« Hereafter » (« Au-delà ») : ceux qui restent et ce qu’il en reste…

Clint Eastwood, sortie 19 janvier 2011

Pitch

Une présentatrice TV star à Paris revenue du coma, un ancien médium à San Francisco, un gamin à Londres qui a perdu son frère jumeau, trois survivants, trois récits, trois villes, la destinée.

« Au-delà » est un film qui ne traite pas de l’au-delà, ce n’est pas le sujet du film, quel est le sujet d’ailleurs? premier problème (à résoudre, le film est plutôt une réflexion sur la condition de l’être humain, sa prise de conscience qu’il est mortel). Second problème : la construction en trois récits distincts qui se rejoignent in extremis pour le final est un procédé casse-gueule, un réalisateur comme Inarritu s’en est fait une spécialité avec un art consommé de la déconstruction. Ici, il n’en est rien, on passe d’un récit à l’autre de manière chronologique, rude, sans fluidité, c’est le grand défaut du film. Paris, Londres San Francisco, un peu le premier, un  peu le second, le troisième, et on recommence… Dommage car chaque histoire en soi est intéressante et pourrait être un film à part entière.

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photo Warner Bros

 

Dans ces trois récits (trop) distincts se passant dans trois villes distinctes, les  trois personnages ont un seul point commun : leur contact avec l’au-delà.  A Paris, Marie Lelay, sorte de Claire Chazal, a échappé à un tsunami en vacances avec Didier, son amant et producteur de son émission TV. Echappé, si l’on peut dire, elle était morte, noyée, puis, s’est réveillé dans un second temps, ayant fait l’expérience dite de mort imminente. A San Francisco, George Lonegan a rangé son costume de médium au vestiaire, un don qu’il considère comme une malédiction, n’en pouvant plus de converser avec les morts toute la journée. Il travaille à présent dans une usine au grand désespoir de son frère qui partageait les profits juteux de l’ancien médium. A Londres, enfin, deux gamins faux jumeaux couvrent leur mère toxicomane pour éviter l’inspection sociale mais l’un des frères, Jonas, est renversé par un camion en allant à la pharmacie acheter un traitement substitutif pour leur mère qui s’était enfin décidé à faire une cure de désintoxication. Marcus, le cadet, est placé dans une famille d’accueil, inconsolable, hanté par l’espoir de parler avec les morts, avec Jonas, son double.

 


photo Warner Bros

 

Cependant, la destinée semble le thème fédérateur de ces trois récits au delà de l’au-delà : chaque personnage à pris, par hasard, la place de l’autre, le proche : si Marie a été noyée, emportée par la plus grosse vague du tsunami en Thaïlande, c’est parce que son amant, gros macho égoïste, n’avait pas envie de se lever pour acheter des cadeaux pour ses enfants, il est resté à l’hôtel, elle est donc allé seule en ville au marché. Si Jonas a été tué, c’est parce que sa mère l’a envoyé à la pharmacie, pire, la mère avait désigné Marcus mais Jonas avait pris sa place pour que son petit frère finisse ses devoirs. Les derniers échanges des deux frères se passeront au téléphone, l’un du portable lisant l’ordonnance, l’autre sur Google traduisant que ce sont bien là des médicaments pour stopper la drogue, qu’ils vont avoir enfin une vie de famille normale. Pour George à SF, c’est moins clair, fan inconditionnel de Charles Dickens,  écrivain hanté par des fantômes, il écoute ses histoires sur un lecteur CD tous les soirs chez lui. Son licenciement de l’usine, sa récupération par son frère pour redevenir médium, vont le pousser à fuir et se rendre à Londres pour visiter la maison de Dickens.

 

Ce qui va réunir ces trois personnages dans un douloureux conte de fée moderne réalisé de manière classique, c’est leur différence acquise par ce contact avec la mort qui les marginalise. Seul le noyé connaît l’eau… et personne ne peut les comprendre que leurs semblables mais encore faut-il les rencontrer… De retour à Paris, Marie n’est plus la même, tentant de parler de son expérience de mort imminente, son amant s’éloigne, son éditeur la lâche… George, bien qu’il ait raccroché, est relancé par des clients qui le harcèlent, l’associé de son frère, la jeune femme du cours de cuisine le forçant à la connecter avec l’au-delà… Marcus sans Jonas est amputé de sa moitié, de son jumeau, dormant toujours dans une chambre à deux lits après sa mort.

 


photo Warner Bros

 

Enfin, Clint Eastwood saupoudre son film d’un de ses thèmes majeurs : l’enfance volée, celle des jumeaux devenus de fait les tuteurs d’une mère déficiente, celle de George, ancien enfant malade qui a développé ce don de médium en revenant du coma, celle de la fille du cours de cuisine qui entend son père pédophile depuis l’au-delà. On ne peut pas oublier la première scène de « Mystic river » ni la dernière : Jimmy/Sean Penn, le voyou, qui vient de tuer Dave/Tim Robbins, qu’il croit l’assassin de sa fille, répond à Sean/Kevin Beacon, le flic qui mène l’enquête, leur ami d’enfance, que la dernière fois qu’il a vu Dave, c’était 20 ans plus tôt dans cette voiture au début du film quand il fut kidnappé par deux pédophiles, lorsque Dave enfant regarde ses deux copains par la vitre arrière de la voiture qui s’éloigne… Ce regard, cette voiture, c’est un choc à chaque vision du film. L’histoire de Jonas et Marcus est un peu de cette veine, Londres/l’Angleterre a quelque chose Boston/la Nouvelle Angleterre de « Mystic river ».

 

Matt Damon est vraiment juste bien que son récit ne soit pas le meilleur, la préférence du réalisateur allant à l’histoire des jumeaux (et la mienne aussi d’ailleurs)… Cécile de France joue en français la partie française, le choix n’est pas mauvais, bouclée, arrogante et paumée à la fois, elle s’en tire bien. Petits rôles pour le beau Thierry Neuvic (le producteur TV, amant de Marie), pour Marthe Keller, médecin dans une unité de soins palliatifs, et un bémol pour la fille de Ron Howard, Bryce Dallas Howard, irritante, vraiment maniérée et sophistiquée genre Carla Bruni, dans le rôle d’une possible petite amie de George, le médium/Matt Damon. C’est vrai qu’il manque un vrai lien narratif à cette histoire triple et que le seul final n’est pas suffisant pour y pallier mais c’est beau et bien filmé, souvent émouvant, jamais ennuyeux (mauvais argument critic!). On a l’impression que Clint Eastwood veut raconter trois histoires dramatiques (on ne se refait pas) qu’il va racheter ensuite dans un final rose vif qui ne lui ressemble pas, comme s’il voulait être positif malgré le peu de raisons de l’être, croire qu’il y a une seconde chance après un drame, une vie après la mort pour ceux qui partent mais aussi une vie avant la mort pour ceux qui restent…

 

Notre note

4 out of 5 stars (4 / 5)

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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