DOUBLE INDEMNITY : Assurance sur la mort / DVD

On nous annonçait une merveille de film réédité en DVD et c’est de bien pire qu’il s’agit… au point que j’ignore si je trouverais les mots pour (d)écrire mon enthousiasme à la vision de ce premier chef d’œuvre du film noir… Il est des films qui vous injecteraient le virus de la cinéphilie dès les premières images, il en fait partie…

Une définition très simple du film noir, c’est la correspondance entre les images et la noirceur intérieure de personnages : "Double indemnity" en est la parfaite démonstration, le directeur de la photo (John Seitz) utilisant jusqu’au génie les scènes dans la pénombre pour ne pas dire dans le noir quasi complet, usant et abusant de nombreuses projections sur les murs des lattes de volets, des barreaux des fenêtres, emprisonnant encore davantage les personnages dans leur funèbre dessein et funeste destin, utilisant même parfois des particules d’aluminium pour donner l’impression de la poussière.

"Double indemnity" est tiré d’un livre de James M Cain dont on avait déjà adapté au cinéma «Le Facteur sonne toujours deux fois» avec deux thèmes récurrents à la base du film noir non mafieux : l’insertion des personnages dans l’Amérique moyenne et le portrait de la femme adultère se muant en femme fatale.

Le film démarre somptueusement par une scène de nuit : une voiture roule sur une avenue et stoppe devant un immeuble : en sort une silhouette masculine, filmée de dos, un pardessus posé sur ses épaules. Quelques banalités échangées avec le gardien plus tard, l’homme entre dans son bureau plongé dans le noir, on pourrait croire à l’image du privé de retour dans son agence de détective… L’homme s’assied, prend une cigarette de sa main droite, l’allume de la même main, on se rend compte immédiatement qu’il a le bras gauche paralysé, qu’il doit être blessé, sans doute par balle… La faible lampe de bureau n’est allumée qu’en dernière extrémité, la pièce demeurant le plus longtemps possible dans la pénombre, l’homme attrape alors un microphone et raconte son histoire au dictaphone, la voix off enveloppera tout le film avec quelques rares retours sur cette image du narrateur au micro…

La première phrase du récit de Walter Neff définit l’essence du film noir «je l’ai fait pour l’argent, je l’ai fait pour une femme, je n’ai pas eu l’argent, je n’ai pas eu la femme…» tout est dit… C’est grandiose, il faut l’entendre en VO pour «percuter», comme on dit… «I did it for money, I did it for a woman…» Contrairement au polar ou au thriller, on connaît immédiatement le meurtrier : Walter Neff le dit lui-même au bout de quelques minutes : il a tué le mari de Phyllis Dietrichson…

La confession de Walter Neff, agent d’assurances, s’adresse au chef du contentieux, son supérieur hiérarchique : Keyses, obsessionnel des combines pour rouler les assurances, fouineur taraudé par un ulcère à l’estomac, plus tatillon qu’un inspecteur de police. Or Keyses, pour la première fois en 25 ans n’a pas démasqué un imposteur : son subordonné et ami Walter Neff, parce qu’il était «trop proche de lui» au propre et au figuré… (On verra à la fin du film l’émotion générée par cette simple phrase reprise par le chef «encore plus proche que ça», quelle beauté des dialogues distillés au goutte à goutte…)

Flash-back quelques mois auparavant : LA 1938 : Walter Neff, dont le métier consiste à faire du porte à porte pour vendre les assurances de la compagnie "Pacific all risk", va sonner à celle de la famille Dietrichson : le maître de maison absent, son épouse accepte de le recevoir, c’est ce qu’elle dit du haut de l’escalier pendant que l’employée de maison tente de mettre Neff à la porte : première apparition de Barbara Stanwyck (Phyllis Dietrichson) enroulée nue dans une serviette de bain, la perruque blonde à frange roulée sur le regard de vamp, disant qu’elle prenait un bain de soleil, Neff est sidéré au sens du mot : frappé par la foudre du coup de foudre… Deuxième vision de Barbara Stanwyck : un long plan sur des mollets de femme descendant l’escalier avec des mules à hauts talons et pompons en fourrure et une chaînette en or à la cheville enchaînant aussitôt l’imaginaire de Neff … Last but not least… troisième plan sur Phyllis, la femme fatale, mettant Neff au tapis en achevant de reboutonner sa robe tout en descendant l’escalier, une sorte de strip-tease à l’envers, torride…

Walter Neff, présenté comme victime de la femme fatale, séductrice et manipulatrice, a su tout de suite que Phyllis Dietrichson était une garce, ancienne infirmière que sa belle-fille Lola soupçonne d’avoir assassiné sa mère avant de se faire épouser par son père, ce Monsieur Dietrichson dont Phyllis veut maintenant se débarrasser et toucher ensuite son assurance vie. Mais pour cela, il faudrait décider son odieux mari à souscrire une assurance qu’il ne possède pas et pour le convaincre, Walter Neff est le pigeon providentiel… Bien que victime, Neff sait donc immédiatement à qui il a affaire, lors de leur second entretien, le couple s’insulte, ça n’empêchera pas Phyllis de venir le soir-même sonner chez Neff à l’improviste qui l’attendait…

Cependant, lors de sa confession finale à Keyses, Wilder donne une clé qui achève de remettre en question cette théorie de l’homme totalement manipulé par la femme de Pique : Neff dit que bien avant de rencontrer Phyllis, il a rêvé de rouler sa société d’assurances, de transgresser la loi, et il se compare au croupier voyant filer des fortunes dans un casino… On pourrait même aller plus loin en émettant l’hypothèse que Neff veut se mesurer à son supérieur Keyses dont il allume les cigarettes à longueur de journée… (on verra à la fin du film la force symbolique de ce geste… quelle merveille de simplicité apparente…) Dans ces conditions, c’est davantage d’un couple de loosers voulant changer leur destin qu’il s’agit, deux crapules de la classe moyenne, se donnant rendez-vous dans un supermarché, prêts à tout pour s’élever dans l’échelle sociale : un ascenseur pour l’échafaud bien que Wilder ait supprimé la fin initiale avec son anti-héros condamné à la chambre à gaz, fin qui avait accablé les spectateurs des projections tests et dont on a perdu les négatifs aujourd’hui. En supprimant cette fin macabrement mais logiquement moraliste, en la remplaçant par une autre fin plus sybilline, Wilder a sauvé son héros en lui accordant le pouvoir d’avoir inversé le cours des choses (il faut voir la scène finale pour le comprendre)…

Monter ce film n’est pas une mince affaire pour BW : personne n’en veut : ni les acteurs frileux pour leur réputation ni les scénaristes pour adapter le livre de James M Cain appartenant à un genre méprisé : le Pulp fiction…
Le casting : George Raft, acteur borné alors au faîte de sa gloire, ami d’enfance du maffioso Bugsy Siegel et spécialisé au cinéma dans le même type d’emploi, refuse le rôle principal, Billy Wilder choisit alors un acteur spécialisé dans des rôles sympathiques et la comédie : Fred Mac Murray (Walter Neff), c’est un choix pervers qui va changer la face du film, appelant l’empathie immédiate du spectateur pour un assassin… Pour le rôle de la garce, les actrices se défilent à Hollywood, BW convainc la plus star de toutes : Barbara Stanwyck (Phyllis Dietrichson) qu’il affuble d’une perruque blonde vulgaire loin de faire l’unanimité… Pourtant, elle est éblouissante : la scène de meurtre filmée sur le seul regard de Barbara Stanwyck (de l’opacité à la satisfaction muette) est un monument… Seul Edward G Robinson (Keyses) vient du film de gangsters où il a souvent joué les méchants, une image détournée ensuite car le rôle est en contre-emploi.

Le scénariste attitré de Billy Wilder s’étant désisté devant la crudité du roman de James M Cain, Raymond Chandler est appelé à la rescousse comme co-scénariste : une collaboration tournant rapidement à la détestation entre les deux hommes qui ne se supportent pas, l’un bon vivant ne tenant pas en place (Wilder), l’autre introverti et ancien alcoolique repenti (Chandler) recommençant à boire pendant l’écriture du scénario. BW en tirera même l’argument de son film suivant sur la déchéance d’un alcoolique «Le Poison».

Filmographie en film noir de BW :

Double Idemnity/Assurance sur la mort (1944)
Le Poison (1945)
Sunset boulevard/Bd du crépuscule (1949)
Témoin à charge (1957)
Fedora (1978)

+ quelques une des comédies de BW les plus célèbres :

Uniformes et jupon court (1942)
La Scandaleuse de Berlin (1948)
7 ans de réflexion (1955)
Sabrina (1955)
Certains l’aiment chaud (1959)
La Garçonnière (1961)
Irma la douce (1963)


Le DVD de «Double indemnity» ("Assurance sur la mort") étant assez onéreux (au moins 26 Euros), sorti il y a peu aux éditions Carlotta avec pas mal de bonus (dont l’adaptation tv 1973), il y a une alternative en attendant que les prix baissent… actuellement en salles en reprise ou en DVD (autour de 13 Euros*) «Sunset boulevard» ("Boulevard du crépuscule") avec Gloria Swanson et William Holden : un autre chef d’œuvre noir de Billy Wilder et je pèse mes mots…

* pour se faire une idée des prix des DVD sur le net : www.dvdpascher.net

 

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zoliobi

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