TRUANDS : Profession barbares

Notre note

Dans "Agents secrets", le précédent film de Frédéric Schoendoerffer, comme dans "Truands", le parti pris du réalisateur est la démystification de l’univers du film d’espionnage pour le premier et du film de truands sympas pour le second. La réalité est tout autre : on chercherait en vain un personnage sympathique dans «Truands»… Cependant, si le réalisme dans les exactions de ces crapules est au delà du supportable, le casting est partiellement raté avec l’emploi de Philippe Caubère, totalement surjouant et caricatural, même si on admet que le truand joue lui-même un rôle de cow-boy dans la réalité.

Quant à Benoit Magimel, oscillant entre le Delon du «Samourai», tueur à gages solitaire, et de Niro chez Scorsese, il ne trouve le ton juste que par moments quand on aurait attendu d’un acteur de cette trempe qu’il adopte un style homogène pour l’ensemble de son personnage.

L’affrontement entre Claude Corti (Philippe Caubère), ignoble caïd parisien et Frankie (Benoit Magimel), truand free-lance, seul homme en qui il a confiance, n’aura pas lieu pour cause d’absence de tout autre sentiment que l’appât du gain. Un récit aussi barbare que celui de César et Brutus qui verra le fils spirituel du parrain Corti le trahir en appliquant le même anti-code de l’honneur et de l’amitié que l’autre aura pratiqué toute sa vie.

Non seulement, les scènes de violence extrême sont pour quelques unes (trois scènes environ) insoutenables mais la violence verbale des échanges est au moins aussi odieuse. Le personnage de Claude Corti est une sorte de Joe Pesci (chez Scorsese, encore…), encore nettement plus immonde que l’original, psychopathe dénégéré téléguidé par une obsession : la virilité qui passe dans son esprit parano par l’exécution, voire la torture de son entourage, ennemi ou gêneur : «un homme, moi, j’en vois un tous les matins dans ma glace car on ne me baise pas!».

La sexualisation du discours est frappante : tout ce beau monde ne s’exprime que par métaphore sexuelle, la violence étant totalement indissociable du sexe considéré comme source de profit et exutoire d’une virilité triomphante à rassurer sans cesse, à exhiber aux autres hommes. Ainsi, chaque fois qu’un truand passe la nuit avec une femme toujours prostituée, il la propose aux copains de passage «tu la veux?». La scène dans une boite de nuits où Corti s’en va se défouler sur la seule femme présente du groupe (jouée par une actrice porno) et la jette bruyamment au retour est éloquente : elle est «bonne», elle est «pas bonne», devient l’échelle de valeurs du truand ordinaire faisant son marché dans la traite des filles de l’Est, une des branches de ses «activités» avec le racket, la drogue, etc…

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Corti a cependant une maîtresse qui joue dans la même cour que lui interprétée par Béatrice Dalle qu’on découvre surprise par Corti avec une prostituée blonde, ce qui ne le dérange en rien, au contraire, la fille restera pour une partie à trois avec 3000 Euros de bonus. Quand le couple envisage la procréation artificielle, ça fait froid dans le dos : il est impossible à Béatrice Dalle d’injecter une dose d’humanité dans son personnage malgré tout son talent, l’absence d’empathie pour aucun des protagonistes est immédiate et définitive, en cela le film est réussi : ces gens-là nous font horreur. Dalle joue un personnage à la Régine dans les «Ripoux» version trash, peignoir en satin noir à fleurs de mère maquerelle, décolleté généreux, sourire carnassier. Quand pour une histoire de cartes grises, le dit Corti prend trois ans ferme à se la jouer Rambo en prison en soulevant de la fonte, on jubile, ne regrettant qu’une chose : qu’il ne soit pas haché menu par un codétenu aussi pourri que lui pour défouler la rage du spectateur sidéré sur sa chaise que ces gens-là existent et agissent quasiment en toute impunité.

Le personnage de Benoit Magimel est intéressant parce qu’il est plus fort que les autres pour des raisons inverses de la démarche de démonstration de pouvoir de Corti : Frankie n’éprouve pas le besoin d’humilier les femmes ni celui de tuer pour le plaisir, n’ayant qu’un seul objectif : l’argent. Un personnage de loup solitaire qu’on pourrait comparer à un sportif de compétition : non seulement Frankie n’a pas de cœur mais surtout il n’a pas de nerfs et c’est ce mental d’acier qui fera la différence : on le dit intelligent, il pas d’états d’âme mais un objectif financier et social. Cette absence de complaisance dans la sauvagerie gratuite le sauvera partiellement.

Un film éminemment désagréable à regarder, choquant, révoltant, un ramassis de barbares tuant, torturant, violant, ne vivant que pour la frime, les Rolex en or, la coke, les Ferrari, et les putes de luxe, s’empiffrant dans les restaurants chics après chaque massacre, éructant des grossièretés machistes, salissant tout ce dont ils parlent, etc…. Exemple d’une scène effarante parmi tant d’autres : Frankie raconte avec multe détails à Corti les souffrances horribles de sa dernière victime avant de mourir, le monstre répond, ravi, «ça me file la trique ton histoire!», pire, tout excité, Corti supplie Frankie de travailler pour lui… On mesure alors l’intelligence perverse de Frankie qui raconte tout ça à Corti pour être objet de plaisir, se faire désirer, feignant de jouer le jeu comme tout le monde mais demeurant froidement le plus impitoyable de tous.

J’aurais le plus grand mal à parler de la façon de filmer du réalisateur tant j’ai été horrifiée, voire anesthésiée par les situations et les dialogues, en sortant du cinéma, j’étais moins choquée qu’en y repensant pour écrire ce billet, j’ai censuré mes émotions et j’ai épongé le choc en allant regarder "24 heures chrono", Jack Bauer m’a réconfortée… Néanmoins, la mission de Frédéric Schoendoerffer de démystification de l’univers romantique du polar est accomplie, et bien au delà. Le voyou tragique Melvillien, le Tonton flingueur, l’Arsène Lupin gentleman, le Parrain nostalgique de son Italie natale, la gagneuse qui aime son tapin, fini de fantasmer, trop, c’est trop… A la réflexion, ce n’est pas une mauvaise chose de voir ce film, un point sur le i de barbarie et un point final à l’angélisation du code d’honneur des maffiosi…

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zoliobi

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