« Le Nom des gens » : le film discret le plus craquant de la rentrée

Michel Leclerc, sortie 24 novembre 2010

Pitch

La rencontre d'un homme de 47 ans, introverti, adepte du risque zéro, et d'une jeune femme extravertie, engagée politiquement, qui couche avec ses ennemis pour les convertir à sa cause. Il est banal, elle est unique, ils vont vivre une histoire d'amour compliquée.


Deux personnages se présentent : Arthur Martin, 47 ans, terne, sérieux, bonnet de nuit. Baya Benmahmoud, beaucoup plus jeune, surexcitée, généreuse. Chacun a une histoire qui renvoie à l’Histoire. Les grand-parents d’Arthur Martin ont été déportés à Auschwitz, sa mère recueillie dans un orphelinat pendant la guerre a changé de nom, puis épousé Monsieur Martin. Les parents d’Arthur ne parlent jamais du passé, évitent tout sujet de conversation autre que des banalités. La mère de Baya, grande bourgeoise soixante-huitarde, vomissait l’argent, le pouvoir, ses origines sociales ; rencontrant un émigré algérien, qui avait toutes les qualités pour qu’elle défende ses droits, elle l’épouse, six ans après, il obtient des papiers grâce à elle mais elle continue à militer. Le traumatisme d’Arthur Martin, c’est ce silence parental sur ses origines, celui de Baya, qui l’a conduite à coucher avec tous les hommes, ce sont les leçons particulières d’un professeur de piano pédophile.
—–
 


photo UGC

Le film parle du pouvoir du non-dit, chez les Martin, tout réactive ce dont on ne veut pas se souvenir, encore moins parler, la TV, omniprésente, est un outil du film qui rappelle ce qu’on occulte, les émissions de TV sur l’holocauste, les témoignages des victimes des camps, jusqu’au jeu des chiffres et des lettres où un candidat trouve « génocide ». Chez les parents de Baya, la TV intervient aussi, on zappe d’une chaine à l’autre pour éviter les émissions sur les abus sexuels chez les enfants et la pédophilie.
Quand Baya rencontre Arthur, c’est pour l’engueuler, il est sur un plateau de radio en train de parler de l’a grippe aviaire, son métier, anatomo-pathologiste pour animaux, le conduit à faire des autopsies de poulets ou de canards atteints du virus H5N1. Baya lui dit qu’il la gave avec son principe de précaution, puis lui propose de coucher avec elle. Ce qu’il ne sait pas, ce que Baya a décidé d’être une putain politique, de coucher avec des fachos pour les convertir. Mais Arthur, trop coincé, refuse, il n’a pas le temps de coucher avec Baya. Ils ses reverront plus tard, l’introverti élevé dans le silence et l’extravertie grandie dans un joyeux bordel. C’est une histoire d’amour touchante, chacun voulant se mêler de faire le bonheur de l’autre avec des idées simples. Quand Baya décide de parler à la mère d’Arthur de son passé, elle va provoquer un drame, il y a un bénéfice dans le déni, la mère ne peut pas supporter d’être confrontée aux souvenirs. Pas plus que le père de Baya ne peut accepter la notion de plaisir qui « ne sert à rien », s’épuisant à rendre service au lieu de peindre, niant qu’il est un artiste.

 


photo UGC

Ce qui est bien fait dans ce film, entre autres choses, c’est de montrer les choses telles qu’on les perçoit ou qu’on les imagine, les fantasme. Par exemple, Arthur ne peut pas envisager son père jeune, on montre le père en flash-back, il y a 50 ans sur les bancs de la fac, avec son physique d’aujourd’hui d’homme de 75 ans, quand il épouse la mère d’Arthur, c’est pareil, on la montre, elle, jeune, lui déjà vieux. Sur les bancs de la fac, vient s’asseoir Arthur Martin, le fils, assis parmi les souvenirs de ses parents, pour commenter le tout. Ce procédé d’incorporer un personnage dans des souvenirs, de le faire parler face caméra, est périlleux mais dans ce film, à petites doses, bien amené, non seulement ça passe bien mais c’est très drôle.


photo UGC

C’est un film qui fait autant rire que pleurer et parfois les deux à la fois dans la même scène, ce qui est assez rare au cinéma, ce cygne mort qu’a Arthur dans les bras, empêtré dans une combinaison de travail en latex, les jambes immergées dans l’eau d’une rivière, quand le téléphone sonne, son père lui annonce un petit problème : la mort de sa mère et en même temps Baya accourt pour lui dire qu’elle l’aime. Des scènes comme celle-là, il y en a pléthore, le film déborde d’inventivité, d’énergie, de rythme, d’émotion, de comique de situation. Mais pas seulement, le film aborde avec fantaisie des sujets sérieux, s’infiltrant dans la jungle des clichés ordinaires pour leur tordre le cou, parlant de la société d’aujourd’hui avec ses traumatismes, ses non-dits, ses préjugés, de la résilience des uns, de la révolte des autres, de la résignation ou de la surenchère de la victimisation.

« Le Nom des gens » est un film merveilleux, cela fait des années que je n’ai pas vu un film français aussi original, intelligemment intelligent, débordant d’humour et d’émotion, tout ce qu’on attend d’un film est ici. Pour couronner le tout, Jacques Gamblin, un des meilleurs comédiens d’aujourd’hui, y est extraordinaire au delà du possible, entraînant avec lui Sara Forestier. En bonus, une petite incursion de Lionnel Jospin en personne, offert comme cadeau à Arthur Martin par Baya. Le film français le plus craquant de la rentrée, c’est lui, sans hésitation, ne passez pas à côté!

 

Notre note

5 out of 5 stars (5 / 5)

Mots clés: , , , ,

Partager l'article

Lire aussi

Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

Laisser un commentaire

Votre email ne sera pas publié. Remplissez les champs obligatoires (required):

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Back to Top