« Libéro » : le métier de père/Avant-Première au festival Européen

"Le Métier de père" critique de Libéro ("Anche Libéro va bene" )
par Sylvain Etiret

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Un père, Renato Benetti (Kim Rossi Stuart), élève seul ses deux enfants, Tommi (Alessandro Morace), 11 ans, et sa sœur aînée, Viola (Marta Nobili). Seul? Pas tout à fait. On apprend rapidement que la mère, Stefania (Barbora Bobulova), les a en fait plantés là lorsqu’elle tente un retour piteux sous l’engueulade copieuse de Renato et l’accueil des enfants, enthousiaste pour l’une, Viola, sceptique pour l’autre, Tommi : «de toute façon, elle repartira». La famille tente une période de réunion avant que la mère, Stefania, visiblement instable et névrosée, renoue avec son passé/passif de fugue et adultère.

Cameraman free lance, Renato se débat non seulement dans son rôle de papa poule aux prises avec deux moussaillons sympas mais ingérables, mais également avec des problèmes d’emploi et une précarité relative. Pas de quoi crier misère, mais des raisons de faire attention à tout : aux dépenses courantes, au montant de l’argent de poche des enfants, au menu du dîner … à toutes ces petites choses superflues qui font qu’on ne se sent pas au large… et on mesure d’autant plus la différence sociale avec les nouveaux voisins cossus qui viennent d’emménager. L’ambiance générale est envenimée par le caractère entier du père qui n’hésite pas à se mettre en colère plus ou moins utilement pour se faire respecter.

Le jeune Tommi, navigue entre plusieurs mondes qui correspondent aux quatre lieux où se passe le film avec chacun un décor et une lumière précise : l’école, la piscine, l’immeuble, le toit de l’immeuble.
Le monde de l’école où Tommi n’a pas vraiment de copain, si ce n’est le nouveau, Claudio, arrivé en cours d’année, qui, bien que du même âge que ses camarades, mesure une bonne tête de plus que les autres, muet depuis la mort de son père. Entre deux, Tommi tente bien de se faire une petite copine, mais sa maladresse lui fait prendre un râteau et il bat en retraite piteusement. Le monde du sport où il brille en natation de compétition, poussé par son père, alors qu’il dissimule une passion pour le football (libéro). Le monde de l’immeuble avec deux antennes, son foyer sous tutelle paternelle et l’appartement luxueux des riches voisins qui lui offrent un séjour aux sports d’hiver. Enfin, son monde à lui, sur le toit, une niche à ciel ouvert où Tommi peut se retirer et multiplier les bêtises comme au bord du précipice, où il tentera bien d’inviter le fils du voisin sans réussir à lui faire partager son jardin secret. Pendant ce temps, la mère et la sœur s’entendent à merveille quand la mère est là car, en proie à une nymphomanie compulsive, elle ne tarde pas à déserter à nouveau le domicile conjugal.

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Le personnage central est en réalité allégorique, constitué du duo père – fils, comme exemplaire de la masculinité à travers le temps, cellede l’enfance et celle de l’âge adulte, aux prises avec le mystère féminin représenté par le duo mère – fille quel que soit l’âge auquel on l’observe. Les mêmes passions, les mêmes incompréhensions, se dressent devant Renato comme devant Tommi. «Sale pute!», crie le père à la mère sans pouvoir s’empêcher d’en accepter tout sous la sidération de l’affrontement inégal. Comment espérer d’ailleurs une quelconque égalité devant un adversaire venu d’une autre planète où les codes et les références sont si opaques? Pourquoi elles viennent, pourquoi elles partent, pourquoi maintenant? Elles, magnanimes, peuvent bien faire l’aumône d’une explication, tout au plus un petit mot griffonné, les comprendra-t-on davantage pour autant? Mais fallait-il un film de plus sur ce sujet, quelle qu’en soit la qualité?

Et de qualités, le film n’en manque pourtant pas. La réflexion est suffisamment codée pour s’appuyer sur une histoire grossièrement crédible, servie par un panel d’acteurs visant objectivement davantage humblement à porter l’histoire qu’à se mettre en valeur. A cet égard, le jeune Alessandro Morace (Tommi) tire remarquablement son épingle du jeu, tout dans une sobriété que l’on n’attend généralement pas des tendances ordinairement cabotines des enfants-acteurs (Marta Nobili, la sœur, elle, n’échappe pas à ce travers). Barbora Bobulova (la mère) montre quant à elle que ce travers n’est pas le propre des enfants tandis que Kim Rossi Stuart adopte la Nanni Moretti attitude, y compris la barbe. Encore qu’il puisse peut-être y avoir quelque chose de culturel dans ce surjeu en rapport avec le caractère démonstratif du comportement latin.

Côté réalisation, Kim Rossi Stuart ne se laisse pas complètement emporter par l’enjeu ou par le plaisir de tourner son premier film. Pour un coup d’essai, la chose est assez réussie. Bien sûr, il abuse bien peut-être de quelques effets de mise en scène. Que ce soient des ambiances d’intérieur à la pénombre étudiée. Que ce soient des plongées vertigineuses d’un regard à pic du bord d’un toit. Que ce soit la surcharge symbolique de Tommi sautillant en déséquilibre de muret en muret au bord du précipice. Que ce soit le basculement de caméra sous l’eau / hors de l’eau figurant le regard du nageur de crawl. On y sent l’application, la recherche d’originalité et le désir de bien faire quoique ces tentations soient finalement relativement rares par rapport à l’ensemble du film.

Au bout du compte, si le film ramène à la libération de l’homme de sa dépendance viscérale au lien irraisonné mais raisonnable qui le retient dans le sillage de la féminité, il signe la libération d’un acteur de sa position d’interprète pour lui ouvrir une tribune à la réflexion et au renouveau réussi du cinéma italien.

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zoliobi

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