AsiaDeauville en Chine : Lu Chuan et « City of life and death »
Lu Chuan, sortie 21 juillet 2010
Dans la série regards sur un nouveau cinéma asiatique, l’invité cette année du festival du film asiatique de Deauville était le réalisateur chinois Lu Chuan qui n’avait pas pu se déplacer pour présenter son film, remplacé par le représentant de l’ambassade chinoise à Paris pour recevoir son trophée. Dommage, il aurait sans doute été très applaudi car son film est un choc, la première partie surtout est sublime, la seconde partie s’enlisant parfois, la fin un peu démago mais ce n’est rien, c’est un film superbe (auquel je ne m’attendais pas) qui a été présenté ce soir. Certaines scènes dures et réalistes ont fait sortir quelques spectateurs en cours de route, comme tous le soirs…

Tandis que je croise des confrères blogueurs à la sortie de la projection comme Melissa d »Une Dernière séance? » ou Thomas de « Rob Gordon a toujours raison », certains se dirigeant vers le cinéma du casino pour rattraper « Paju » en compétition (il repasse dimanche, rien n’est encore perdu…), je bifurque pour tester au sein du même casino… le lounge Sofa bar 02 comme l’oxygène, un concept importé de New York où, m’a raconté le barman, on renifle de l’oxygène dans des sortes de narguilets, à Deauville, on n’en est pas là mais, décoré par Jacques Garcia, le bar kitschissime et ses bustes translucides d’empereurs romains le surmontant changent de couleur tous les quart d’heures et le velours violet des fauteuils est absolu.

—–
« City of life and death » (2009)

Comme hier soir avec « Nuits d’ivresse printanières », on est resté à Nankin mais à une toute autre époque. Le film raconte, d’abord, la prise de Nankin en décembre 1937 par les troupes japonaises en trois jours face à une résistance chinoise exangue, ensuite, le massacre de Nankin, devenue ville fantôme, occupée par les troupes japonaises, comportant néanmoins un quartier de réfugiés chinois. La puissance de la première partie, l’assaut de la ville, les combats, la liquidation des prisonniers de guerre, est assez stupéfiante, les images sont magnifiques (en noir et blanc), les accélérations et le montage donnant des scènes d’une rare intensité à pleurer de beauté et de tristesse.Dans la seconde partie, la ville aux mains de japonais, on aligne une succession d’histoires particulières avec parfois trop de pathos quand les images se suffisent largement à elles-mêmes. Le rythme n’est plus le même, certaines scènes ont tendance à s’allonger sans raison, les adieux des uns, les pleurs des autres, bien qu’on aborde un sujet brûlant plus d’une fois, l’utilisation des femmes comme chair à soldats tout comme les hommes précédemment étaient chair à canon. Quand ce ne sont pas des prostituées japonaises, ce sont cent femmes chinoises qui se portent volontaires pour qu’on les brade aux soldats japonais afin de sauver le quartier des réfugiés. Des femmes qu’on épuise, jetées mortes après usage intensif. C’est tellement choquant que le surlignage de leur douleur n’était pas nécessaire, au contraire, tout comme les scènes familiales de déchirement sont souvent trop appuyées.

photo Metropolitan
Si on passe sur cette demi-heure un peu trop démonstrative et sur une fin démago sur le futur réveil de la Chine (un homme et son fils batifolant dans la nature), voire le suicide du commandant japonais filmé d’une manière appuyée, tout le reste emporte l’adhésion. Une phrase finale de l’officier japonais résume ce film « La vie peut être plus dure que la mort »… Le réalisateur insiste sur l’hébétude des deux partis, les soldats japonais sont filmés dès le départ comme ivres d’une mission qui les dépasse, submergés par la violence de la guerre, des exécutants qui obéissent aux ordres. Face à eux, des résistants chinois à peu près dans le même état d’angoisse pour les raisons inverses, ceux qui chantent pour aller mourir en rang n’ont trouvé que cette manière d’agir, chanter. On est assez étonné, en tant que français, du rôle de l’officier nazi, l’Allemagne alliée alors au Japon, devenu pratiquement un missionnaire pour les chinois assiégés qui pleurent son départ.Il y a vraiment des scènes d’une beauté et d’une force bluffantes comme cette fête de la victoire japonaise aux sons des tambours avec ces corps qui exultent d’avoir vaincu l’ennemi, ces résistants chinois abattus à la louche qu’on enterre encore vivants, ces chinois tentant de s’échapper tués dans l’eau, cadavres qui flottent comme des feuilles. La BO aussi est fameuse, l’enfer sonore de la guerre, les chars, les tirs, les sirènes, les tambours obsédants. L’arrivée à Nankin démolie, dévastée, brûlée, désertée, est déjà en soi au début du film assez sidérante, on comprend tout de suite qu’on a affaire à du lourd.

photo Metropolitan
Après quatre ans de préparation et de négociations pour préparer son film, Lu Chuan a pu passer le filtre de la censure qui n’appréciait pas que le réalisateur, pour éviter tout manichéisme, ait dédiabolisé les japonais après la mort de 300 000 chinois lors du massacre de Nankin, d’autant que le film choisit un angle d’attaque audacieux : le regard sur les événements, non pas du côté chinois, mais celui d’un commandant japonais et d’un de ses soldats archétypal, type soldat inconnu. Le film a fait un carton au box-office chinois, ce qui ne le protège pas de la censure qui peut intervenir même a posteriori quand un film est déjà à l’affiche. En France, le film est distribué par Metropolitan mais j’ignore si une date de sortie est déjà arrêtée.

Notre note
(5 / 5)
Laisser un commentaire