LES INNOCENTS/THE DREAMERS/DVD

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Bertolucci a donné la clé de son projet en disant qu’il voulait faire un film d’aujourd’hui en rêvant des sixties, mélanger présent et passé. Hormis les trois jeunes acteurs d’aujourd’hui, Jean-Pierre Léaud et Jean-Pierre Kalfon relisant le manifeste de Godard devant la cinémathèque comme Léaud l’avait fait en 68, tout le film est très nettement la tête dans le sable du passé («sous les pavés, la plage»…). Non seulement, la reconstitution des décors et les costumes des années 60 sont particulièrement soignés, avec cette esthétique colorée orange et vert qui préfigure les seventies, intégrée dans des sixties finissantes encore sages, mais de très nombreux documents d’archives de mai 68 sont insérés dans le film. Sans parler des extraits de films et des musiques d’époque : Françoise Hardy, Jimmy Hendrix, Eric Clapton, Janis Joplin, etc…

Quand Truffaut tournait «Antoine et Colette», premier film avec Antoine Doinel/JP Léaud sorti de l’enfance et MF Pisier irrésistible, il transposait dans le milieu des jeunesses musicales une déception amoureuse qu’il avait eu dans sa vie réelle avec une jeune fille de la cinémathèque. C’est au palais de Chaillot où se trouvait alors la cinémathèque que le film de Bertolucci, qui aurait voulu faire partie lui aussi de la Nouvelle Vague, se construit : une jeunesse qui préfère des films que des flics (sic) réagissant dans un premier temps à l’éviction du populaire directeur Henri Langlois, qui sera d’ailleurs réhabilité à la suite des manifs. Parmi ces cinéphiles obsessionnels, trois jeunes gens, privés de cinémathèque qui a fermé ses portes le temps des émeutes, mais la tête noyée dans les films. Deux plus un : des jumeaux : Isabelle et Théo plus Matthew, un jeune américain de 19 ans débarqué de sa Californie natale. La majeure partie du film se passe dans l’immense appartement des parents des jumeaux, une version trio et décomplexée des « Enfants terribles » de Cocteau avec le même enfermement, les mêmes rapports fusionnels, le même rituel des jeux de jeunes adultes qui ne veulent pas grandir.

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Dans un premier temps, Matthew est utilisé par les jumeaux pour sexualiser par son intermédiaire leur relation à tendance nettement incestueuse. L’Américain est l’innocent, le spectateur du film que se font le frère et la sœur par le truchement des films qu’ils voient à la cinémathèque. Leur jeu favori, qui était celui des passionnés de la Nouvelle vague, est de mimer une scène pour que les autres la reconnaissent et disent le titre du film. Au fur et à mesure des jeux, la relation triangulaire évolue apportant autant de questions que de réponses, Matthew passant subrepticement de l’innocence à la clairvoyance, extérieur par définition au duo solidement immergé dans l’enfance. Sous l’affiche rouge d’Anna Karina dans «La Chinoise» de Godard, on joue à «Bande à part» (également de Godard) et les trois s’en vont faire la course dans le Louvre. On mime des scènes de Greta Garbo dans «La Reine Christine», de Marlène Dietrich dans «Blonde Venus», de «Scarface», etc… Chaque gage va entraîner les jumeaux à annexer Matthew un peu plus loin dans leurs jeux sexuels. Pendant ce temps, et bien que Théo se dise concerné par la politique, les rues s’enflamment sans que les trois ne remarquent rien, leurs parents réfugiés à Trouville. Dans une scène où Matthew force Isabelle à sortir avec lui sans Théo, c’est la télévision dans une vitrine qui va leur donner des nouvelles des barricades et des manifs.

Pour moitié du film, les acteurs son nus, d’une nudité esthétique de statues, corps blancs, minces et lisses, poses très étudiées des tableaux anciens, avec, comme dans «Le Dernier tango à paris», la grande scène de la baignoire, la signature Bertolucci quand il tourne à Paris? Eva Green, vue aseptisée dans « Casino royale » il y a quelques jours, est une actrice au corps parfait, qu’on dirait dessiné sur un ordinateur, avec une façon de se comporter qui fait un peu penser à Charlotte Rampling jeune : la froideur, la blancheur de la peau, la perversité introvertie, à l’exception du regard myope. Mais dans l’ensemble, elle dégage un parfum de danger, comme Rampling. Le fils de Philippe Garrel, ressemble toujours autant à Jean-Pierre Léaud, mais contrairement à « Dans Paris », il est bien dirigé. Un bémol pour Michaël Pitt, poupée de porcelaine blondinet regard bleu, assez transparent, si c’est son rôle bien sûr d’être le jouet des deux autres, quand son personnage prend du recul, il ne fait plus le poids.

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Dans l’ensemble, on sent le plaisir ostensible du réalisateur à filmer ces acteurs très jeunes avec une grande complaisance à les déshabiller pour un oui pour un non, sans que l’action le nécessite vraiment. L’esthétique prend le dessus, on est souvent plus dans le tableau vivant que dans la représentation de la vie. La nostalgie a des dimensions telles que la proportion des extraits et des archives (on voit et revoit les images de Godard, Truffaut, Léaud, Belmondo, Langlois, Barbet Schroder en 68) vampirise en partie le film. Quant à la présence des deux acteurs (Léaud et Kalfon) quarante ans plus tard avec les images d’hier et d’aujourd’hui, ça donne un côté commémoratif très lourd, ils ont eu du courage d’accepter le rôle. Ceci dit, c’est du travail d’orfèvre, Bertolucci est un grand pro, et le film, entre culte du passé et de la beauté, est plutôt plaisant à regarder.

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PS. Ce film passe actuellement sur les chaîne du câble/satellite.

 

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zoliobi

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