« Pardonnez-moi » : les chemins escarpés de la résilience

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C’est un film thérapie pour sa réalisatrice et sans doute pour les spectateurs qui n’en demandaient pas tant… Car, comme dit Maïwenn*/Violette, «les problèmes personnels sont les problèmes de tout le monde». Du début à la fin du film, la réalisatrice va utiliser en insert les images d’un casting qu’elle a fait à l’âge de dix ans d’où elle sélectionne quelques réponses clé de l’enfant qu’elle était en miroir de son scénario fiction/réalité. Ainsi, l’enfant Maïwenn du documentaire dira qu’elle est comédienne, qu’elle n’aime parler de son père, qu’elle est tombée dans le métro… Un de ces castings que l’envoyait faire sa mère qui se rêvait en comédienne…

Le guichet d’un théâtre où Violette donne un one woman show, sans doute à l’image du «Pois chiche» que Maïwenn a monté il y a environ deux ans à Paris avec succès mais que je n’ai pas vu. Sur scène, Violette imite son père en colère, elle crie, elle bégaye, on verra plus tard que le bégaiement se reproduira dans les mêmes types d’émotions violentes. Après le spectacle, son père et sa sœur aînée se pointent dans sa loge, les trois coincés, mal à l’aise, échangent quelques banalités, le père félicite mollement Violette, qui, déçue, annule leur dîner. Le père et la sœur repartent contrits tout en se disant que ça aurait pu se passer encore plus mal d’aller voir Violette régler ses comptes sur une scène.

Violette, trente ans, enceinte de son premier enfant, décide soudain en urgence de faire un documentaire sur sa famille, caméra au poing, une arme discrète, comme elle le demande au vendeur, pour que personne ne se méfie de son film, qu’on ne la prenne pas vraiment au sérieux. Dans la réalité Maïwenn qui a donné beaucoup d’interviews (large promotion avec passage au JT, etc…), a dit qu’au début, elle ne filmait pas, elle jouait à filmer, c’est plus tard qu’elle a vraiment allumé sa caméra et elle a gardé les images en noir et blanc qu’elle a insérées ici et là avec un sens narratif et artistique certain malgré une apparente confusion dans le récit où on mélange tout : le passé, le présent, ceux qui jouent les personnages du passé, ceux qui sont filmés en train de rejouer le présent, le vrai, le faux, etc…
Dans ces multiples couvertures médiatiques, on a beaucoup parlé du financement du film «Pardonnez-moi» par la réalisatrice elle-même, de son budget rachitique et de la scène du repas pour laquelle on lui aurait conseillé de revoir «Festen». Ce qui est intéressant, c’est que les critiques ont évoqué toutes les contraintes du film, voire vaguement la forme, la caméra numérique, le tournage en trois semaines, la quasi absence de scénario, etc… que les mêmes ont conclu en disant du bien du film fini vu en projection presse… mais sans qu’on comprenne très bien pourquoi ils avaient aimé… Les tabous familiaux, la dernière limite…

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A ce déjeuner épique, il y a Lola (MF Pisier), la mère, femme égocentrique et coquette, le père (P. Greggory), homme terne et caractériel, les deux sœurs, Camille, la compagne de la sœur aînée (Hélène de Fougerolles) et Paul, le vrai père de la sœur cadette (Mélanie Thierry), dont nul ne soupçonnait l’existence sauf Violette qui le connaît depuis peu. A l’initiative de Violette qui veut filmer les réactions des différents membres de sa famille à des questions coup de poing sur le passé, le repas dégénère en violences verbales et insultes jusqu’à s’entarter les uns les autres le visage de chantilly, série de clowns tristes sans solution… Le compagnon de Violette, Alex (Yannick Soulier*), qu’elle a voulu le seul personnage non névrosé de l’affaire puisqu’il est extérieur à la famille, arrive après la bataille. Mais la scène la plus terrible est à venir, on a vraiment du mal à ne pas craquer quand, attendant vainement que son père lui demande pardon, Violette décide de jouer une dernière carte : elle met en scène pour son père, piégé dans un tête à tête qu’il refuse depuis toujours, le spectacle d’une poupée sanguinolente sous les coups d’un père qu’elle interprète elle-même avec une violence et une sincérité inouïe pendant qu’une camarade filme la scène. Le dialogue dans sa simplicité sonne terriblement vrai, cette plaquette de beurre doux achetée par l’enfant au lieu du beurre demi-sel pour laquelle on cognait la poupée, ces prétextes à la tabasser pour des riens, et ce "pourquoi j’ai rien dit… pour te protéger connard!" qui résonnera longtemps dans la mémoire de pas mal de spectateurs…

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En regardant les commentaires de quelques spectateurs sur un site internet, j’ai été frappée de voir deux mères de famille prendre des pincettes pour dire que c’est un point de vue unilatéral, en deux mots, pas celui de parents… Ce qui supposerait qu’on aurait fait le deuil de son enfance en étant soi-même parent… alors que si c’était le cas, il n’y aurait que des familles heureuses… L’enfance des parents qui battent leurs enfants, pour conserver le type de maltraitance dénoncé par Maïwen, n’est jamais exempte de traumatismes et on pourrait remonter ainsi le fil de plusieurs générations avec le dernier né qui trimballe des wagonnets de névroses additionnées des uns et des autres jusqu’à qu’un maillon de la chaîne dise «stop, j’en ai marre de payer pour les générations précédentes!», c’est ce que vient de faire cette jeune femme avec ce film après dix ans n’analyse. En filigrane, la réalisatrice traite de la culpabilité quasiment atavique de l’enfant, de cette façon qu’on les enfants victimes de protéger leurs bourreaux, pire, de sauvegarder une image parentale idéalisée en se taisant, en espérant réécrire l’histoire dans leur tête, nier… L’intervention sotte de celui qui n’a pas souffert remettant en cause la véracité des maltraitances, en l’occurrence le fiancé, tentant de dire qu’elle a peut-être noirci le tableau dans ses souvenirs, provoque un désespoir insensé chez l’adulte Violette qui va alors prendre une bouteille et se la casser sur la tête : reproduire la maltraitance elle-même comme pour vérifier sa mémoire corporelle ou utiliser le seul moyen de communication que son père a partagé avec elle : les coups…

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Les acteurs jouent la plupart du temps en improvisation, Marie-France Pisier, excelle dans ce rôle de femme à la fois futile et lasse, attendant que l’orage passe, laissant de temps en temps échapper une pensée empoisonnée (Violette aurait toujours manipulé tout le monde) mais préoccupée surtout de son confort moral. Les images en noir et blanc montrent cette mère en accusation devant la caméra, capable aussi d’être malheureuse et impuissante, comme le négatif de la photo… L’alternance de la couleur et du noir et blanc correspondant à des sentiments des personnages mis au pied du mur… c’est habilement joué pour un premier film. Pascal Greggory a moins de nuances, un bloc borné, c’est son rôle. On est étonné par la force de conviction qu’on ne soupçonnait pas chez Hélène de Fougerolles jamais employée à ma connaissance dans ce registre à fleur de peau et c’est dommage.

Dans l’ensemble, cette famille recomposée par les acteurs est une réussite, le charme de Maïwenn, débordant d’énergie par dessous son chagrin fait le reste ; entre l’enfant de dix ans du casting et l’adulte de trente ans qui a conservé la même juvénilité, il n’y a vraiment qu’une différence: ce quelque chose d’inconsolable, d’indélébile dans le regard…

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*Note : Maïwenn Le Besco avait débuté sa carrière de comédienne au cinéma dans l’"Eté meutrier" où elle jouait Isabelle Adjani enfant et dans "La Gamine" aux côtés de Johnny Hallyday.

*Le Blog de Yannick Soulier (ici dans la série "Laura")… 18629111

 

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zoliobi

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