« Chronique d’un scandale » : neutralité émotionnelle garantie…

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Ce film ne comporte qu’une attraction réelle : la curiosité d’aller voir pourquoi les deux actrices principales, Judi Dench et Cate Blanchett, ont été nominées pour l’Oscar de la meilleure actrice (pour finalement céder leur place à Helen Mirren). Je ne suis pas certaine qu’on ait obtenu la réponse en sortant, tant il est difficile de s’extasier sur le jeu des actrices dans un film terne et poussif où la plupart des situations se juxtaposent plus qu’elle ne s’enchaînent, où les relations entre les personnages principaux n’existent que sur ordinateur.

Lors d’une rentrée scolaire, Barbara, enseignante revêche et aigrie, voit arriver avec suspicion et convoitise le nouveau prof de dessin, Sheba, ravissante quadra bobo qui plaît à tout le monde. D’entrée, le tableau de l’école est noir c’est noir et ce qu’en pense Barbara (pour le spectateur, les commentaires en voix off pendant qu’elle écrit son journal) est raccord : des élèves qu’elle juge au vitriol comme les futurs plombiers ou les futurs terroristes avec cocaïne, revues porno et cigarettes à portée de main… Des élèves qui le lui rendent bien «ça vient grand-mère?» Mais Barbara est respectée, car, comme elle le dit elle-même, c’est une peau de vache. C’est d’ailleurs en défendant Sheba qui se fait insulter par un élève qu’elles font connaissance. Jusque-là, tout va bien. Dès que le réalisateur enclenche sur les relations entre les deux femmes, ça devient incrédible.

Pour ne pas perdre de temps, le scénario s’emballe : sans doute pour la remercier, Sheba invite aussitôt Barbara à déjeuner chez elle. Moment touchant où la vieille fille va se faire belle : achat de vêtements neufs, coiffeur, talons hauts. La famille de Sheba n’est pas le paradis des autres sans solitude qu’imaginait Barbara : il y règne un grand laisser aller, le mari a l’air fatigué, usé, beaucoup plus âgé de Barbara, un enfant trisomique est choyé mais on devine les soucis depuis sa naissance, après déjeuner, on danse pour s’étourdir.

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Dès qu’on met en scène les deux femmes, on entre de plain-pied dans l’invraisemblance : à l’heure du café, sans transitions, Sheba raconte toute sa vie à Barbara comme elle le ferait avec une psychothérapeute sans qu’on comprenne pourquoi ce flot de confidences et cette confiance en cette femme rébarbative. Peu de temps après, Barbara surprend par hasard une étreinte de Sheba avec Steven Connelly, un élève de quinze ans. Sans censurer une minute sa réaction, Barbara passe à l’acte et convoque immédiatement Sheba pour la menacer de tout révéler si elle ne plaque pas aussitôt le jeune homme. Le pire, c’est que Sheba, non seulement, lui obéit et promet de ne pas revoir Steven, mais encore, lui raconte par le menu la genèse de sa relation avec cet élève à qui elle donnait des cours particuliers de dessin. S’en suit une longue confession en flash-back censé révéler une histoire d’une grande banalité et que, par surcroît, le spectateur connaît déjà. En voulant opérer à un décalage sophistiqué qui fait que le spectateur est plus informé que les protagonistes, le récit s’en sort mal, bancal et banalisé.

La psychologie des deux femmes et leurs relations ne fonctionnent pas. Barbara assumerait ses pulsions et tricoterait son piège à jeunes femmes avec cynisme, ne souffrant réellement que de solitude considérée comme une fatalité isolée. Quant à Sheba, elle ne s’apercevrait de rien, crédule au point de voir une amie en Barbara… Dans ces conditions, il aurait mieux valu traiter une relation dominant/dominé à la Losey pour crédibiliser la servilité de Sheba vis à vis de Barbara, cette faiblesse, presque cette soumission que n’expliquerait pas le seul chantage à balancer l’histoire de Steven à l’école…

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La seule bonne idée de scénario est celle d’un précédent, d’une récidive, le nom d’une autre jeune femme, ancienne collègue de l’école, Jennifer Dodd, cité par la sœur de Barbara, au détour d’une conversation, éveille, seul, la curiosité. Un filon qui ne sera pas exploité au mieux de ses possibilités en allant vers la banalisation de l’attirance de Barbara pour des collègues plus jeunes, alors qu’il aurait eût été avisé de jouer le tout pour le tout en faisant de Barbara un personnage carrément pathologique. C’est là où les personnages et leur relation sont ratés, Barbara est trop méchante pour une gentille et trop gentille pour une méchante, elle n’inspire rien, ni empathie, ni rejet. Sheba est à la fois séductrice et victime, n’inspirant, elle non plus, pas grand chose au spectateur si ce n’est la contemplation de la beauté originale de Cate Blanchett (non formatée bronzage californien et rhinoplastie du même chirurgien d’Hollywood) pour passer le temps… Neutralité émotionnelle garantie.

De surcroît, le film n’est pas exempt d’un pathos parfois de mauvais goût : le comble étant atteint quand Sheba doit choisir entre réconforter Barbara dans la rue, pendant que le vétérinaire est en train de piquer son chat mourant, et son fils trisomique qu’elle doit emmener en voiture à une fête de l’école ! ! ! Pour couronner le tout, l’image est systématiquement rougie de manière exagérée (assez laide) pour les scènes d’intérieur, la musique est souvent lourde et emphatique et la fin du film bascule dans l’hystérie censée dénoncer la curée collective et épingler le harcèlement des médias au passage (et on passe sur le déclencheur du scandale : l’improbable visite d’un collègue de Barbara, arrivé chez elle à l’improviste comme un cheveu sur la soupe lui faire des confidences).

En conclusion, si les actrices n’ont pas démérité, surtout Judi Dench impeccable quand on l’observe isolément, elles sont entraînées dans une rue sans issue…

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zoliobi

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