
« The Roman spring of Mrs Stone » (« Le Visage du plaisir », 1961) : un diamant brut du coffret Tennessee Williams!

Karen Stone (Vivien Leigh), actrice déclinante, se rend compte avec lucidité de la médiocrité de sa prestation dans sa dernière pièce à Broadway. Cest surtout lâge du rôle quelle na plus, comme le lui fait remarquer Meg, son ancienne camarade de collège qui ne la ménage pas. Karen demande alors à son mari et producteur de ses spectacles de retirer la pièce de laffiche et de partir ensemble en voyage. Malheureusement, dans lavion de New-York à Rome, son mari meurt dune crise cardiaque en vol, Karen arrive donc seule en Italie.
Installée dans un bel appartement surplombant la piazza del Spagna, Karen Stone sait quelle nest pas loin de «partir à la dérive» selon ses propres mots. Repérée par la fausse comtesse Gonzales, redoutable mère maquerelle qui vend des gigolos aux riches et vieilles américaines en séjour à Rome, surnommées «les louves», Karen fait la connaissance du beau et indolent Paolo di Leo (Warren Beatty). Persuadée quelle doit être aimée pour elle-même ou plus du tout, Karen résiste le temps quil faut pour tomber irrémédiablement amoureuse de Paolo, aussi stupide que cupide. Si Paolo est tenté dans un premier temps dadmirer la grande dame en Karen, leur première nuit ensemble sonnera le glas de cette relation destime. Le lendemain du début de lintimité entre les deux, Karen porte exceptionnellement un tailleur rouge sang et sort de linstitut Elisabeth Arden, ayant changé de coiffure pour une coupe plus courte. Une relation de quiproquos virant à lhumiliation réciproque sinstalle lentement dans ce couple improbable : elle se moque de lui quand il frime avec les costumes en cashemere quelle lui offre, il la remet durement à sa place quand elle joue les jeunes filles énamourées.
En parallèle, du début à la fin du film, un jeune clochard, installé sous ses fenêtres, épie Karen quand il ne la suit pas dans la rue, une métaphore assez simple du visage de la mort quand la traduction française alerte de « The Roman Spring of Mrs Stone » est « Le Visage du plaisir ». Le prix du plaisir, à lâge de Karen, ce serait donc la mort de la jeunesse et des illusions, un désir non assumé, la mort dans lâme. Ce qui caractérise les personnages de ce film, cest la non acceptation de leur condition : si il nest plus à démontrer que Karen Stone/Vivien Leigh ne supporte pas de vieillir, le personnage de Paolo ne supporte pas sa condition sociale, même adoucie par largent des généreuses donatrices, il appelle plusieurs fois le glorieux passé de Rome à la rescousse pour lopposer à lenvahisseur américain. Warren Beatty, dont cétait le second grand rôle au cinéma après « La Fièvre dans le sang », avait également quelque chose de commun avec son personnage : malgré les apparences, il nétait pas devenu star du jour au lendemain (frère de Shirley Mac Laine et petit ami de Natalie Wood), au contraire, il avait passé des années à galèrer à NY avant dêtre reconnu, une reconnaissance quil attendrait encore après ce film très mal accueilli par la critique.
José Quintero, metteur en scène de théâtre, réalisait ici son premier film, on ne peut pas dire quil sagisse dun génie de limage mais la réalisation est honnête et surtout la direction dacteurs exceptionnelle. On peut être agacé par laccent italien en parlant anglais auquel sapplique exagérément Warren Beatty mais dans lensemble, le casting est impeccable dont le second rôle de la comtesse Gonzales (Lotte Lenya), primé aux Oscars. On note Jill Saint John dans le rôle de Barbara, la jeune actrice rivale de Karen Stone, une pimpante jeune femme aux cheveux roux carotte qui, pour lanecdote, restera toute sa carrière dans lombre de Natalie Wood, sa meilleure amie, et épousera dailleurs son mari après que cette dernière se soit tragiquement noyée sur leur bateau.
Vivien Leigh a fait preuve dun courage admirable pour avoir accepté par deux fois de jouer, en miroir avec le déclin de son existence, ces femmes trop jolies, au seuil de la date de péremption de leur jeunesse, niant la fin de leur séduction. La voix de lactrice, grave, rauque, éraillée, est infiniment touchante, ses manières de vieille petite fille modèle dans une garde-robe somptueuse en font une icône à la "Sunset boulevard" version pastel. Ah, la garde-robe de linconsolable Karen Stone, en ravirait plus dune : manteau en satin doré, robe en soie mordorée, manteau en soie brochée bleu Nattier avec sac du soir assorti, divine robe mauve en mousseline avec escarpins en satin mauve, tailleur bleu ciel et accessoires blanc crème, robe longue drapée en crêpe vert amande, déshabillé et mules en satin ivoire, robe en soie beige chair (la dernière). Une poupée triste et désespérée refusant limage que lui renvoie son miroir. Pour une fois, en 1961, la fin du film est courageuse, est-ce la noirceur de cet aller simple pour les enfers qui a privé le film de succès à sa sortie, cest bien possible .
DVD vu dans le cadre du coffret Tennessee Williams qui contient «The Roman spring of Mrs Stone», «Un Tramway nommé désir », «La Nuit de lIguane», «Une Chatte sur un toit brûlant» et «Doux oiseaux de la jeunesse» . Ce coffret de 5 DVD ne contient malheureusement pas le génial "Soudain l’été dernier".
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