable de tous ses malheurs : le choc de cette télérencontre transforme la victime en traqueuse assoiffée de vengeance.
La réalisatrice nous fait plonger dans cet enfer du local de télésurveillance où elle filme les écrans comme posée derrière le fauteuil de Jackie ; le spectateur voit ce que voit lemployée municipale sur les écrans, quand elle zoome avec sa manette, nous voyons le geste et limage zoomée, quand elle change décran, nous partageons avec elle les instants de suspicion, nous suivons les rôdeurs potentiels quil lui faudra dénoncer, les drames comme cette agression au couteau pour laquelle elle demande une ambulance, les couples improbables dans les jardins la nuit, ce monsieur de limmeuble den face et son chien qui lattendrit, lui arrache un petit sourire.
Red road, ce sont ces immeubles de la zone de Glasgow, des hautes barres ocre et rouge, où elle a appris que sont souvent logés ceux qui sortent de prison, comme cet homme vu sur lécran, dont elle apprend quil a été libéré pour bonne conduite par un sobre message sur son répondeur. Les micro-évènements de la vie de Jackie sont effleurés, intégrés à son quotidien sans autres explications que le film des instants de vie : exemple de cette scène de fast-sex dans une voiture quon devine plus quon ne voit, filmée de lextérieur de la vitre du conducteur, puis laprès, la phrase laconique de lhomme demandant comment ça sest passé pour elle comme sil sagissait dun examen médical, la réponse monosyllabique de Jackie qui remet sa culotte blanche rapidement et démarre. Un faire-part de mariage arrive par la poste, un mot « tu me manques» et on comprend quil sagit de la belle-famille de Jackie quelle ne voit plus après un drame quon soupçonne, la belle-sur affectueuse qui se marie, le beau-père aggressif, la belle-mère désolée.
Lhomme à abattre est un séducteur patenté écurant de banalité et de vulgarité. Dans son appartement lugubre du 23ième étage dune tour de Red road, il organise une party avec des gens comme lui, sans ressources que des combines, des femmes paumées rencontrées au pub, des buveurs de bière, Jackie va le provoquer sur son terrain, il la trouve séduisante, un peu comme toutes les femmes quil rencontre, elle va le piéger jusquà quon se retrouve dans une situation cocasse où cest cet homme qui proteste quelle ne cherchait quà baiser quand elle le quitte en pleine nuit, il aurait voulu parler ce nest donc pas un monstre à 100%, personne nest monstrueux à temps plein La réalisatrice prend le parti de filmer le sexe frontalement sagissant de létreinte de Jackie et de cet homme détesté, les réactions du corps de Jackie sont à limage de la violence de ses sentiments, sa jouissance proportionnelle à la haine, cest bien vu, sans concession.
Cest lhistoire dune vengeance et de limpossible réparation des traumatismes par la vengeance qui emmure dans le passé, privant de toute possibilité de résilience, car le film est plus optimiste quil ny paraît. Tenant sa vengeance sur un plateau, Jackie en y renonçant, pourra recommencer à vivre et à renouer des contacts, en acceptant le deuil, elle sortira du noir du local de surveillance Une parabole extrêmement touchante de cette possibilité de revivre tient en lhistoire muette en images du monsieur avec son chien : quelques images avec la progression du mal du gros chien pataud qui suit son maître, à la première image, on voit ce monsieur et ce gros chien en laisse, à la seconde, on remarque les difficultés de lanimal à se déplacer, ensuite, sortie dans la rue, Jackie entend ce bouleversant «viens, on va rentrer se soigner à la maison, fiffille», le chien malade, le seul compagnon de lhomme, cest à pleurer, plus tard, de son local, Jackie aperçoit le monsieur qui sort avec son chien enveloppé dans une grande couverture, jai du mal à décrire la scène tellement cest triste, tout le chagrin du monde tient en cet instant dans lamour de cet homme pour son chien, cet animal quil doit accompagner au seuil de la vie, sans doute chez un vétérinaire A la fin du film, Jackie rencontrera le même monsieur avec un autre chien tout fringant preuve quon peut recommencer sa vie, surmonter le deuil
Un film difficile à voir, très physique et suscitant lempathie immédiate et la tristesse au point que le message despoir final est bien dilué dans le choc de ce quon vient de voir deux heures durant, on sort abattu, la route du pardon est longue
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