ANGEL : Autant en emporte Ozon/Avant-Première

Tout au long du film, on pense inévitablement à «Autant en emporte le vent», pas seulement à cause de la volonté manifeste d’Ozon de récréer un film des années 40 avec les codes de l’époque, mais à cause du personnage féminin qui a tant emprunté à Scarlett O’Hara… Sauf qu’Angel n’est pas foncièrement sympathique… Car c’est en portant un jugement sur son personnage que le réalisateur casse les codes des films de l’époque et on sait depuis « Huit femmes » combien Ozon aime casser ses poupées.

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Quelques réponses de François Ozon à l’avant-première du film… (21 février 2007)
Contrairement à la mésaventure que raconte le photographe Richard Bellia dans son blog du festival de Berlin sur Arte (superbe) où se pointant à un rendez-vous pour photographier Ozon venu présenter son film à la Berlinale, il se retrouva face à la porte fermée d’une suite (il fera donc la photo de la porte…), le réalisateur ayant soudain quitté les lieux sous son nez… A l’avant-première de son film organisée par « Positif » à Beaubourg hier soir, l’homme est venu, beau et souriant, en jean, pull noir et blouson de cuir, répondre à quelques questions de Michel Ciment avant la projection. Ce dernier lui fait d’abord remarquer en plaisantant à moitié que Ozon c’est «Osons» en Lacanien appliqué… Et François Ozon de répondre «ma mère s’appelait Godard!» Pour le reste, rien de révolutionnaire dans ce mini-échange bien qu’Ozon ait dit l’essentiel : « Angel » est tiré d’un livre d’Elisabeth Taylor, l’écrivain anglais (pas «La mégère apprivoisée» de Burton) pourquoi Ozon a-t-il adapté ce roman, parce qu’aussitôt qu’il l’a lu, il est tombé amoureux d’Angel, l’héroïne… Il s’agit d’un mélo Edwardien (et non pas Victorien) où François Ozon s’est amusé à tester si les codes des années 30/40 au cinéma fonctionnent toujours aujourd’hui. Le point commun avec son film « Swimming pool » c’est le portrait d’une femme écrivain face aux affres de la création et la langue anglaise (dont la présence de Charlotte Rampling). « Angel » fut tourné à Londres en anglais avec des acteurs anglais. Mais quels sont donc les modèles de stars hollywoodiennes qui hantent et inspirent Ozon? Liz Taylor (l’actrice cette fois…) et Bette Davis… (Et on verra dans le film que l’actrice choisie pour le rôle d’Angel a un peu de ces deux-là, sorte d’hybride…) Dernière question sur l’influence de Fassbinder sur son cinéma dont Ozon a adapté «Gouttes d’eau sur pierres brûlantes», réponse : Ozon, lui, a fait mélo revendiqué mais avec de la distance… Une distance qui pourra dérouter le spectateur…

Dès le générique, une musique de grand film romantique Hollywoodien nous emporte pendant que sont filmés des pas dans la neige, souliers et bas des jupons bleus des jeunes filles en uniformes. Angel Deverell, longue brune au teint pâle et au regard fiévreux, arrive en retard en classe. Sommée de rendre son devoir sur la description de sa maison, Angel va réciter sa dissertation sans la lire, éperdue par son récit, quand l’institutrice lui remet le pied dans la réalité en lui faisant remarquer qu’elle habite au dessus de l’épicerie de sa mère et non pas un palais ! Quand on lui demande quels auteurs elle a plagié, elle répond qu’elle n’a pas le temps de lire, qu’au mieux, elle joue de la harpe… Plus tard, Angel devenue riche et célèbre, accueillera un visiteur, du fond du salon de sa somptueuse demeure, drapée dans une immense robe-kimono en satin rose rebrodée de fleurettes en jouant de la harpe.

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Pendant que sa mère et sa tante, qui travaille comme servante dans la maison de ses rêves, taillent une bavette dans l’épicerie, Angel écrit un roman. Une tante Lottie mal lotie (hum !) d’avoir eu l’idée sacrilège de proposer à Angel d’être également domestique à «Paradise house» (la maison du paradis), se verra par la suite bannie, interdite de voir sa sœur, la mère d’Angel. Un habile crochet par quelques plans de « Paradise house » dont le fronton de la propriété, cette maison où Angel aurait tant voulu naître, achève la distribution des rôles : Angel, cachée derrière la grille du parc, entend une voix appeler une demoiselle Angelina (sorte de clone d’Angel en riche et aristo) qu’on ne verra pas…

Aussitôt envoyé, aussitôt publié ou presque, le roman d’Angel Deverell est un succès et on passe au pas de charge les années suivantes avec quelques romans qui défilent en arrière plan sur l’écran à toute vitesse… Non seulement, il n’y a aucun souci de réalisme, au contraire, mais on a oublié que dans ce genre de cinéma, le réalisateur modifie son récit à l’instinct, la crédibilité étant le cadet de ses soucis, quelle liberté et quel étonnement pour nous aujourd’hui habitués à un cinéma près du réel.

Devenue célèbre, riche et adulée du tout Londres, Angel ne devient pas capricieuse, odieuse, autoritaire, car elle l’était déjà, ayant rodé ses talents sur sa mère et sa tante. A présent, sont au nombres des victimes, son éditeur, son personnel et Nora, la fidèle. Fille de Lord Norley, un noble de la région natale d’Angel, Nora, vieille fille compassée écrivant des poèmes jamais publiés, représente pour Angel l’origine sociale à laquelle elle s’identifie, lui apportant en retour la célébrité que l’autre n’aura jamais.

Les personnages peuvent être aisément décalqués de ceux de « Autant en emporte le vent ». Non seulement la parenté entre Angel et Scarlett O’Hara est criante, mais encore, Nora est un clone de Melanie dont le frère Esmé est le prince charmant aimé pour toujours… : un personnage hybride entre le terne Ashley Wilkes (le mari de Melanie) et le flamboyant Rhett Buttler qu’on ne présente plus…

Le caractère de Scarlett est appliqué à la lettre qu’on pourrait résumer en deux mots : odieuse mais irrésistible. Si on s’amuse à comparer les deux personnages, on se rend compte que leurs différences sont uniquement leur origine sociale et leurs conséquences sur leur début immédiat dans la vie. Tyrannique, capricieuse, frivole, égoïste, ravissante et aussi débordante de vitalité, de pulsion de vie et d’une implacable volonté, Angel est Scarlett. Quand Angel veut vivre adulte ses rêves d’enfant pauvre se fantasmant dans un château avec un prince charmant, et elle y arrivera, Scarlett, qui, à la différence de Angel, a connu l’opulence et le succès jeune, veut retrouver les splendeurs perdues du sud, et elle empruntera pour cela le même chemin, notamment en épousant le fiancé de sa sœur et Rhett Buttler pour leur argent. La débauche de dépenses de Scarlett dans la maison d’Atlanta financée par la fortune de Rhett Buttler est le modèle de la fièvre d’Angel rachetant Paradise House et multipliant les toilettes coûteuses et voyantes. Sans parler d’une robe en velours vert non sans rappeler celle que Scarlett se fabrique dans les rideaux de Tara pendant la guerre de Sécession…

Comme sans doute le réalisateur, on s’attache tardivement à Angel qui impose le respect par la force de sa volonté comme elle finira par séduire Hermione (Charlotte Rampling superbe en robe de soie mauve en hommage au «Taxi mauve»), la femme de son éditeur, à qui elle déplaît pourtant depuis le début. Angel agace autant qu’elle fascine par son déni absolu de la réalité selon sa devise «to wish and to wish and to make it true» (le désirer tant que ça en devienne vrai) : toute sa vie, Angel va refuser la réalité, se donnant les moyens matériels de vivre les rêves de ses romans à l’eau de rose. La vie intérieure d’Angel est si vampirisante qu’Esmé, au moment de faire son portrait, aura cette remarque "comment peindre quelqu’un dont on ignore ce qu’il y à l’intérieur?". Révoltée par le départ de son mari pour le front, forcée d’accepter la réalité pour un temps, Angel tentera de prêcher la paix dans deux de ses livres, mais ses lecteurs ne suivront pas. L’exemple des relations d’Angel avec sa mère est éloquent : devenue un écrivain célèbre et célébré, Angel interdit à sa mère de retourner à l’épicerie ou de fréquenter sa sœur, l’obligeant à porter des robes luxueuses en soie noire et dentelles, qui l’engoncent à l’asphyxier, et lui faisant donner des leçons de piano. Privée de toute activité, la mère, interdite également de porter un plateau ou une malle, attendra son dernier soupir sur son lit de mort pour confesser qu’elle regrette le temps ou sa sœur Lottie venait les voir à l’épicerie… Quand un journaliste local osera rappeler les mérites de l’épicière, Angel le fera taire, jurant que sa mère était en vérité une pianiste de talent! On l’entend même dire en apparté que petit à petit, il lui semble qu’elle n’a plus de passé, qu’un jour, elle n’y croira plus elle-même…


Dans le personnage du mari, Esmé, Ozon a mis beaucoup de choses qui lui tiennent à cœur, notamment la création artistique car Esmé est un artiste méconnu de son vivant à qui on préfère alors les peintres qui mettent de la couleur dans leurs toiles. Séducteur et flambeur, Esmé dont Angel tombe amoureuse à la première rencontre, possède la charisme de Rhett Buttler avec la nostalgie du devoir d’un Ashley Wilkes : moins débauché qu’il n’y paraît, Esmé essaye d’exister en tant que peintre face à une épouse occupant toute la place comme star de la littérature et en tant qu’homme en partant s’engager pour la guerre, et aussi, sans déflorer l’histoire… il finira par retourner d’une certaine manière dans son milieu d’origine…

Les acteurs sont inconnus en France, c’est tant mieux, Romola Garai/Angel, est une brune glaciale d’une beauté assez virile, physiquement, les références à Liz Taylor matinée de Bette Davis citées plus haut sont nettes, on pense aussi à Romy Schneider ou à Joan Crawford, ces femmes belles, fortes et courageuses. En aucun cas l’actrice ne rappelle Vivien Leigh, Romola Garai est plus masculine et moins séductrice, plus dure et insaisissable avec un regard mat impénétrable car elle a à reproduire en Angel une sorte fanatisme pour la littérature et l’effacement de son passé.

Bien qu’il y ait ce point commun de la femme écrivain et la création littéraire et l’Angleterre, Angel ne ressemble pas beaucoup à Swimming pool tout compte fait… Ozon joue avec les codes du film romantique mélo des années 40 Hollywoodiennes et les casse et les répare tout le long du film. Ne se décidant pas au premier ou au second degré, bien que parti pour la distanciation et s’attachant à ses personnages en cours de route, il nous offre les deux degrés de lecture, on aime et on juge à la fois, mais on aime… bien qu’on juge, c’est donc assez réussi! Même si il faut faire son deuil d’un sujet original au profit d’une synthèse assumée, Ozon piquant tout chez tout le monde pour le remixer ensuite, c’est un beau spectacle qui rassurera les défenseurs du cinéma ayant pour unique mission de faire rêver…

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Sortie du film en salles le 14 mars 2007

 

 

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zoliobi

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