« Pirates des Caraïbes, le secret du coffre maudit »/Avant-Première

Je reprends la rubrique CinExtérieur où des collaborateurs extérieurs au blog viendront publier leurs critiques en contribution pour des films qui leur tiennent à coeur, de préférence dans les catégories que je traiterai rarement moi-même sur ce blog : aventure, westerns, science fiction et films d’horreur.

Le Gai Pirate par Sylvain Etiret

Après la critique de "La Guerre des mondes"(dans un précédent billet), Sylvain Etiret nous livre sa critique très subtile du futur tube de l’été : "Pirates des Caraïbes, le secret du coffre maudit", sortie officielle le 2 aout.

 

L’histoire se déroule aux environs du 17ème siècle, aux Caraïbes, entre la tutelle anglaise et l’anarchie des pirates qui infestent la zone. Elizabeth (Keira Knightley), la fille du Gouverneur Swann (Jonathan Pryce), est sous les verrous. Elle reçoit la visite de son père et de Will Turner (Orlando Bloom), son fiancé, artisan forgeron, qui tente de la réconforter à travers la lourde grille de sa geôle. C’est qu’Elizabeth est retenue comme otage par Cutler Beckett (Tom Hollander), le représentant de la Compagnie des Indes Orientales, pour obliger Will à poursuivre le Capitaine Jack Sparrow (Johnny Depp), pirate de son état, et lui soutirer une boussole étrange, moyen apparemment indispensable pour atteindre un trésor caché. Un second instrument de cette quête est un parchemin portant dessin d’une clé et que Beckett remet à Will. Soumis à ce chantage, Will part à la recherche de Jack et retrouve son galion, échoué sur une île isolée dont les autochtones cannibales retiennent Jack et son équipage. Jack fait office de dieu pour les sauvages qui s’apprêtent à le libérer de son enveloppe charnelle en la dévorant, tandis que l’équipage, bientôt rejoint par Will également capturé, est maintenu sous bonne garde. Le repas rituel est interrompu in extremis par l’évasion des prisonniers qui récupèrent le navire en compagnie de Will. Jack négocie la boussole contre l’aide de Will lors de l’exploration d’un navire échoué. Mais Will est alors capturé par le Capitaine Davy Jones (Bill Nighy), capitaine pirate légendaire du Flying Dutchman, soumis avec son équipage à un sort les condamnant à voguer éternellement en se transformant progressivement en hommes-poissons. On apprend alors, d’une part, que Sparrow est lié à Jones par la dette de son âme pour prix de l’aide de Jones dans la prise de possession de son navire, le Black Pearl, que cette dette peut être levée si Sparrow apporte 100 âmes en échange alors que Will est gardé en otage par Jones, et, d’autre part, que Jones détient la clé figurant sur le parchemin, clé ouvrant un coffre caché qui contient le cœur encore vivant qu’il s’est lui-même ôté à la suite de la trahison de sa belle. La quête de Sparrow s’éclaire enfin : dérober la clé, retrouver le coffre (et la boussole magique a ce pouvoir), détruire Jones en détruisant son cœur, et se libérer ainsi de sa dette. Quant à Will, il découvre que son père, Bootstrap Bill (Stellan Skarsgård), autrefois porté disparu, est en fait une des âmes damnées composant l’équipage de Jones. L’aide de son père permettra à Will d’échapper à l’emprise de Jones et de rejoindre Sparrow, pour poursuivre sa propre quête : rapporter le contenu du coffre à Beckett en prix de la libération d’Elizabeth. De son côté, Elizabeth parvient elle-même à s’échapper et part à la recherche de Will.

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L’ensemble est traité sur un ton de comédie épique et de surnaturel baigné de sortilèges, de morts-vivants et de monstres marins. On retrouve l’essentiel des personnages du premier épisode, tant dans les rôles clés (Sparrow – le pirate décalé -, Will Turner – le fiancé forgeron d’Elizabeth – , Elizabeth – la belle – , Norrington (Jack Davenport) – le prétendant éconduit -, Swann – le Gouverneur -) que dans des rôles anecdotiques ou secondaires (Gibbs (Kevin McNally) – le second de Sparrow -, Pintel (Lee Arenberg) et Ragetti (Mackenzie Crook) – deux pirates maladroits-. Les situations et les propos font écho à l’envie à de multiples aspects de l’épisode 1, certaines scènes reprenant volontairement des scènes du premier opus (un chandelier mural restant dans la main d’un visiteur maladroit, les péripéties de l’oeil de bois de Ragetti, …). Le rythme est enlevé, soutenu tout au long du film. L’humour est permanent, avec des répliques décalées, des loufoqueries diverses, le duo Ragetti – Pintel intervenant à la manière des petites souris en bas des images des bandes dessinées de Gotlieb. Le sujet de l’intrigue lui-même repose sur une plaisanterie : Dead Man’s Chest (sous-titre anglais) tient sur le simple jeu de mot de « chest » signifiant en anglais à la fois coffre et poitrine. Les effets spéciaux sont remarquables, en particulier les personnages de Jones et de son équipage présentant un aspect plus que réaliste. On se paie même le luxe de revenir ponctuellement à une technique démodée d’effets spéciaux, une caméra étant manifestement placée dans un angle inattendu lors de la scène de combat sur et dans une roue de moulin à eau.

Mais d’où vient alors cette impression curieuse de quelque chose qui "cloche"? Pour qui a têté le lait de la flibusterie aux mamelles des aventures d’Errol Flynn, de Stewart Granger et de Burt Lancaster, le contraste ne peut laisser indifférent. Bien sûr, Elizabeth est belle à tomber et sait manier le sabre d’abordage comme on pouvait s’y attendre. Will Turner alterne sans anicroche les poses énamourées de jeune premier et les postures de fière témérité. Norrington porte l’uniforme coloré de la marine anglaise comme s’il avait toujours été ainsi vêtu. Mais que peut bien apporter l’interprétation outrée de Johnny Depp d’un pirate dandy aux allures efféminées et alcoolisées? C’est justement ce parti pris qui lui valut tant d’éloges à la sortie du premier épisode… Performance d’acteur? Certes. Mais dans quel but ? Mystère ! Pour apporter quoi ? Mystère ! Selon l’explication de Depp en interview, il aurait pris Keith Richards, le déjanté guitariste des Stones, éternel miraculé des drogues dures, comme modèle. D’accord pour Richards mais dans quel objectif autre que de faire du pirate une rock-star, ce qui serait un peu simpliste (bien que Depp insiste que les pirates d’antan avaient l’aura des rock stars d’aujourd’hui…)? Il est évident que cette interprétation surprennante apporte son lot de mystère et captive l’attention. Mais le mystère relève alors plus du le choix de la technique (jeu de l’acteur) que du contenu de l’histoire, et il peut être légitime de s’interroger sur l’intérêt de cette attention forcée, voire détournée : le sujet est-il un "Johnny Depp show" ou un film d’aventures? Devant une toile de maître, l’attention doit-elle porter sur le choix du pinceau ou sur l’émotion dégagée par l’oeuvre?

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L’histoire, justement. La rapidité de ses évolutions, le rythme plus que soutenu, les rebondissements permanents, contribuent à une impression de vertige dont le premier effet est une espèce d’ivresse rapide proche de la noyade. Il est bien difficile de suivre sans défaillance le cours d’un récit d’une complexité élaborée. Les situations sautent d’anecdote en anecdote, de péripétie en changement de cap, de bon mot en allusion déguisée. Suivre le fil d’un tel cap relève de la gageure. Défi à la vitalité neuronale (la vitesse agisant ici comme un critère de sélection d’un public gavé de manga) et à la plasticité synaptique encore épargnée par la sclérose de l’âge. Passé le détroit de l’athérome naissant, il devient prudent au spectateur de recaler ses objectifs sur la simple sensation de se laisser bercer par les remous furieux d’un torrent sauvage. A moins de disposer d’une version DVD permettant pauses, retours en arrière, partage d’explications avec ses quelques voisins compatissants, consultation de notes prises au fur et à mesure.

La désorientation créée par l’entremêlement d’une part, d’une histoire classique d’un escroc pas si méchant que ça et d’un couple de jouvenceaux à la recherche d’un trésor enfoui, et d’autre part, d’un rêve fantastique proche des films d’horreur et de science fiction (ça colle aux tendances du moment), n’aide certainement pas à retrouver une sérénité de spectateur attentif. Certes, "Highlander" avait inauguré le thème, mais le rythme entrecoupé de longues respirations permettait une digestion paisible. Et c’est bien ce qui manque ici. "La Ligue des Gentlemen Extraordinaires" avait également tenté une incursion sur ce terrain, bien que sous-tendue à la fois par une problématique plus politique et par un recours sur la forme à un répertoire de codes qui, pour être abondants, n’en restaient pas moins connus.

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Bien sûr, le fait qu’il s’agisse du second de trois opus tournés semble-t-il dans la foulée (à l’image du Seigneur des Anneaux) et distribués aux spectateurs à échéances pré-programmées pour des raisons commerciales, additionné du seuil de tolérance neuronale, ne facilite pas la tâche de qui voudrait se plonger dans la saga dans le désordre. Théoriquement possible de part la forte séparation des récits principaux, le travail est en réalité rendu ardu par les multiples rappels et allusions, même anecdotiques, au premier épisode. Il est donc fortement conseillé de digérer le premier épisode avant de se plonger dans le second.

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Au delà de toutes ces difficultés, cette dispersion affichée du récit est-elle indispensable au succès de l’entreprise? Ou bien doit-on chercher, sous la profusion des effets, un sous-discours quasi-subliminal propice à un autre niveau de lecture? Le fait que la production soit assurée par la Compagnie Walt Disney n’imposait-il pas un cryptage élaboré des ressorts sous-jacents du propos réel (surtout si ce propos ne peut s’accommoder sans scandale de la cible "public jeune" traditionnellement visée par les productions Walt Disney)? Le désordre apparent du scénario ne pourrait-il pas dès lors se voir davantage comme un habile camouflage d’un message subversif que comme une complication gratuite de l’écriture?

Vu sous l’angle du dessous des cartes et du camouflage d’un message de société n’ayant pas grand chose à voir avec le film d’aventure, que nous propose réellement ce scénario étayé par l’étonnant choix d’interprétation d’un Depp entre rock-star déjantée, Drag-queen et marin ivre, cabotin et jubilatoire? Un Johnny Depp qui dit lui-même en interview "J’espère faire comprendre au public qu’on peut être hors normes"….

On nous présente un marin, un pirate, un homme navigant dans la violence d’un monde d’hommes, l’épée à la main, le courage et la témérité en bandoulière… Un homme affichant néanmoins une affectation et un maniérisme outrés, en appelant plus à des références de films parodiques type "La Cage aux folles"qu’à Erol Flynn… Dans le film, l’explication d’un comportement tellement atypique du capitaine Sparrow, et en particulier de son ivresse, relèverait des ravages d’une exposition prolongée au soleil des tropiques lors de l’abandon de Jack Sparrow sur une île déserte après une mutinerie de son équipage … Mais pourquoi le maquillage, les bijoux, les dentelles? Et si la féminité profonde de l’homme était le réel sujet du propos? Et si la contemplation de la boite contenant la boussole magique, dans laquelle Jack plonge et replonge assidûment, en soulevant puis refermant le couvercle d’un geste vif et rond (comme le ferait une dame du monde avec son poudrier) ne révélait rien d’autre que ce que montre un miroir?

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On constate que chaque tentative d’approche d’une femme par Jack se solde par un échec, voire une réponse cinglante en forme de gifle, soulignant à quel point il échoue à trouver l’âme sœur auprès du sexe faible. A l’exception d’une sorcière vaudou en possession de la poussière nécessaire à son projet et d’Elizabeth Swann… mais comme partie d’un tout avec Will (le cygne-swann- symbole de la pureté, formerait une entité avec l’élu de son cœur, ce forgeron qui «will turn her»). Cette féminisation, voire bisexualisation du héros, est très nouvelle et novatrice dans le film d’aventure mais elle est posée là sans explications .

La question qui reste sans réponse devient alors le projet véritable des animateurs de cette fresque symbolique : le producteur Jerry Bruckheimer, le réalisateur Gore Verbinski et l’acteur Johnny Depp (à qui manifestement la trame de l’histoire n’a pas échappé)… Ceux-là oeuvrent-il au sein d’une collusion dont les studio Disney n’ont pas perçu la subversion? Ou bien les studio Disney se lancent-ils dans une parole sociétale inavouée, tellement maquillée qu’aucune des sources disponibles sur le film ne semble l’avoir remarquée?

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Commentaire de Vierasouto (pour étayer la thèse du rédacteur de cette critique)

On a néanmoins quelques pistes sur la position pragamatique de Disney qui semble se positionner davantage du côté de son tiroir-caisse que de celui de garant traditionnel de la morale de son public "jeune": lors du visionnage des rushes de "Pirates des Caraïbes 1", les studios Disney, catastrophés par le jeu de Johnny Depp, acteur culte du ciné indépendant US et spécialisé dans les films d’auteur ennemis du box-office, demandèrent au producteur Jerry Bruckeimer de trouver un autre acteur… Ce dernier, qui avait donné carte blanche à Depp, refusa et menaça même de quitter le projet… Les studios Disney finirent par accepter de faire confiance à ce producteur père de plusieur grands succès ("Pearl Harbor", "Armaggedon", "Top gun", etc…)… L’exceptionnel succès financier du premier épisode au box-office dissuada les studios Disney de se mêler du style de Johnny Depp dans les épidodes suivants qui en rajouta encore une louche en toute impunité…

Le "Pirates des Caraïbes 2" sort en fanfare en France le 2 aout, l’épisode 3 tourné en même temps sortira en mai 2007, l’épisode 4 est déja en préparation… Le "Pirates des Caraïbes 2"’ est en passe aux USA de détrôner "Titanic" au compte du nombre d’entrées : 300 millions de dollars amassés en 16 jours d’exploitation, mieux que le dernier "Star wars"… Comme disait l’autre… la corruption, c’est une question de prix…

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affiche de l’épisode 1 « la malédiction de Black Pearl ».

 

 

 affiche de l'épisode 2 "le secret du coffre maudit".

affiche de l’épisode 2 « le secret du coffre maudit ».

Mini-Pitch : Après le succès du premier "Pirates des Caraïbes", Walt Disney a concocté les nouvelles aventures du Capitaine Jack Sparrow, pirate excentrique et imposteur de charme, un film d’aventure nappé de fantastique bon enfant, pour kidultes et autres si affinités, avec plusieurs niveaux de lectures…

Film présenté en avant-première à Paris le 6 juillet 2006 en présence de l’équipe du film dans le cadre de la sortie en Europe après la première à Disneyworld en Floride. Sortie officielle en France le 2 aout.

MMAD : Y a pas photo moi c’est Sean Penn que j’M…

 

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zoliobi

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