« Loin d’elle » : la mémoire en fuite / Avant-Première

18736413

Qu’il est ingrat de confesser ce voyage au bout de l’ennui s’agissant d’une belle histoire pleine de bons sentiments… Un homme seul en voiture s’en va sonner chez une dame qu’il ne connaît pas, c’est l’histoire au présent. Cet homme, Grant Anderson, se souvient des derniers temps à la maison chez eux quand sa femme Fiona a commencé à perdre la mémoire. C’est elle qui a voulu être enfermée dans une institution spécialisée dans la maladie d’Alzheimer. Il l’a supplié de ne pas s’en aller, puis, il s’est persuadé que c’était provisoire. Lors de leur première visite ensemble dans la clinique pour prendre date de l’arrivée de Fiona dans les lieux, on leur a fait visiter l’établissement. Il a refusé la visite du second étage, celui des cas irrécupérables, de ceux qui sont «partis» dans une amnésie totale. Au rez-de-chaussée, les malades se souviennent encore quelquefois, surtout des souvenirs anciens car ils ne mémorisent plus les événements proches. Très vite, Fiona a oublié Grant aussi et s’est amourachée d’Aubrey, un patient dépressif qu’elle n’a plus quitté, il a observé tout ça, près d’elle, loin d’elle. C’est l’épouse de ce rival inattendu qu’il va voir aujourd’hui, Marian, une forte femme peu compassionnelle. Les deux époques se rejoignent alors dans le film.

Le parti pris de la réalisatrice, c’est d’avoir coiffé, habillé et fait fonctionner ses personnages d’environ 70-75 ans comme si ils avaient subi leur vieillissement avec les vêtements et les habitudes de leur jeunesse, comme s’ils s’étaient desséchés sur pied, immobiles ; ainsi, Fiona porte de longs cheveux blanchis avec une coiffure de jeune fille, des jeans et des pulls d’étudiante ; ainsi, le couple, après 44 ans de vie commune, semble avoir une vie sexuelle inchangée, drôle de scène où Fiona demande à Grant de lui faire une dernière fois l’amour avant de la laisser dans la clinique et de lui dire adieu, ces deux êtres blanchis, fatigués, ridés, dans les draps blancs et la lumière blanche d’un purgatoire blanc…

Pour mettre un douloureux point sur le i, la photo de Fiona à 20 ans apparaît de façon récidivante en insertion, blondeur de Julie Christie jeune. Selon le même procédé, le contentieux des 44 ans de vie du couple est illustré par une photo de jeune fille brune, celle avec qui Grant lui était infidèle. La réalisatrice laisse entendre à maintes reprises que le refuge de Fiona dans l’oubli de tout serait une sorte de punition pour Grant dont on comprend qu’il était enseignant cédant aux sirènes de jeunes étudiantes et qu’il a démissionné il y a 20 ans pour prendre un nouveau départ avec sa femme Fiona. Ces images de la jeunesse semblent maladroitement collées par dessus les autres, artificielles, trop ou pas assez présentes, et surtout pas assez obsédantes comme ça aurait dû être leur effet en surimpression, bien qu’on comprenne où l’on veut en venir.

18736411

Un beau jour, Marian retire son mari de l’établissement, faute de pouvoir payer la pension, refusant de vendre sa maison à laquelle elle est très attachée. Une sorte de marché va s’installer entre les deux êtres encore bien portants qui voient chacun leur conjoint sombrer dans la maladie et s’aimer sans eux : Grant cédera aux avances de Marian en espérant pouvoir ramener Aubrey à Fiona pour la consoler, se raccrochant à une logique de la présence de l’autre de laquelle elle s’éloigne tous les jours.

Est-ce pour tamiser un tantinet l’ambiance totalement dépressive de cette clinique où chaque patient sombre ou sombrera inéluctablement dans l’amnésie, symbolisée par cette menace de les parquer au second, antichambre de la fin de la mémoire, que la réalisatrice a blanchi, délavé, amorti son film de tout stimulus émotionnel? Les voix sont douces et monocordes, désincarnées, parfois peu audibles, les lumières pâles et pâlies, délavées, la neige omniprésente (une scène repassant en boucle de Fiona perdues dans la neige), les conflits absents, la douleur muette, et un ballet de fantômes occupe le terrain deux heures durant. Les personnages subissent sans la moindre révolte, seule Marian, l’épouse du rival de Grant, conserve un peu d’humanité dans sa tentative désespérée de bonheur malgré tout.

On en arrive aux acteurs dont la seule connue est Julie Christie, à la fois ravissante et décomposée, filmée on ne peut plus cruellement alors que l’affiche du film la réprésente comme on ne la voit jamais avec une blondeur et un sourire seyants. Le choix (évoqué plus haut) d’avoir habillée et coiffé JC comme une femme jeune ayant oublié de changer d’habillement et de coiffure la vieillit avec une cruauté rarement égalée. Courage de l’actrice d’avoir accepté ce rôle mais on ne peut pourtant s’extasier sur sa prestation un rien affectée.

Ce n’est rien de dire qu’il ne se passe rien… Par pudeur sans doute, pas la moindre once de pathos, une émotion neutralisée, des échanges dévitalisés, certes, on peu saluer la réalisatrice d’avoir éviter l’écueil du mélo avec un sujet propice à l’apitoiement, les personnages conservent tous leur dignité et beaucoup de ce flegme anglais "never complain never explain". Pendant ce temps, la salle du cinéma Balzac ayant invité les membres du club dont un nombre certain ont l’âge du rôle, on se sent angoissé pour eux en espèrant qu’il ne céderont pas à l’identification. Pour les autres, l’ennui naquis de l’uniformité, on en mesure la profondeur pendant que les lentes allées et venues des personnages déréalisés et fantômatiques, tournent en rond tout en creusant leur mortel sillon d’oubli, anesthésiant le spectateur ankylosé par une monotonie lourde comme une nuit blanche. En ce sens, l’objectif du film de nous faire partager la mort éveillée de Fiona est réussie, on aimerait cependant un peu moins de perfection et un peu plus de réalité dans leur comportement frisant la sainteté.

Un film atone, lent et pudique, empli de langueur et de sentiments contenus, étranglés, gommés, craignant à ce point d’en faire trop qu’il en oublie presque de raconter, mais puisqu’on parle justement d’oubli… Un film dont on sent qu’il peut indifféremment enchanter ou barber selon sa sensibilité, son degré de projection sur la situation et son état d’esprit. Individus sujets au spleen, s’abstenir !

NB. Les images du film publiées, et surtout celle de l’affiche souriante…, ne réflètent en rien l’ambiance du film.

Partager l'article

Posted by:

zoliobi

Laisser un commentaire

Votre email ne sera pas publié. Remplissez les champs obligatoires (required):

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Back to Top