« LA CALIFORNIE » : Mythe ou quartier chic/Avant-Première/Un Certain regard Cannes 2006

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La Californie, ce portrait de la mer… La Californie, c’est un quartier résidentiel dans les hauteurs de Cannes ou le mirage de partir en Californie faire fortune…

Les hauteurs de Cannes la nuit, des immeubles cossus, des villas douillettes et luxueuses, c’est ainsi que débute le film. Un homme se rhabille en pleine nuit, une chambre plongée dans une semi-pénombre, un corps nu de femme allongé à plat ventre sur un lit, sa chevelure en bataille, l’homme prend des billets sur une table et descend l’escalier de la maison en silence. Dans le living-room, un désordre fatigué, des corps inconnus sur un canapé, une femme blonde dans la cuisine qui l’interpelle mollement «2 Stillnox et j’arrivais pas à dormir!», et encore «qu’est-ce qu’elle tenait!», on comprend que l’insomniaque parle de l’autre femme nue sur le lit en haut. L’homme roule sur une route de corniche la nuit, en ville, il s’arrête près d’un trottoir, une prostituée lui donne des billets, encore une, il repart, le jour se lève, alors, l’homme s’écroule enfin dormir sur un yacht amarré sur le port où l’attend un ami, un copain, un amant, on ne sait pas. On comprend que le yacht appartient à cette femme couchée au premier étage dans la villa.

Retour dans la villa le lendemain matin, une femme coquette entre deux âges se fait coiffer en protestant dans son dressing, le coiffeur se rebiffe gentiment, c’est qu’ils sont logés sur place, lui est son petit ami trop jeune accro des jeux vidéo. Katia, la femme blonde de la cuisine habite aussi dans la villa, c’est la confidente et le souffre-douleur de Maggy, la maîtresse de maison. Mirko, l’homme de la nuit est revenu avec Stefan, son alter ego, tous deux émigrés d’un pays qui n’existe plus : l’ex Yougoslavie. Tout ce petit monde, au statut hybride à la fois copain et employé, embourbé dans une oisiveté chronique, tourne en rond, que faire dans la journée, que manger pour déjeuner, où sortir tous les soirs trop boire avec déjà l’envie de rentrer. Pour ne rien faire, on s’habille, Maguy porte dès le lever des robes en dentelle noire, des bijoux de prix, le brushing laqué, les ongles longs carminés, Katia est vêtue de rose Barbie comme une vieille poupée, son chignon décoloré trop crêpé.

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Les détails de ce mode de vie perpétuellement assisté et hors de la réalité quotidienne sont très bien observés: pour aller regarder ce qui bouche le fond de la piscine que personne n’utilise, Maguy jette un manteau de vison sur ses épaules, comme d’autres un gilet pour jardiner, sur un ensemble pyjama en soie verte. Ainsi, le yacht ne sort jamais du quai, Maggy a le mal de mer rien qu’en traversant la passerelle. Quand Maggy sera ruinée, la cuisinière partie, elle désertera la salle à manger, se contentant de bricoler une petite omelette à la cuisine avec un fond de vin rouge en murmurant «on va se refaire!».

Les rapports entre les protagonistes sont sans illusions, Maguy paye, les autres la supportent mal, quand elle veut l’amour de Mirko, elle aura du sexe tarifié, de temps en temps, elle accuse Katia de vol pour se passer les nerfs, un conflit éclate autour d’un chemisier mal rangé, on pleure, on crie, on se réconcilie. Sa fille veut de l’argent pour installer un atelier de reliure, le coiffeur voudrait se faire payer un salon de coiffure, ce n’est jamais assez. Quand l’absence de Mirko est trop lourde, Maguy va dormir dans le lit de Katia comme deux collégiennes.

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L’arrivée d’Hélène, la fille de Maguy, qu’elle a abandonné à son sort depuis dix ans va lui présenter la facture expiatoire de sa démission maternelle : la gamine n’aime pas sa mère au point d’avoir renoncé à lui reprocher quoi que ce soit. Dans ce foutoir, Hélène se rapproche de Stefan, tous deux secrets et blessés, mais ce n’est pas du goût de Mirko qui perd les pédales, fou de jalousie. Comme dans une tragédie grecque, sur fond de rancunes et de frustrations, de passé trop lourd et de passif récent, A aime B qui aime C qui lui préfère D, tous les éléments sont en place pour l’inéluctable.

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L’atmosphère lourde et futile de la villa, jalonnée de plaisirs, de calculs et de rapports de force, est très réussie, on pense à ces films languissants des années 60 comme « Les Félins » (1964) de René Clément avec Jane Fonda et Alain Delon ou « Les Biches » (1968) de Chabrol avec Stéphane Audran et Jacqueline Sassart, ces ambiances troubles et oisives dans des riches villas de la côte d’azur.….

Dans cette partition sans retour de série noire, tirée d’ailleurs d’un livre de Simenon, il y a deux histoires d’amour sur fond de deuil et de cruauté : une histoire classique avec une tentative de happy end assez peu crédible. Et une sorte d’histoire d’amour à l’envers entre Maguy, la mère, et Mirko, le mac, l’une se sacrifiant pour sa fille en rachat de ses péchés, l’autre voulant se venger de son abandon, les deux essayant de s’aider mais traînant trop de fantômes, de remords et de regrets pour ne pas s’humilier l’un l’autre jusqu’à s’entretuer.
Casting et réalisation :

Le point fort du film, c’est ce portrait de femme vieillissante à la Vivien Leigh dans «Un Tramway nommé désir», ou, mieux, dans «Le Printemps romain de Mrs Stone» (rebaptisé en VF "Le Visage du plaisir"!!!), tous deux tirés de romans de Tennessee Williams comme le prénom Maguy (Maggie de «La Chatte sur un toit brûlant»). Nathalie Baye est excellente dans ce rôle de séductrice vieillie et désaxée, promise à une ruine proche, qui, sous les signes extérieurs d’un train de vie fastueux, va de renoncements en faillites, ayant dépassé la date de péremption de la séduction et n’ayant bientôt plus les moyens de payer ses gigolos et sa cour de parasites. L’actrice a subtilement saisi les tics de ces femmes capricieuses et dépressives qui parlent trop vite et rient trop fort, feignent de faire de leur vie une fête pour noyer dans le bourbon et les comprimés leur incurable sentiment de solitude. Je ne croyais pas Nathalie Baye capable d’une telle justesse, son renoncement à ce sourire figé systématique qu’elle a promené au cinéma trop d’années durant lui donne une force et une sensibilité insoupçonnées, la propulsant dans la cour des actrices qui peuvent tout jouer (mais je crois qu’elle l’avait déjà démontré dans son film précédent («Le petit lieutenant»).

A ses côtés, Roschdy Zem a un rôle assez jubilatoire de méchant, tordu, caractériel, un prédateur sombre, la boule à zéro, une grosse chaîne gourmette en or autour du cou, le regard impitoyable.

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Mention spéciale à Mylène Demongeot dans le rôle ingrat de Katia, la copine exutoire, grande actrice que l’on retrouve au cinéma au meilleur de son jeu depuis son retour dans "36 quai des Orfèvres".

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Ludivine Sagnier, dans le rôle de la fille de Maguy, Hélène, a comme à l’accoutumée un rôle dur de femme-enfant butée et introvertie, un personnage obscur de jeune femme de pique qu’elle interprète avec brio.

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Le réalisateur Jacques Fieschi est si connu dans le milieu du cinéma comme scénariste qu’on peine à se souvenir que c’est son premier film en tant que réalisateur. Dès les premiers plans, on sent qu’il connaît la musique d’un cinéma de qualité, les images sont belles et soignées, les mouvements de caméras étudiés sans effets gratuits, la lumière parfaite, et pendant la première partie du film, le rythme est fluide, nickel ; malheureusement, le film se dilue ensuite dans une seconde partie un peu longuette et éparpillée dans trop de détails sans grand intérêt qui lui font perdre de vue la colonne vertébrale du récit et on ne retrouvera pas l’état de grâce du premier mouvement. A vrai dire, sans Nathalie Baye à l’écran, sans ce personnage pathétique de Maggy, le film perd un peu de sa saveur, les autres rôles ayant nettement moins de relief. Dans l’ensemble, c’est quand même une réussite. Je gage qu’il aura du succès car c’est un beau film consensuel qui peut réunir tous les publics, amateurs de cinéma d’auteur ou de films plus grand public. Durée du film 1h47.

Film présenté à Cannes 2006 dans la section "Un Certain regard" et en compétition au Festival du film romantique de Cabourg du 8 au 11 juin 2006. Sortie officielle en salles : 25 octobre 2006

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zoliobi

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