« Speed » : démystification du phénomène hippie par le fils du pape de la beat generation

William Burroughs Junior, 1970, parution française octobre 2009
 


La vie du fils unique de Williams Burroughs est en soi à pleurer mais quand on a lu son premier livre (il en a écrit deux et demi…), on est encore davantage bouleversé parce qu’on a perdu un vrai écrivain quand William Burroughs junior est mort à 33 ans en 1981 d’une complication de grefffe du foie, épuisé par une existence crucifiée… Un chemin de croix débutant à quatre ans quand son célèbre père, morphinomane, tue, sous ses yeux, sa mère, accro à la benzédrine, d’une balle dans la tête en jouant, défoncé, à Guillaume Tell, il sera jugé seulement pour homicide involontaire. Envoyé chez ses grands parents dans une banlieue terne de Miami, la vie de WBJ, déjà né avec toutes les cartes de pique en main, s’écroule définitivement quand son grand-père meurt, sa grand-mère perdant peu à peu les pédales, il fuit alors la maison et zone dans Miami…
« Speed », qu’on vient de traduire en français, est le premier roman autobiographique de WBJ racontant le mirage hippie à New York à la fin des années 60, soit une virée un peu particulière de Billy et son ami Chad de Miami à New York, quelques mois en enfer entre fuite et défonce pour revenir ensuite en Floride encore plus démoli qu’il en était parti, maigre, anorexique, halluciné, sale, foutu. En 1969, le New York hippie s’essouffle, WBJ, dont le père était l’un des papes de la beat generation (avec Ginsberg et Kerouac), ne connaitra pas le flower power et toute l’utopie peace and love (plus marquée en Californie) mais plutôt un schéma communautaire dans les faits (partager les mêmes seringues et logements crasseux), très individualiste, autodestructeur, comme si le pauvre WBJ était un peu l’héritier de la beat generation de Kerouac/ »Sur la Route » et un précurseur du mouvement punk.
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L’écriture de WBJ est une éponge, il remarque tout, il absorbe, il retranscrit d’une manière vivante et très jeune dans sa façon de l’écrire avec des petits « haha » et des remarques d’auto-dévalorisation souvent drôles comme on le dirait sur un journal de bord. Seul l’ami Chad est taclé comme pire que lui, plus anxieux, plus parano, plus peureux, bien qu’on ne sache finalement rien sur Chad sauf une amitié factice reposant essentiellement sur un compagnonnage de défonce extrême ayant démarré à Miami. Chad est le double de Billy, son miroir, l’un et l’autre effondrés, tenant à peine debout la plupart du temps, emprisonnés, se précipitant chez le dealer en sortant de prison, se parlant à peine, pas la peine… Bien que WBJ ne déborde d’indulgence pour personne, on dirait que ça l’ennuie aussi, comme tout l’ennuie, de s’attarder sur la bêtise et la nullité de tout ce qui l’entoure, il note les gens, les comportements, avec la distance qu’apporte la drogue, ce recul sur une existence vide de sens, cette distance qu’il recherche frénétiquement en ne voulant jamais « redescendre ». Quelques remarques pourtant plus affectives s’agissant d’amis revus à NY qu’il connaissait ado en Floride, son étonnement résigné devant l’état de délabrement des transfuges, ces filles jeunes et belles ayant perdu toute séduction, sans âge…
 

Livre individuel sur une vie condamnée d’avance dès la naissance et livre témoignage démystifiant le « phénomène hippie », angélisé par les médias mais ayant transformé dans la réalité quantités de jeunes gens des années 60 en zombies, en mort-vivants. WBJ écrit cette phrase choc cassant le mythe hippie tel qu’on voulait le voir « … les médias diffusent des images rassurantes de love-in, comme quoi on y porte des fleurs dans les cheveux, mais ces médias oublient, sciemment ou non, que les participants étaient des milliers et que la plupart d’entre eux haïssent leurs parents… » Dans une phrase très lucide, WBJ décrit l’échappatoire par tous les moyens à une société américaine qu’il vomit… « Gardez bien vos écoles militaires et ne relâchez pas la discipline scolaire, car vos chers petits sont en train de s’évader à votre nez et à votre barbe, les gars. Mais pour ça, bon Dieu, ils sont presque obligés de se tuer… » On retrouve le même témoignage sur le phénomène hippie  dans « L’Amérique », recueil de chroniques de Joan Didion (parues l’année dernière), quand elle fait du new journalism à San Francisco en intégrant une communauté hippie où l’on vole et viole et se défonce plus qu’on ne  se pare de fleurs…

 

Ecrit en 1968 à 21 ans, « Speed » fut publié en 1970 alors que William Burroughs Junior écrivait la suite « Kentucky ham » qui sera publiée en 1973 (on devrait publier la traduction française sous le nom de « La Dernière ballade de Billy » en aout 2010). Il meurt en 1981 à 33 ans après une fin de vie épouvantable, un calvaire physique et psychologique, gavé de morphine, d’alcool et de stéroïdes, maintenu artificiellement en vie par une greffe de foie qu’il va finir par rejeter, en laissant inachevé son troisième roman « Prakriti junction » commencé en 1977.« Speed » de William Burroughs Junior. 13° Note éditions.


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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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