« Un illustre inconnu » : mon nom est personne

focus film Mathieu Delaporte, sortie 19 novembre 2014

Pitch

Un agent immobilier sans vie privée que celle des autres va un jour passer à l'acte et usurper l'identité d'un célèbre musicien, brisé par l'existence, un aller simple pour une vraie vie?

Notes

Sebastien Nicolas est un agent immobilier dévoré de solitude qui fait un peu penser à Jean-Pierre Léaud dans le film d’Aki Kaurismaki, « I hired a contract killer » (les repas pris seuls dans un coin d’une cuisine lugubre cadrée comme un tableau, l’excellence au travail, le vide intérieur, la tentation du suicide). Trop parfait, ne ressentant rien dans la vie de tous les jours, il fait semblant. Sebastien a néanmoins une double vie fantasmatique : il se déguise, par exemple, en clients qui achètent ou louent un appartement, créée des masques, apprend leur voix, se fait passer pour eux. La double vie de SN est symbolisée par sa cave, véritable laboratoire de travestissement, perruques, peintures, maquillages, masques en latex.

Mais un jour qu’il doit se mettre en quête d’un bel appartement à Paris pour un grand musicien handicapé après un accident de voiture, Henri de Montalde, les choses ne se passent pas comme d’habitude. L’homme, misanthrope et haineux de la société, comprend que SN ne ressent rien et cela fait son affaire ; Montalde avoue avoir toujours ressenti les émotions des autres et ça le dérangeait dans sa musique (ce pourquoi il jouait le dos tourné au public) ; ainsi, son assistance dévouée que Montalde insulte pour répondre à son désir d’être maltraitée (là, on retrouve l’influence Romain Gary, d’abord, pour la double identité, ensuite, pour « La Vie devant soi » où le héros insulte la concierge afin de lui donner un grief). Un accident se produit, SN prend définitivement la place de Montalde… Mais les ennuis arrivent, la police soupçonne une imposture.

Et aussi

[caption id="attachment_2243" align="aligncenter" width="400"]Photos Pathé Photos Pathé[/caption] Ce film fait immédiatement penser à l'univers de Fernando Pessoa (en français "personne") et ses hétéronymes avec lesquels il écrivait ses livres avec pour chaque auteur hétéronyme une bio différente. Un agent immobilier transparent se remplit de la vie des autres. Jusqu'au jour où il tombe sur une star du violon, handicapée, ne pouvant plus exercer son art. Au fonds, le violoniste qui ne peut plus jouer, vidé de sa seule passion, le violon, ressemble un peu à l'agent immobilier, vide de toute émotion. L'un a tout perdu, et l'autre n'a jamais rien eu, même pas une vie malheureuse. A présent, ils sont à égalité. Ces deux hommes sans présent ni avenir se rencontrent, l'un vole la vie de l'autre et se remplit de ce que le violoniste, suicidaire, rejetait : une femme, un fils illégitime de 12 ans, enfin, Sebastien Nicolas a une mission sur cette terre : réparer les dommages collatéraux d'une vie brisée, prendre soin du fils et de sa mère. Comme l'a dit Mathieu Kassowitz lors du débat, le film est une fable sans souci de crédibilité à tout prix. Nous sommes tous, dans une moindre mesure, Sebastien Nicolas ("Mme Bovary, c'est moi", héhéhé), symbole de vide existentiel, sauf que ce anti-héros l'est à 200%, n'ayant aucune prise émotionnelle avec son entourage, même sa famille qu'on découvre dans la première scène du film, ce baptême qui l'assomme tout comme les plaisanteries des collègues à l'agence immobilière. L'approche du sujet est très intéressante, traité comme un thriller, le film va loin en faisant se comporter SN comme un serial killer, inquiétant, sans affect, travesti... Mais c'est un serial killer sans victimes que lui-même qui s'aime si peu... Les métamorphoses de MK sont époustouflantes mais on s'en doutait, c'est un des meilleurs acteurs sur la place. Par ailleurs, le film n'est pas daté, pas de téléphone portable ou d'internet, le projet était de rester dans une dimension artisanale. Mon bémol : basculant insidieusement dans une dimension horrifique (la scène ou SB se coupe deux doigts, les instruments de chirurgie, menaçants, quoi de pire que ces instruments de torture montrés hors champ?), le film aurait pu choisir l'issue la plus noire et la boucle du malheur était bouclée. Au lieu de cela, le scénario change de cap et donne une chance d'une seconde vie à SN, même si celle-ci a un prix. C'est peu crédible mais, encore une fois, c'est une fable. Est-ce pour "consoler" le spectateur qui se débattait dans un vertige existentiel suffocant? Pour ma part, amateur de films noir c'est noir, j'aurais préféré qu'on stoppe avant la dernière partie rédemptrice. Mais je ne suis pas scénariste! C'est un film très original dans son traitement de l'intrigue, sa mise en scène, universel dans sa thématique existentielle, avec de nombreuses références littéraires : de Pessoa à Gary en passant par Kafka, voire même Troyat ("Le Mort saisit le vif"). A voir en priorité, cet ovni du cinéma français! (ce n'est pas demain la veille qu'on retrouvera ce niveau de scénario, de mise en scène) porté par Mathieu Kassowitz, un immense comédien. [caption id="attachment_2244" align="aligncenter" width="400"]Jean-Pierre Léaud dans "I hired un contract killer" (1990) de Kaurismäki Jean-Pierre Léaud dans "I hired un contract killer" (1990) de Kaurismäki[/caption]  

Annexe

A noter le mini-scandale de l'initiative d'une agence de com sans scrupules (recrutée par le distributeur) qui n'a pas hésité à usurper l'identité Facebook de 40 bloggers (je n'en étais pas, heureusement) ou autres professionnels du cinéma à des fins promotionnelles (montage d'une vidéo censée illustrer le thème du film), ça a fait le buzz, c'était l'objectif. Beaucoup de bloggers ont protesté, même si on leur a expliqué que c'était "un jeu" faisait référence au film, que ce n'était pas bien méchant... Mais l'usurpation d'identité étant passible de 15.000 Euros d'amende, l'agence agissant en toute impunité, misant sur la sidération des bloggers qui n'ont pas osé porté plainte (craignant de louper la prochaine invit?), jusqu'où ira-t-on? Le réalisateur a remercié le "fair-play" des bloggers venus voir le film malgré cette "agression", lui seul, semble en avoir pris la mesure...

Notre note

4 out of 5 stars (4 / 5)

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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