« I’m a cyborg but that’s Ok » : Virage à la comédie déjantée loufoque pour Park Chan-wook/Avant-Première

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Possible, probable qu’à sa sortie, ce film devienne aussitôt culte, étant donné son originalité, sa stylisation extrême et ses personnages hybrides entre humain et héros de BD, ses couleurs de bonbon anglais, son univers fantasmé entre rêve et réalité. Un film que le réalisateur Park Chan-wook, auteur déjà culte de la trilogie sur la violence composée de «Sympathy for Mr Vengeance», «Old boy» et «Lady vengeance», qualifie de comédie romantique…

Dans une usine d’ouvrières ayant l’air de poupées habillées de rouge sur fond vert, Young-Goon entend des voix transmises par les ondes radios dont une fatale qui lui dit de s’électrocuter en branchant des fils électriques sur les veines de son poignet.

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En parallèle, en avance sur l’événement, à la mère de YG, appelée dans le bureau des entrées de l’hôpital où a été transportée la jeune fille, la psychiatre pose des questions sur son enfance pour essayer de comprendre ce qui pu mener sa fille à cette TS. YG a été élevée par sa grand-mère car la mère n’avait pas le temps de s’en occuper. La mère, totalement barge, se plaint de son enfance à elle, avec sa mère, la grand-mère de YG, qui ne mangeait que des navets et nourrissait des souris en disant « ces souris sont mes filles ». La mère, qui tient un restaurant, elle, se sent proche de ses boudins, et interrompt l’entretien en commandant des kilos de boudins. C’est d’ailleurs en testant que sa fille aime le boudin, que la mère s’était rassurée, à tort, qu’elle ne tenait pas de sa grand-mère. Pour finir, la mère a fait enfermer la grand-mère dans un asile et YG ne s’en est pas remise d’autant qu’elle avait oublié son dentier, elle revoit souvent la scène où elle a couru après l’ambulance pour lui apporter son dentier. Arrivée dans l’HP, YG va se trouver confrontée à des personnages qui ont, comme elle, une particularité qui les met en marge de la société : tout comme YG se prend pour un cyborg, refuse de s’alimenter et suce des piles pour ses repas, ne parlant qu’aux distributeurs automatiques et aux néons, les autres patients sont enfermés chacun dans un univers particulier. Le réalisateur nous montre ses personnages faisant les fous «pour rire» (comme les enfants joueraient à la dînette*) dans une cour de récréation représentée par un HP stylisé, surcoloré et ludique où les pathologies seraient remplacées par des singularités, ce qui ne sera sans doute pas du goût de tout le monde… Non seulement la simplification est drastique mais encore la transgression du tabou des maladies psychiatriques, voire de la folie, où les schizophrènes, par exemple, incompris de la société, chercheraient refuge dans un monde voisin de l’enfance, est d’un angélisme qui laisse dubitatif… Chaque personnage (élaboré par le réalisateur pour son scénario après avoir consulté de vrais professionnels des HP) représente une catégorie de troubles psychiatriques à lui tout seul : il en ressort des personnages hyperstylisés autant dans le fond que dans la forme.

*Déclaration de Park Chan-wook : «je pense que I’m a cyborg fonctionne comme une récréation. les enfants se retrouvent, jouent des personnages différents, comme la maman, le papa, le fils, la fille, le médecin, l’infirmière, avec leurs petites dînettes en faisant semblant de bien tenir la maison… En réalité, les gens sont angoissés car ils ignorent le sens de leur existence et ceux qui sont plus angoissés que la normale sont placé dans un asile de fous. Incompris par les adultes… les enfants sont certains que leur univers est stable et logique. De même, les schizophrènes créent leur propre monde et s’y enferment. Cet asile est donc un grand jardin d’enfants…»

Dans cet univers où la place existerait pour la compréhension et la compassion des troubles, naît une histoire d’amour entre la jeune fille Young-goon qui se prend pour un cyborg et un jeune homme, Il-soon, qui a le pouvoir de voler les qualités et les défauts des gens. Il-soon, seul personnage à peu près normal, électricien dans la vie, travaille sur les chantiers pour payer ses hospitalisations et échapper à la prison. Car le traumatisme de IS est le suivant : sa mère l’a abandonné enfant en emportant les brosses à dents électriques de la maison, il en est devenu voleur. Enfermé en prison pour vol, il a été agressé à cause de beauté et depuis s’est cousu l’anus. Parmi les personnages de l’HP, une grosse femme boulimique hypercoquette en robe de chambre en soie rose mange les repas de YG qui, elle, préfère sucer des piles.

On ne peut d’empêcher de remarquer à quel point l’oralité est au cœur des troubles du film : l’anorexie de YG dont la grand-mère mangeait des navets et avait perdu son dentier et dont la mère, restauratrice, n’aime que le boudin, la boulimie de la coquette qui mange les repas de YG, l’anus cousu de Il-soon dont la mère était parti avec les brosses à dents de la famille, drôle de film à codes…

Pour sauver YG de la dénutrition et la convaincre de s’alimenter, IS va voler les qualités des uns et des autres pour l’aider à s’en sortir. Il y a le malade qui marche à reculons, se sentant coupable de tout, enfermé à la demande des victimes d’un accident de voiture qui ne supportaient plus qu’il les harcèlent pour s’excuser. La Mythomane qui perd la mémoire après chaque séance de sysmographie (pas drôle du tout les images des séances d’électrochocs, peut-on rire de tout ?). La boulimique coquette pouvant planer en dormant, IS va lui voler son pouvoir pour permettre à YG de s’échapper. Une anecdote amusante sur les différences culturelles liées à la géographie : quand on demande à PCW pourquoi Berne et la Suisse pour l’échappée belle des deux jeune gens et pourquoi ces chants tyroliens, il répond que pour les Coréens, c’est le comble de l’exotisme et du comique! ! !

Outre l’univers coloré et pastel, les tenues spécifiques des personnages les définissant comme la blouse immense de YG qui flotte dans ses vêtements, la salopette d’électricien de IS, la camisole mise à l’envers du malade qui marche à reculons ou la robe de chambre en soie rose de la coquette boulimique, on retiendra quelques détails ludiques qui vont faire mouche : les ongles de pieds multicolores et clignotants de YG quand elle est rechargée comme une pile. Le dézingage des soignants par YG pour venger sa grand-mère des «blanchots» (infirmiers) dont les mains deviennent alors des mitraillettes, vrai jeu vidéo dans le film. Le visage de poupée à la Amélie Poulain de YG avec les sourcils décolorés et des grands yeux ronds, une coiffure un peu à la «Old boy». Les masques de carton ou de plexiglas tranlucides de IS pour se cacher. L’album des sept péchés capitaux avec une liste revue et corrigée : la compassion, la tristesse, l’impatience, l’hésitation, imaginer des histoires, la culpabilité, la reconnaissance.

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Sur le fond :
Message de tolérance et d’espoir avec une démonstration sur l’exemple des pathologies psychiatriques envisagées comme des singularités des uns et des autres qui n’en feraient pas obligatoirement des fous à enfermer et qui pourraient même guérir grâce à la compassion et l’amour. Ainsi, l’histoire d’amour de YG et IS, enfermés dans leur solitude à l’intérieur de l’enfermement dans l’hôpital psychiatrique, Roméo et Juliette que leurs pathologies empêchent de communiquer mais que le partage de leurs différences, avec ce point commun de se réfugier dans le ludique et le virtuel d’une éternelle enfance pour échapper au monde cruel des adultes, va en fin de compte réunir. En cela, le film est aussi un conte romantique…

Sur la forme :
Film déroutant et visiblement créé ostensiblement pour dérouter, le réalisateur dont on connaît le génie à fabriquer des univers uniques, en fait beaucoup… au point que les univers les plus réussis de mon point de vue sont ceux des quelques souvenirs de personnages comme la maison de la grand-mère de YG, par exemple, qui rappelle davantage ceux des films précédents ancrés dans une réalité stylisée. La propension à la création de personnages atypiques inoubliables est démultipliée : le jeune homme sourd-muet aux cheveux verts de "Sympathy for Mr vengeance", voire la coiffure en pétard d’ "Old boy", préfiguraient déjà la tendance à habiller et coiffer les personnages de leur différences. Pour ma part, cet équilibre entre réalité et stylisation des films précédents étaient plus subtile que la déformation des personnages quasiment dessinés comme des jouets ou des poupées que sont ceux de «I’m a cyborg».

Avertissement : OFNI (objet filmique non identifié)!
A voir au moins deux fois : une fois pour la forme (envahissement de l’écran à la première vision) et une fois pour le fond (à tête reposée quand on connaît les personnages), c’est ce que j’ai fait la semaine dernière à Deauville lors de sa présentation au festival du film asiatique, j’y suis retournée le lendemain…

Prix Alfred-Bauer au festival de Berlin 2007, sortie en France prochainement.

 

 

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zoliobi

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