"666, La Malédiction" : Le numéro surtaxé de l'Apocalypse

John Moore, 2006

Je me serais épargnée bien des années dinutile psychanalyse si javais appris plus tôt la portée du numéro de téléphone de la maison de mon enfance : le 666.

——Incapable dannoncer à sa femme Kathryn que leur enfant est mort pendant laccouchement, le diplomate Robert Thorn prend une décision dont il ignore combien elle est diabolique au sens premier du mot : il accepte de remplacer leur enfant par un orphelin né au même moment. A la même époque, Robert Thorn se voit proposer un poste de vice-ambassadeur à Londres. Cest alors quun attentat enterre prématurément lambassadeur en titre, son ami, dont il prend alors la place «jai limpression de marcher sur le cadavre de Steven» dit laconiquement Thorn, suspicieux, à juste titre, de cette trop soudaine promotion, car, très vite, des morts mystérieuses et des accidents inexpliqués vont devenir le lot quotidien.

«La prophétie du livre de la révélation est en passe de saccomplir : elle annonce lavènement de lAntéchrist, stigmatisé par le nombre 666, la marque de la bête» (livre de lApocalypse- Jean XIII/18)

On retrouve le couple et leur enfant, Damien à lanniversaire de ce dernier et on objectera quon a mystérieusement sauté plusieurs années à pieds joints sans rien montrer de lévolution de lenfant entre sa naissance et 5 ans. Dans une ambiance surannée de fête dans un jardin anglais sous un ciel de nuages, la nurse de Damien se jette du toit en linterpellant, une de ses chaussures venant exploser dans le rouge des cocktails préparés sur un buffet. Les hurlements de la mère de Damien, décalés par rapport à lévènement, en rajoutent à la musique déjà assourdissante.

Pendant ce temps, Jennings, un photographe paparazzi à la recherche dun scoop, voit ses développements de photos de lambassadeur et son entourage parasités par des signes étranges et inquiétants dans la lumière rouge de son laboratoire photo.

Pour remplacer la nurse, Mrs Baylock, une garde denfants douce et attentionnée se présente au couple Thorn et devient rapidement la louve protectrice de Damien. Sous les traits de Mia Farrow avec toute la symbolique de «Rosemarysbaby», Mrs Baylock est de loin le personnage le plus fort du film : sans le moindre artifice ni aucun effet spécial, Mia Farrow compose un personnage sous contrôle de Satan, le regard et les imperceptibles contractions de son visage lui conférant un pouvoir anxiogène bien supérieur à tous les cauchemars (dont le réalisateur nabuse pas mais le film aurait gagné en pouvoir infini de limaginaire parano si on les avait supprimés).

Petit à petit, les Thorn doivent se rendre à lévidence : Damien nest pas un enfant comme les autres. Dune crise de nerfs où il griffe le visage de sa mère au sang à son impassibilité, son regard magnétique, indifférent ou cruel, son absence de toute maladie de lenfance, les signes de sa différence se multiplient avec le temps.

La symbolique des couleurs est simplissime : le gris-vert de la vie quotidienne empreinte de soupçons et de tensions, le blanc clinique de la pureté de la mère face à l’angoisse, en alternance avec le rouge du diable au moment des catastrophes, ce qui donne une atmosphère totalement déprimante, vaguement nauséeuse. Ainsi, pour la musique, toute arrivée imminente dune catastrophe est précédée dune musique déveil angoissante et dun gros plan dun objet ou dun regard, prévenant le spectateur, le parcours est balisé. Les appels au rouge sont un peu voyants : la robe de chambre de la mère, le labo du photographe, les fleurs, les boissons, etc Exceptionnellement, le réalisateur sessaie à une scène aux tons plus chauds avec des filtres de buée, pour figurer quelques rares moments de confidence.

Si dans «Donnie Darko», la schizophrénie du personnage était révélée par la présence dun lapin monstrueux, ici, cest un chien noir qui donne limpulsion démoniaque à lenfant. Le film est découpé en périodes avec des dates se rapprochant du 6ème jour du 6ème mois de la 6ème année de Damien, larrivée du 666

Bien que la forme soit plutôt stylisée et ultra-démonstrative avec un objectif grand public clairement affiché où on surligne, images, évènements et musique, deux fois plutôt quune pour mâcher la compréhension du spectateur paresseux, le propos est plus ambitieux quil ny paraît : de Hitler au 11 septembre, au terrorisme chronique des années 2000, en passant par les catastrophes climatiques récurrentes comme le tzunami ou le cyclone Katrina, les figures de lAntechrist sont multiples et se multiplient. Par ailleurs, lintervention de lhomme dans sa destinée telle quelle était «écrite» et ses conséquences est un sujet en filigrane : la décision de Robert Thorn, quon pourra qualifier de lâcheté ou de générosité, de ne pas décevoir sa femme après de nombreuses tentatives infructueuses de grossesses, va le mener dans le mensonge aux portes dun enfer qui pourrait bien être le berceau de lArmageddon

«Il est dit dans la prophétie de lApocalypse que lAntechrist recevra son pouvoir de Satan lui-même afin détablir son royaume sur cette Terre. Alors débutera lArmageddon », site ultime de confrontation entre les forces du bien et du mal»

Casting :

Liev Schreiber : Robert Thorn
Julia Styles : Kathryn Torn
Seamus Davey-Fitzpatrick : Damien
Mia Farrow : Mrs Baylock
David Thewlis : Jennings
Pete Postlethwaite : le père Brennan

Liev Schreiber que lon avait vu récemment dans «Un Crime dans la tête» où il incarnait un homme de pouvoir poussé par sa mère, Meryl Streep, est totalement crédible dans le rôle d’un père de famille mais na pas le charisme dun Gregory Peck… et, plus récemment, on préférait en diplomate le séduisant Ralph Fiennes dans «The Constant gardener» de Walter Salles.

Julia Stiles, prisée des amateurs des deux films à succès avec Matt Damon : «La mort dans la peau» et «La Mémoire dans la peau» (la suite), dans le rôle du seul personnage innocent du film, a du mal à faire le poids face à une Mia Farrow surboostée, mais qui le ferait?

Mia Farrow : cest incontestablement la géniale trouvaille du casting, non seulement, elle porte en elle les stigmates de son rôle de mère enceinte du diable dans le «Rosemarys baby» de Polanski mais lactrice a toujours excellé dans des rôles névrosés comme «Terreur aveugle» de Richard Fleisher, «Cérémonie secrète» de Losey avec Liz Taylor ou «Docteur Popaul» de Chabrol, bien loin de ses débuts dans le soap feuilleton «Peyton place». Enrôlée ensuite dans le statut de muse du cinéma de Woody Allen, qui la voyait tout autrement (dans ses films), elle avait disparu des écrans et cest son grand retour au cinéma dans un rôle sur mesure.

Le réalisateur John Moore a travaillé comme assistant opérateur sur les films de Neil Jordan et Jim Sheridan. Cest son troisième film après «En territoire ennemi» avec Gene Hackman et «Le Vol du phoenix» avec Dennis Quaid. En faisant ce remake de « La Malédiction » de Richard Donner avec Gregory Peck et Lee Remick, John Moore a déclaré quil avait voulu rester fidèle au film de 1976 en le remettant au goût du jour, et, pour commencer, il a mis en scène un couple jeune plein davenir au lieu de celui dune quarantaine dannée de la première version. Cependant, limage ne rend pas cette modernité, (pour ne pas dire, au contraire, qu’elle s’applique à reproduire un ton passéiste plutôt bienvenu), plombée par les couleurs verdâtres et lexcès de rouge, avec des musiques académiques quon aurait préféré plus décalées. Comme disait le grand Hitch «il faut filmer les scènes de meurtre comme des scènes damour et vice-versa». Le film a été tourné à Prague, sous un climat qui a dû contribuer (in)directement à la mauvaise mine de limage. Si on a pu reprocher, à juste raison, à Sofia Coppola, de faire plutôt de la photo de mode que du cinéma dans «Marie-Antoinette», ici, à l’opposé, le réalisateur est foncièrement pragmatique dans le choix des couleurs et de la photo au détriment de toute dimension esthétique malgré quelques louables tentatives.

Un film grand public revendiqué avec un dessous des cartes en prise sur lactualité, qui devrait rassembler pas mal de pèlerins à la cérémonie davènement de lAntechrist

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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