« Selon Charlie » : 7 personnages en quête d’existence/Avant-Première

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On pourrait dire que l’un cherche et l’autre trouve… Deux chercheurs du CNRS : un est devenu prof de fac et star des médias, l’autre végète comme prof dans un collège dans une petite ville de province.

Première image du film : le grand Nord, la neige, un accident… Une scène inaugurale dont la clé nous sera donnée beaucoup plus tard, est posée là comme une sorte de réminiscence centrale pré-expliquant la suite…

Retour en France dans un TGV : Mathieu, l’explorateur médiatisé, se rend à un colloque en province pour raconter sa dernière expédition tandis qu’Adrien, jeune champion de tennis, broie du noir dans un fauteuil voisin. Les deux hommes se croisent comme les sept personnages masculins qui se rencontreront par hasard deux par deux tout au long du film.

Pendant ce temps, Jean-Louis, le maire de la ville inaugure une placette «vous avez vu mes pensées?», c’est sur cette boutade que démarre le discours engoncé et hésitant de l’homme politique inculte et borné joué génialement par JP Bacri… De pensées, monsieur le maire n’en a qu’une : sa jeune maîtresse employée au service horticulture de la mairie, une scène amène la situation avec délicatesse : le maire en voiture officielle demande soudain qu’on stoppe sur la route pour s’enquérir des nouvelles plantations de la commune, une jeune femme lui sourit en arrière-plan…

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A ces quatre hommes : Mathieu et Pierre (les deux chercheurs), Adrien et Jean-Louis (le tennisman et le maire), viendront s’adjoindre les portraits de Joss et Serge : Joss, le SDF repris de justice, et Serge, le looser moins perdant qu’il n’y paraît. Septième homme «en devenir» : Charlie, le fils de Serge dont Nicole Garcia dit «Charlie, c’est moi». A la présentation des sept personnages masculins, succède leur mise en situation de famille avec leurs épouses et compagnes ou absence de femmes.

Disons-le tout de suite : la vie des sept personnages sera inégalement développée, comme si certains des (anti)héros s’étaient approprié la place aux dépends des autres, échappant au contrôle des leurs créateurs : sept personnages en quête d’existence…

C’est le cas extrême de JP Bacri (Jean-Louis), tour à tour désopilant et émouvant, stupide et sensible, borné et humain, qui émerge très nettement du groupe. Le personnage de Benoit Poolvoerde (Joss) est gommé sur un tissu social délavé comme son insertion dans la société proche de zéro. Enfin, le personnage de Vincent Lindon (Serge) qui dit lui-même n’avoir fait que «passer» sur l’écran, on rôle possédant l’énergie de la frustration , est une sorte d’homme débordé par un excès de compagnie qui aggrave son sentiment de solitude : une femme, un enfant et une maîtresse avec des conflits avec les trois. Le tennisman est le personnage le plus éloigné du noyau central du film, une sorte d’électron libre qui se cogne aux murs de l’incommunicabilité.

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J’ai gardé les deux personnages des chercheurs (leur métier de «chercher» n’est pas plus anodin que leurs prénoms d’apôtres Mathieu et Pierre…) pour la fin car ils sont le cœur de film et c’est d’eux que vient la meilleure part de l’histoire, les autres personnages étant, sinon surnuméraires, non essentiels au drame… Nicole Garcia l’a dit elle-même : au départ, elle avait cette idée de l’affrontement entre deux hommes, une image de western, l’homme qui est parti et celui qui est resté, le premier de retour au pays affrontant le regard du second…

Selon Mathieu…

Vu du pont, le prof de fac (Mathieu) a tout réussi, le prof de collège (Pierre) échoué en tout… Une scène très forte vers la fin du film est celle de Mathieu, l’explorateur célèbre, rentrant dans une maison vide, la sienne autrefois, dont on apprend qu’il aurait eu jadis une épouse, un enfant qu’il ne voit jamais, le prix de la réussite sociale… Pierre, le prof de collège, rayé du CNRS à cause d’un accident, miné par le sentiment d’échec, trompé par son épouse, aura paradoxalement au final un meilleur destin grâce à sa faculté de faire le deuil du passé.

On serait tenté de penser que ces deux personnages n’en font qu’un : un brillant chercheur retourne au pays à la recherche de son identité initiale, se confrontant et à un autre destin possible si il y était resté… Deux images d’hommes, deux destinées, une sorte d’hydre à deux têtes… Les relations entre les deux hommes sont d’ailleurs montrées sous un angle fusionnel presque amoureux, avec des non dits, des rancunes, des rapprochements, des fuites, des manques de l’autre.

Les femmes et les enfants ensuite…

Charly est un personnage transversal presque virtuel, un enfant aux réactions d’adulte, symbole de l’homme originel commun aux six autres, fonctionnant en mode moteur de vie, en source d’énergie, en supplément de conscience qui révèle tel un catalyseur.

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La place des femmes dans le film est intéressante : apparemment couleur muraille, l’absence de maquillage voulue en rajoutant, ces femmes sont autant castratrices que consolatrices, maternelles en deux mots… Je ne suis pas d’accord avec la déclaration de la réalisatrice que ce sont les femmes qui sauvent les hommes dans le film ou alors après les avoir perdus ou pas loin, ce qui n’est pas tout à fait pareil…

Bien qu’on ait entendu ici et là que le film était «compliqué», la narration est très classique, hormis un petit flash-back inaugural dans la neige. La mise en place des sept hommes, puis, la mise en situation de leur vie de famille, est, au contraire, académique, avec un souci de ne pas perdre le spectateur. Là où le film pêche, ce sont sur les liens entre les personnages, ça a un côté Lellouch avec ces rencontres au fil de la vie, ces hasards et coïncidences et chabadabada… encore que pourquoi pas… Si on cherche les références, ça lorgne aussi du côté de Sautet… Possible que j’ai un esprit trop rationnel mais j’aurais préféré que l’histoire se recentre sur le personnage double du chercheur à la recherche de son identité à la manière de « Nocturne indien »… Soit un peu, si j’ai bien compris, le projet d’origine de Nicole Garcia…

Mais à la réalisatrice qui a commis ce petit chef d’œuvre de «Place Vendôme»*, on pardonnera le sentiment de scénario avec annexes que donne le film… Dans tous les cas, les reproches fait à NG sont injustifiés : on comprend parfaitement tout ce qui se passe, le titre «Selon Charlie» n’est pas une fantaisie d’auteur, c’est l’équilibre entre les partis qui n’est pas au point. On retrouve d’ailleurs ce déséquilibre dans le style qui est une juxtaposition de plusieurs façons de filmer dont on a l’impression que l’auteur est tenté de moderniser son style en n’étant pas certaine que ce soit un bon choix, d’où des retours à des plans plus classiques, des effets de temps en temps. C’est particulièrement flagrant s’agissant des deux premières scènes : l’Antartique et le TGV, on a vraiment affaire à deux façons de filmer, à deux genres d’images et ce n’est pas imputable seulement au blanc de la neige ou au jaune des lumières du compartiment du train.

Nicole Garcia, la cinéaste des hommes selon la critique? Son plus beau film était écrit pour Catherine Deneuve*… Peut-être que ce manichéisme systématique, les hommes, les femmes, avec ces cloisons étanches, n’était pas le bon angle…

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Mini-Pitch : Sept hommes en quête d’identité dont les existences se défont plus qu’elles ne se font au cours d’un ballet de rencontres orchestrées par le retour d’un explorateur célèbre dans son pays…

 

MMAD : elle cherche pas un huitième chat, pardon, un huitième homme… Nicole Garcia???

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Posted by:

zoliobi

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