NUE PROPRIETE : l’usufruit maternel

 

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Voilà sûrement une des valeurs sûres du trimestre, un film nickel comme on aimerait en voir souvent… Après «La Vie des autres» (voir la critique… du film…) et en attendant«Angel» de Ozon (voir… la critique du film…), l’année débute sous de bons auspices…

Elle se complaît à se regarder dans le miroir en combinaison de satin gris, elle soupèse son décolleté, son soutien-gorge en dentelle noire tout neuf, une affaire, on soldait cette lingerie, un jeune homme blond raille qu’elle a l’air d’un putain, l’autre, le brun, tempère, dit que ça lui va bien, de toute façon, elle les entend à peine.

Pascale supporte plus qu’elle n’élève ses deux faux jumeaux oisifs d’une vingtaine d’années, Thierry et François, après un divorce douloureux. Seule la présence de son ex-mari la met encore vraiment en colère, à ses deux fils, elle passe tout, et s’adresse à eux comme à des copains et eux en retour lui parlent comme à une petite copine leur appartenant. On comprend que le mari est parti refaire sa vie avec une autre, qu’elle n’a pas pardonné, pour le reste, Pascale subit sa vie en rêvant d’une autre vie avec le voisin, par exemple, son amant depuis peu, qui lui propose de partir avec lui ouvrir une maison d’hôtes. Madame Bovary par excellence, cette femme bornée, frivole et égoïste, est pourtant touchante de crédulité et d’un certain optimisme que les choses vont s’arranger, qu’il faut s’exprimer, se dire ses quatre vérités alors que les disputes pleuvent.

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Dans ce drôle de ménage à trois, les étrangers ne font pas long feu, ainsi, après la mise à la porte du père infidèle, Yann, l’amant, est caché aux jumeaux, Pascale le rejoint à l’hôtel ou dans le coffre de sa voiture. Ainsi, la petite amie de Thierry n’est vue qu’à l’extérieur de la maison et quand elle y viendra, ce sera fatal… Thierry va à des cours dont on ne saura rien de plus, son frère François au chômage n’a d’autre activité que de poncer inlassablement les volets de la maison, les deux se disputent pour que leur mère les dépose en ville en voiture en allant travailler, un boulot fantôme dont on ne saura rien non plus.

Dire que les relations entre Pascale et les jumeaux sont fusionnelles n’est rien, ça relève de la passion maladive au quotidien, on s’espionne, on se questionne, on se mêle de tout chez l’autre, on s’agace, on se dispute, on se dit n’importe quoi. S’adressant à leur mère à la fois comme à une copine « tu veux te le faire?» (parlant du voisin à qui elle a prêté une tondeuse à gazon), ou comme à une maîtresse en amant jaloux «tu vas encore te faire baiser!» (elle sort exceptionnelement seule sans eux), éventuellement comme à une enfant pas raisonnable qui dilapide la pension du divorce, une chose est sûre, de repères, les jumeaux n’en ont connu aucun que le baromètre des humeurs leur mère. Là où Isabelle Huppert est prodigieuse (on la retrouve à son meilleur niveau), c’est qu’elle fait très bien passer l’ennui et la lassitude de cette femme affectée d’une sorte de paresse de vivre cette existence qui l’assomme, d’une lassitude chronique à être mère, à s’occuper d’une maison, ne sachant ni faire la cuisine ni compter, ne cherchant en vérité qu’à grappiller par ci par là des moments de plaisir en rêvant d’un ailleurs. Les jumeaux sont interprétés par deux frères dans la vie avec une fougue non dissimulée : Jérémie et Yannick Rénier : une toute petite restriction cependant : si le premier est nettement plus connu que l’autre au cinéma, il a tout de même de temps en temps une légère propension à se regarder jouer alors que le second, venu du théâtre, est parfait.

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Le film se passe presque entièrement dans un seul lieu : la maison familiale. Une maison au centre de tout puisque Pascale, niant qu’elle ne lui appartient pas mais à son ex-mari qui lui en laissé l’usufruit, menace pourtant de la vendre pour acheter un hôtel avec Yann le voisin. Ce qui affole les deux jumeaux, incapables de vivre autrement que bien collés tous les trois avec leur mère femme-enfant. Cet immobilisme des rituels immuables de regarder ensemble la télé, de prendre ses douches ensemble à la salle de bains, de partager ses repas ensemble, n’aurait jamais dû prendre fin si Pascale n’avait décidé qu’elle avait encore l’âge de refaire sa vie, au grand regret de s’être sacrifiée à sa famille. Ce sera le top départ d’un drame qu’on ne voit pas venir ou qu’on voit venir dès le début, puis, qu’on oublie, aspiré dans la monotonie de cette vie de reclus des trois protagonistes dont on prend comme eux l’habitude des conflits permanents, une sorte de jeu malsain et névrosé répétitif qui ne finirait jamais. En cela, le film est remarquablement bien fait. Avec un minimum de moyens, des acteurs au sommet et des dialogues paradoxalement plein d’humour, on est bercé, souriant de temps en temps, jusqu’au réveil en sursaut ! A l’instant du drame, la caméra s’immobilise en un interminable plan fixe avec (comme souvent dans le film) un magnifique jeu sur le hors champ. Sobre, efficace, juste, du beau travail.

Un film qui a tout bon, le récit, les images, le cadrage, l’interprétation, le scénario, la psychologie des personnages et les dialogues, un petit film belge qui a tout d’un grand, un régal.

 

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Posted by:

zoliobi

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