Cinéma Iranien à l’AFF (Asian Film Festival) de Deauville : « Death is my profession » et « Mourning »

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dernière minute! « Mourning » : Grand Prix du 14° Festival du Film asiatique de Deauville (11 mars 2012)

Deux films Iraniens cette année dans la compétition du 14° festival du film asiatique de Deauville. Deux films qui vont compter (à mon avis) au moment de la remise des prix dimanche : le premier est le seul film qui prend vraiment « aux tripes », comme on dit, « Death is my profession », un tableau de la précarité et du désespoir extrêmes dans un village Iranien ; le second film « Mourning » (« Querelles ») est un tour de force d’un film réalisé avec très peu de moyens qui a une idée principale de mise en scène très forte. Dans les deux cas, la qualité de la réalisation est au rendez-vous, dans le premier film c’est particulièrement bien filmé au sens des images, souvent choc, qu’on peut prendre les unes après les autres et qui sont toujours cadrées au millimètre avec un sens aigu de la perspective, dans le second, on salue l’inventivité et la maîtrise.

« Death is my profession » de Amir Hossein Saghafi (Iran)


Pitch.
Dans une région montagneuse en Iran, trois ouvriers au chômage volent des câbles de lignes d’électricité à haute tension afin de les revendre pour nourrir leur famille quand survient un accident qui entraîne un homicide.

—— 

Trois hommes se dirigent vers des pylônes d’électricité à haute tension dont ils sectionnent les câbles afin de les revendre. On comprend rapidement qu’ils en sont arrivés là après la fermeture d’une usine qui les a mis au chômage. En vérité, les trois hommes travaillent pour le compte d’un escroc qui se ne salit pas les mains lui-même. Ce jour-là, l’un d’entre eux est électrocuté, son corps pendra longtemps dans le vide comme un pendu à un arbre en fer, le pylône. Pire que tout, un paysan, qu’on a découvert rejeté par une fiancée qui le trouve trop vieux, vient demander des comptes aux voleurs de câbles. L’un d’entre eux perd les pédales et le roue de coups, à mort, il est arrêté par la police. Reste le troisième qui, roulé par son patron, comprend qu’il doit s’enfuir.

S’en suivent deux exodes en parallèle : le troisième voleur de câbles qui emmène sa petite fille avec lui, l’adjoint du policier (un jeune militaire de corvée) qui finit la route seul avec le meurtrier du paysan après 50 jours de voiture dans la neige où ils étaient au départ trois : le policier, l’adjoint, le prisonnier. Ce double chemin de croix occupe la moitié du récit. Mais, auparavant, il a été donné de voir les conditions de vie dans le village, l’habitat avec une seule pièce, un sol bétonné, troué en son centre pour y faire du feu, des habits de toute une famille qui tiennent dans une malle, un téléphone archaïque pour l’ensemble du village, etc…

Particulièrement bien filmé, cadré, avec à l’écran des sortes de tableaux expiatoires de ces hommes présentés comme des damnés de l’existence, des forçats se traînant dans la neige par instinct de survie, alors qu’ils ont tout perdu, pour retarder une mort imminente, « Death is my profession » est triste à mourir. Evidemment, on en rajoute parfois un peu trop, quand il y a déjà tant de de morts en sursis dans le film, comme cette mère larmoyante, se plaignant de sa vue déclinante avec un collyre en attendant son fils, mais c’est dans la seconde partie du film. La première partie est d’une violence brute, la violence du désespoir et de la misère extrêmes, des hommes condamnés par la réalité économique du pays à devenir des criminels pour tenter de nourrir leur famille. Tout le long, le film a le sens du gros plan choc, du mouvement, de l’action.

 

« Mourning » de Mortesa Farshbaf (Iran)Pitch.
Un couple, une femme, invitée avec son mari chez sa soeur et son beau-frère,

se dispute, s’enfuit dans la nuit, abandonnant leur fils. Le lendemain, l’oncle et la tante emmènent l’enfant en voiture à Téhéran n’osant pas lui annoncer l’accident de ses parents. 

Une absence flagrante de moyens, une idée assez étonnante de mise en scène pour y pallier : utiliser la voix, l’absence voix. La première scène se passe dans la pénombre, un couple (qu’on entendra, qu’on ne verra pas) se dispute violemment, l’épouse annonce qu’elle s’en va, qu’elle prend la voiture, suivie par son mari, ils partent ensemble, la lumière des phares balaye le lit de leur fils qu’ils abandonnent chez leurs hôtes.

Le lendemain, une voiture au loin dans la campagne, camaïeu de vert incroyable, et des sous-titres qui disent les dialogues qu’on n’entend pas puisqu’on est si loin de cette voiture. Quand la caméra s’installe dans la voiture, il n’y a pas davantage de dialogues que par langage des signes car le couple, qui emmène l’enfant abandonné chez eux la veille, est sourd-muet, il s’agit de son oncle et sa tante qui se rendent à Téhéran avec lui après qu’on leur ait appris l’accident de ses parents la nuit précédente. Mais ni l’homme ni la femme n’osent annoncer à leur neveu la terrible nouvelle, assis à l’avant de la voiture, ils discutent par signes tablant que l’enfant ne les verra pas. Chemin faisant, ils en arrivent à parler de l’avenir de leur neveu, qui dans leur entourage pourrait bien l’adopter, jusqu’à basculer dans une remise en cause de leur propre couple. Et comme les parents la veille, ils ont viendront à se disputer avec leur mode de communication à eux, dans un silence « bruyant ».

Le réalisateur venu présenter son film à Deauville avait demandé de la patience aux spectateurs, prévenant en amont qu’il n’avait obtenu aucun financement extérieur, aucun producteur, il faisait donc visiblement le lien entre sa mise en scène et l’absence de moyens. Tâclant au passage le prix d’un hamburger et d’un coca dans son hôtel de luxe Deauvillais (où l’a logé l’organisation du festival), la somme de ce repas représentant 20 jours de vie en Iran. Les spectateurs ne sont pas sortis de la salle malgré la lenteur du rythme, ils ont applaudi à la fin du film.

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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