Cannes 2010, compétition, Sean Penn absent pour « Fair game », les critiques de « Des Hommes et des dieux » et de « Outrage »

 


Ca sent la fin, une photographe dit que beaucoup de ses confrères sur le tapis rouge sont déjà partis, des stands ont été démontés, les festivaliers, qui manquent crucialement de sommeil, se traînent aux dernières projections, tournent d’une soirée à l’autre, le critique de cinéma de Télérama croit reconnaître à la gare de Cannes le sosie d’Inarritu… Une soirée ultra-VIP a transporté en hélicoptère 200/300 happy-few mercredi soir sur le yacht du co-fondateur de Microsoft, un palace flottant possédant deux héliports, tout ça pour fêter Mick Jagger venu présenter « Stones in exile » à la Quinzaine des réalisateurs. Le businessman des Stones a ignoré la presse, refusé les interviews… Aujourd’hui, la présentation du seul film américain en compétition « Fair game » de Doug Liman, a été endeuillée par l’absence de Sean Penn, l’acteur principal, en revanche, sa partenaire Naomi Watts a passé la semaine sur la Croisette puisqu’elle était déjà au casting du Woody Allen présenté le WE dernier. Trois films en compétition pour ce jeudi avec le film italien « La Nostra vita » de Daniele Luchetti et le film de Ken Loach (en compétition pour la 10° fois) ajouté à la sélection officielle deux jours avant l’ouverture. Ajout aussi in extremis hier soir d’un doc sur le film « Mammuth » en séance spéciale vendredi soir, une manière de faire venir Depardieu sur le tapis et peut-être de faire rester Adjani, déjà venue à Cannes mardi pour représenter une grande marque de joaillerie à une soirée au Cap d’Antibes où elle portait une drôle de perruque noir jais.
 

« Des Hommes et des dieux » (Xavier Beauvois), la critique de Benoit Thevenin en direct de Cannes

« Des Hommes et des dieux », sortie 8 septembre 2010


Le sujet était casse-gueule et pourtant Xavier Beauvois a magnifiquement relevé le défi. Le réalisateur du « Petit Lieutenant » suit les dernières semaines des septs moines du monastère de Tibéhirine en Algérie, avant leur enlèvement et exécution par un groupe terroriste en 1996. Laction se déroule quasi intégralement dans le huis clos du monastère, et laustérité qui caractérise le lieu, si elle contamine logiquement le récit, nest jamais lourde. Xavier Beauvois sait être subtil et en loccurrence, si « Des Hommes et des Dieux » est une si franche réussite, cest parce que le cinéaste décrit progressivement, avec beaucoup de délicatesse, tous les cheminements de pensées qui vont conduire les moines à se laisser tuer pour une cause qui nest pas la leur mais quils semblent comprendre.

Xavier Beauvois nélude aucune problématique et si le film est impressionnant, cest parce quentre tous les chants paroissiaux qui émaillent lintrigue, lobjet des débats qui animent les moines nest jamais vain, nous force à admettre différentes considérations vers lesquelles on ne se projette pas instantanément et qui rendent compte dune complexité, tant morale, idéologique que personnelle et même politique, qui nous font comprendre ce que lon peut estimer à priori impensable. Les moines se savent menacés et ont conscience de linéluctabilité de leur destin. Ce nest quune question de temps, sils restent sur place, ils se feront massacrés. Le film montre alors une situation dattente que lon pourrait penser stupéfiante. Sils restent, cest quils ont de bonnes raisons de le faire.

Beauvois livre un film intelligent qui a une résonance très actuelle. La lettre laissée par Frère Luc (Lambert Wilson, encore très bon, lui qui est déjà impressionnant dans « La Princesse de Montpensier ») nous renvoie aux problématiques terroristes modernes, ce qui induit un certain pessimisme puisquon semble en rester aux même schémas. Le film ne fait pas que représenter un fait historique connu, il a une portée bien plus large et bien plus ambitieuse.

Lambition de Beauvois se retrouve dans sa réalisation tout à la fois sobre et sophistiquée mais qui permet de ménager une véritable intensité. On pense notamment aux scènes finales, par exemple celle, forte,  du dernier repas commun sous fond du Lac des Cygnes ; ou les plans finaux qui permettent de conclure le film de la meilleure façon qui soit. Rien ne dépasse, tout est carré, et cest une sacré bonne nouvelle que de constater que Beauvois arrive à changer de registre sans pour autant perdre sa grande maîtrise cinématographique. « Noublie pas que tu vas mourir » avait été une révélation qui a été magnifiquement confirmée. « Des Hommes et des Dieux » est une réussite autant impeccable et implacable que « Le Petit Lieutenant », alors même que les deux métrages sont très différents et ne séduiront pas nécessairement les mêmes publics. Beauvois prouve surtout quil est un grand cinéaste, ca nous parait maintenant incontestable, et on espère que le jury de Tim Burton partage notre sentiment

 


« Outrage » (Takeshi Kitano), la critique de Benoit Thevenin en direct de Cannes

« Outrage », sortie? 


Réalisateur incontournable des années 90, Kitano sétait révélé avec quelques films de yakuzas violents qui oint vite fait sa réputation (« Violent Cop », « Sonatine »). Kitano sest ensuite fait poète (« Kikujiro », « Dolls ») avant une trilogie introspective singulière et à certains égards déroutantes dont on vient de découvrir en France le dernier volet, « Achille et les Tortues ».Avec « Outrage », Kitano semble revenir au cinéma de ses débuts, sauf quil sagit en fait dun objet hybride, un film complètement inintéressant qui va sans doute faire un peu tâche dans la filmographie quand même éloquente de Kitano. Le scénario de « Outrage » na absolument aucun fond et se résume à une succession de règlements de comptes entre clans de yakuzas rivaux. Le pitch est alors prétexte à un déferlement de violence mais burlesque (on sait que Kitano est à lorigine célèbre pour son  talent comique à la télé japonaise), avec une inventivité renouvelée à chaque séquence pour satisfaire lappétit du spectateur.

« Outrage » nest donc pas une purge, cest au contraire un film drôle qui fonctionne comme un exutoire. On peut aussi rester sur notre faim car Kitano nous a habitué à bien mieux, parce que « Achille et les Tortues » nous laissait présager dun vrai retour au premier plan du Kitano cinéaste. Gageons quil a dû bien samuser à réaliser « Outrage » et la farce que constitue le film est sans doute pour lui une honnête récréation. Sans doute la sélection du film à Cannes augurait dune oeuvre dun tout autre niveau, et cest probablement de là que vient la déception. Cela dit, quoi quon dise, Outrage est de toutes les façons un tout petit Kitano.

 BT/Laterna Magika

Petit résumé des temps forts de mercredi 19 et jeudi 20 mai…

 

mercredi 19 mai
« Poetry » de Lee Chang-dong, second film coréen en compétition (avec « The Housemaid ») pourrait bien faire partie du palmarès. L’actrice interprète de la grand-mère confrontée à son petit-fils est une icône du cinéma japonais des sixties/seventies qui reçut plus de scénarios en abandonnant le cinéma que Grace Kelly après son mariage et n’avait plus tourné depuis 17 ans. Habitant en France avec son mari musicien, elle parle couramment le français. Dans le superbe « Secret’ sunshine », le réalisateur avait traité de la souffrance des victimes, dans « Poetry », il aborde plutôt l’angle de la souffrance des bourreaux. Autre film en compétition du mercredi 19 mai, le film Ukrainien « My Joy » de Serguei Loznitsa (un trentenaire aux regard gris séduisant et timide). Lors de la conférence de presse, presque uniquement des questions en russe, le réalisateur étant un ancien documentariste, son film « My Joy »est taxé de documentaire alors que c’est son premier film de fiction. Deux films en séance spéciale « Chantrapas » d’Otar Osseliani et les 5h33 de « Carlos » d’Olivier Assayas (avec une pause goûter) qui a séduit le plus grand nombre. A la quinzaine des réalisateurs, trois heures d’attente pour voir Mick Jagger présenter « Stones in exile », les autres Stones absents, il a assuré tout seul. Ce film passera en exclusivité le 10 juin à 20h35 sur France 5.
 

Mick Jagger à Cannes (photo Isabelle Vautier)


 

jeudi 20 mai
Très attendue bien que peu fréquentée faute de combattants, la conférence de presse de « Carlos » avec Olivier Assayas et ses acteurs, Edgard Ramirez acteur jouant Carlos, alias Illich Ramirez Sanchez, porte le même patronyme, Vénézuelien lui aussi. Le vrai Carlos lui a écrit de sa prison pour protester contre les inexactitudes du scénario. On y parle surtout du débat sur l’exclusion de « Carlos » de la compétition à cause de son financement par la télévision. C’est oublier un peu vite la palme d’or à un certain « Padre padrone », téléfilm des frères Taviani… Lire ma critique de « Carlos » (première partie) sur www.cinemaniac.fr…
 

« Carlos » (photo Canal+)

Trois films en compétition :
« Fair game » de Doug Liman avec et sans Sean Penn (retenu à Washington), Naomi Watts dans le rôle d’un agent de la CIA (présente également à Cannes) dénoncée par son administration sous le gouvernement Bush, n’a pas emballé les foules, certains même n’ont pas compris sa sélection… « La Nostra vita », film social de Daniele Luchetti, ancien assistant de Nanni Moretti, déjà venu à Cannes avec « Le Porteur de valise », n’a suscité aucune réaction…. »Route Irish » de Ken Loach, « le 19° film » ajouté à la compétition, sur la guerre en Irak du nom d’une route en Irak, semble avoir pas mal ennuyé le pélerin ayant eu le courage de se rendre à la projection. Mais Ken Loach, déjà Palme d’or avec « Le Vent se lève », à qui le présentateur demande en bas des marches s’il possède un appartement à Cannes, compte tenu de ses dix sélections, est populaire, signant des autographes en bas des marches, ce qui est rare pour un réalisateur.
sections parallèles :
Aperçu l’actrice Géraldine Pailhas en robe de coktail en lamé décolletée dès le matin sur la terrasse de TV Festival, venue présenter « Rebecca H » de Lodge Kerrigan en section parallèle Un Certain Regard, fière que le rôle ait été écrit pour elle, très affectée en choisissant ses mots, maniant parfaitement les euphémismes du genre qu’elle ne rechigne pas à « se réjouir » en parlant des fêtes cannoises… Le seul film français sélectionné à Un Certain regard, « Simon Werner a disparu » de Fabrice Godert, donne envie de le voir, on en reparlera sûrement… La Soirée de clôture

de la Semaine de la critique a lieu un jour plus tôt que les années précédentes avec deux court-métrages réalisés par des jeunes stars US : Kirsten Dunst/ »Bastard » et James Franco/ »The Clerk’s Tale ». 


Louise Bourgoin sur le tapis rouge (photo Isabelle Vautier)

 

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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