BARRAVENTO Rétrospective Glauber Rocha

"Barravento" (1961) : le premier film de Glauber Rocha

Premier film de Glauber Rocha, c’est d’un pur chef d’oeuvre qu’il s’agit…

Filmé en noir et blanc dans un petit village de pêcheurs de la région de Bahia, «Barravento» (1961) contient déjà le message révolutionnaire tiers-mondiste que Rocha essayera de faire passer dans tous ses films jusqu’au dernier « L’Age de la terre » (Idade da terra) (1980), totalement décrié et boudé par la critique et le public avec quelques raisons… Je l’ai vu dans la foulée de « Barravento » dans le cadre de la rétrospective Glauber Rocha à Paris, il serait plus exact de dire que j’en ai vu une heure sur 2h40 car j’ai démissionné… Cette anti-symphonie comme le disait lui même Glauber Rocha de « L’Age de la terre », cette suite de paraboles est une épreuve visuelle et sonore… Démarrant comme un film psychédélique un peu hippie, ivre de mouvement, d’images, de sons, quasiment stroboscopique par moments, c’est du cinéma expérimental au sens du mot, une expérience… Mais je ne peux pas en dire davantage puisque je ne l’ai pas vu en entier, peut-être la semaine prochaine y retournerais-je…

Retour à Barravento…

Un village de pêcheurs sur la plage, les maisons posées sur le sable en bordure du littoral, pour avoir personnellement visité par hasard (en marchant un matin seule sur la plage) un village du même genre dans la région de Bahia à deux heures de Salvador, c’est d’une beauté paradisiaque, indescriptible… Bien que le film soit en noir et blanc, et peut-être justement parce qu’il est en noir et blanc, Rocha rend immédiatement visuellement compte de la dualité paradis/enfer, beauté insensée des lieux et pauvreté extrême de la population. Le ciel lourd nuageux, la mousse de l’écume sur la mer, le noir et blanc… et la musique omniprésente, les percussions ensorcelantes, obsédantes… La population afro-brésilienne de cette région, qui est le cœur du Brésil, et leurs croyances dans le condomblé, religion africaine avec le culte de la déesse de la mer (Yemanja). Dans le film, une jeune fille aux yeux clair sera vouée à Yemanja pour un an malgré sa couleur de peau qui la met à l’écart, seule blanche dans cette population noire.

Firmino revient de la ville en costume blanc qui voudrait libérer les siens de l’esclavage et l’analphabétisme «savez-vous pourquoi vous tirez ces filets? Pour enrichir les poches des blancs». Des patrons qui leur refuseront l’achat d’un filet neuf… Ils devront pêcher à «jangada» sur des petits radeaux sans filet dont certains ne reviendront pas, la jeune femme enceinte dont le compagnon est ramené mort sur la plage…


Au début du film, Rocha filme longuement les pêcheurs en train de tirer ensemble un filet, on sent beaucoup d’amour et de tendresse dans la façon qu’il a de filmer les dizaines de jambes nues des hommes qui balancent gracieusement au rythme des percussions en tirant le filet de pêche, cette acceptation tranquille et souriante du travail le plus ingrat, plus tard, les femmes, les enfants les rejoignent, au fond du filet, les poissons, enfin… On n’oublie jamais la musique, dans la joie, dans l’effort, dans la tristesse, les tambours et les danses accompagnent le quotidien, le soir, on fait cercle et chacun fait son numéro de samba au cœur du cercle, pour les fêtes, les femmes portent le costume traditionnel bahianais avec des grandes robes blanches et des turbans assortis sur la tête, abandonnant la samba pour les danses bahianaises d’origine africaine. Rocha filme les femmes bahianaises en blanc dansant et la procession vers la mer pour célébrer Yemanja. Quand survient le barravento (ouragan au propre et au figuré), la bande sonore passe du bruit des vagues (si zen et attractif) à celui de la tempête, des rafales de vent sur la plage, un son que Rocha stoppe net avec le retour d’un plan du beau temps.

C’est un film très moderne avec un génie du mouvement, des gros plans, des sons et un rythme visant la sensation autant que l’image, Rocha est parvenu à filmer ce qu’il ressentait : ce mélange de beauté et de précarité, de courage et d’indolence, de religion et de superstitions, et surtout cette obstination de ses compatriotes à ne pas se révolter qui le rendait malade. Une très belle scène pourtant ramène au cinéma américain plus traditionnel, c’est celle de la séduction d’Aruan, considéré par les villageois comme un dieu sans sexualité, par une somptueuse Sophia Loren brésilienne en robe blanche la nuit sur la plage : mandatée par Firmino pour briser les croyances superstitieuses de son peuple, la jeune femme va se baigner nue et attirer Aruan sur le sable dans une étreinte qui ressemble à celle fameuse de «Tant qu’il y aura des hommes».

Je n’ai pas réussi à parler de ce film comme je l’aurais voulu, comment dire que tout est parfait dans ce film? Les images, le mouvement, la sensualité, la beauté, la détresse, la musique, ces silhouettes sombres des hommes sur un radeau sur cette mer en noir et blanc filmées de la plage obscure, quelle merveille… Un premier film… si on se posait encore la question de savoir pourquoi ce mythe du génie de Glauber Rocha 20 après sa mort, ici, on a immédiatement la réponse…

Les 6 films de la rétrospective à partir 20 décembre pour deux semaines…
"Barravento"

"Le Dieu noir et le diable blond" 

"Terre en transe"

"Antonio das mortes"

"Histoire du Brésil"

"L’Age de la terre"

 

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Posted by:

zoliobi

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