Fin de la semaine documentaire du Festival du cinéma brésilien/ »Frontières de sable » et 3 autres doc…

Fin de la seconde semaine du festival du cinéma brésilien, semaine entièrement consacrée au film documentaire. Je suis donc allée au cinéma Latina (peu facile d’accès, patience pour obtenir une place…) voir d’autres documentaires très différents les uns des autres : après un film sur la leçon de vie de trois frères atteints du sida étant devenus des stars au Brésil, "Trois Frères de sang" (lire ma critique sur le film dans un billet précédent…), j’ai vu également quatre autres films : un film sur la plage, lieu de vie à part entière, "Frontières de sable", deux films sur des musiciens, respectivement inventeurs de la bossa nova et de la samba : "Vinicius" et "Cartola, roi de la samba", enfin, un film sur le photographe amazonien Luiz Braga"Territoires intimes".

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1. "Frontières de sable" ("Faixa de areia")
de Daniela Kallman et Flavia Lins e Silva

C’est le documentaire, qui avait l’air le plus léger, vu du catalogue, puisqu’il traitait de la plage, lieu de vie à part entière à Rio de Janeiro. Il n’en est rien, c’est sur la plage où se déroulent les interviews de la réalisatrice que le spectateur français appréciera si il existe un comportement démocratique sur les plages de Rio de Copacabana à Barra jusqu’à Recreio, en passant par Urca, Flamengo, Apoardor, Ipanema, Leblon et Sao Conrado.

Tous les cariocas (habitants de Rio) se mélangent sur la plage, venant de la ville, sauf que tous n’ont pas la même facilité d’accès à la plage. Quand les habitants du quartier cossu d’Ipanema, avec ses rues ombragées, ses boutiques et restos de luxe, ou de Leblon (Ipanema et Leblon sont deux quartiers contigus où l’immobilier est le plus cher de la ville), qui possèdent des appartements avec souvent vue sur la mer, ont seulement l’avenue à traverser pour aller faire leur footing sur la plage, les habitants des favelas, quartiers pauvres installés sur les collines de Rio, les morros (non constructibles pour les promoteurs) doivent prendre le bus… Et ce sont ces arrêts de bus sur la plage qui vont déterminer quelle plage est chic, quelle plage est populaire. Pour se rendre à Recreio, par exemple, plage plutôt sauvage située au bout du bout de Barra de Tijuca (quartier résidentiel de buildings, très éloigné du centre, genre Neuilly sur mer), il faut une voiture. En revanche, la plage de Ramos, desservie par de nombreux autobus, est très populaire, au point que les habitués confessent mentir en disant à leur entourage qu’ils vont à la plage chic de Barra.

Au sein de chaque plage, on retrouvera des subdivisions, des «postos» (postes) numérotés, comme par exemple Ipanema posto 9, plage bobo face à l’hôtel Caesar Park, un des grands hôtels de Rio, ou posto 10, plage BCBG face au Country club de Rio, ou encore posto 12, plage populaire face à une favela. Mais les plages privées en tant que telles n’existent pas, contrairement aux abus qu’on trouve sur le littoral français de la côte d’azur ou du Var, par exemple.

De nombreuses interviews allant et venant d’une plage à l’autre donnent à ce documentaire un côté un peu universitaire d’enquête, troué par quelques rares gros plans personnels de la réalisatrice, comme ceux sur les marchandises proposées non stop sur les plages par les marchands ambulants : hommes et femmes avec sur les épaules des immenses portants de maillots de bains, paréos, chapeaux, crèmes solaires, lunettes de soleil, bijoux. Encore plus nombreux, les marchands de nourriture, brochettes de crevettes, sandwishes, boissons fraîches, glaces, etc… Mais ce n’est pas tout, sont également proposés sur la plage des massages, des tatouages, des lectures de lignes de la main, des teintures de cheveux, la plage est l’annexe naturelle de la ville.

Plage de Sao Conrado, deux jeunes gens d’une favela confessent qu’à la plage, ils échappent au coups de feu et aux poursuites des policiers… Plage de Barra, une vieille dame et sa fille, en provenance de Recife (dans le Nordeste), avouent ne passer leurs journées à la plage que pour travailler à ramasser des canettes qu’elles écrasent, pour les revendre au kilo, ça leur permettra de récolter au mieux 15 réais par jour (environ 5 Euros) pour se nourrir… Deux travestis et leur mère, avec tous les trois la même coiffure de longs cheveux nattés, parlent de l’argent nécessaire pour leurs injections de silicone, la mère insiste, à leur âge, sur les douleurs de l’accouchement… Sur la plage d’Ipanema, une jeune femme ravissante, regard de chat, bouche d’Angelina Jolie, est en train de se faire masser dans un minuscule bikini ; elle concède que les seules choses qu’elle ne fera pas pour de l’argent, c’est tuer ou voler, en revanche, quand elle tient compagnie aux touristes, elles les aide, donc ils l’aident en échange… Une très grosse dame en maillot une pièce a décidé de changer de plage pour une plus chic après que son psychologue lui ait conseillé de changer de l’intérieur…

Plage de Leblon, un homme devenu marchand de jus de fruits sur la plage après son licenciement, a pu acheter une maison et payer les études de ses enfants. Plage d’Urca (ravissant quartier préservé avec une petite plage), un ancien cadre de la pub au chômage s’apprête à vendre des hot-dogs, commerce de plage qui lui rapportera davantage que son ancien métier, même des policiers, des avocats exercent le métier de vendeurs sur la plage. Information confirmée par un marchand de Copacabana, ses meilleurs clients viennent des quartiers populaires qui ne refusent rien aux enfants, les riches, eux, vont au restaurant.

Plage, lieu de récréation, d’affaires, de rencontres amoureuses, un couple gay s’est rencontré à la plage, l’un est brésilien, l’autre canadien, il se parlent en anglais, en espagnol ou en français. Un couple marié depuis 20 ans s’est connu à la plage en bavardant. Un couple jeune s’est uni parce qu’il draguait la copine de la jeune fille déjà engagée ailleurs. Le soir du réveillon du 31 décembre, tous les cariocas envahissent à minuit les plages habillés en blanc en jetant des fleurs blanches dans l’eau en offrande à la déesse de la mer Jemanja (rite de la religion condomblé). Tout le monde se mélange, s’embrasse, se souhaite la bonne année, danse au son des percussions sur la plage.

Démocratique ou non, les plages de Rio, les avis sont partagés, si tout le monde a le droit de fréquenter la même plage, une sélection s’opère naturellement, par les moyens d’accès à la plage et au même au sein d’une plage donnée, d’un poste, on va retrouver des groupes, les dragueurs, les familles, les plus huppés. Cependant, là où tous sont unanimes c’est sur l’apparence physique : gros ou maigre, jeune ou vieux, noir ou blanc, étranger ou brésilien, ça n’a aucune importance, comme dit un homme plein de bon sens «à la plage, on est tous réduit à un maillot de bain»…

Un sujet de rêve sur des plages paradisiaques, sables de contrastes comme tout le Brésil, pays de contrastes, pour lequel on aurait aimé un peu moins de linéarité dans l’enchaînement des interviews, passionnantes sur le fond, peuplées de gens sympathiques et chaleureux, mais sans créativité dans la manière de les filmer, sans touche artistique personnelle. Ceci dit, on serait sans doute mieux au pays du Corcovado à manger des crevettes sur la plage qu’à Sarkoland…

vinicius

2. "Vinicius"
de Miguel Faria Jr

Biographie fleuve de Vinicius de Moraes, diplomate, poète, compositeur et inventeur de la bossa nova. Personnage pas vraiment sympathique, personnalité double prisant autant les honneurs et les mondanités que la musique et les femmes de petites vertu des quartiers populaires, Vinicius se mariera 9 fois pour entretenir une passion pour une femme neuf fois de suite, la femme aimée étant sa principale source d’inspiration…

Le choix du procédé de deux acteurs de théâtre déclamant face caméra entre les documents d’archives et les interviews de l’entourage de Vinicius de Moraes, a certainement séduit pas mal de spectateurs puisqu’il a eu le prix du public la semaine dernière (documentaire présenté néanmoins à la semaine du films de fiction). Ce n’est pas mon cas car ces interventions coupaient le rythme déjà lent d’un film trop long.

En revanche, les vues d’un Rio des années 30 à 50 sous l’influence française avec des tenues des élégantes parisiennes et des terrasses très chics comme celle du Copacabana palace, sont surprenantes et très intéressantes car c’est une période dont on n’a pas beaucoup de photos et dont on imaginais pas un tel instantané…

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3."Cartola, roi de la samba"
de Lirio Ferreira et Hilton Lacerda

Cartola, abandonné par son père à l’âge de 16 ans dans une favela après la mort de sa mère, deviendra roi de la samba avant de retomber dans l’anonymat et de finir ses jours ruiné, acculé à retourner… chez son père… Squattant les trains, puis recueilli très jeune par une femme plus âgée que lui, il hérite d’une épouse, d’un fils et d’un beau-père et aussi de maladies vénériennes pour être aller compter fleurette au paradis des prostituées…

Personnage éminemment sympathique et dilettante, acceptant avec une humilité et une facilité étonnantes sa ruine matérielle ou artistique, renaissant de ses cendres pour y retomber et ainsi de suite, Cartola demeurera pourtant extrêmement coquet jusqu’à la fin de ses jours, mettant son dentier pour les photos et traînant une éternelle et multiple opération ratée de chirurgie esthétique du nez.

La samba venue de Bahia à Rio n’était pas composée à l’origine pour être vendue mais les marchands de disques ont acheté les morceaux aux compositeurs comme à un compère de Cartola, fauché, qui n’avait vendu que « sa moitié » de samba… Cartola a bien failli faire fortune en ouvrant avec sa femme le premier music-hall de Rio, le ZiCartola, mais le voulait-il vraiment, ce n’est pas certain… Il était si mauvais gestionnaire, ne faisant pas payer ses amis, ses connaissances, qu’il fit faillite… Repéré des années plus tard comme simple employé au ministère de l’agriculture par le fils du ministre, ce dernier le fit promouvoir pour servir le café dans le cabinet ministériel trois heures par jour…

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4. "Territoires intimes" ("Lugares do afeto")
de Jorane Castro

Avec le sujet le plus ardu et le moins grand public, c’est le documentaire que j’ai trouvé le plus inventif, répondant à la création par la création. Il s’agit d’un film sur l’œuvre d’un photographe brésilien, Luiz Braga, à l’occasion de l’exposition de ses 30 ans de photographie.

Luiz Braga, né à Belem dans l’état du Para en Amazonie, est surtout connu au Brésil pour ses photos uniques sur les habitants de sa région. Loin de clichés du fleuve et de la forêt, Braga a su créer une Amazonie «re-signifiée» pour reprendre le terme exact d’un commentateur. Partant des de la picturalité naturelle des compositions n’étant pas destinées à l’art (comme des plateaux de rangées de quartiers de pastèques ou des pommes d’amour rouge décorées de paillettes), des objets de consommation de la vie quotidienne présentés de façon esthétique au delà de leurs couleurs naturellement vives, des frontons des maisons et des commerces multicolores, des peintures des tribus amazoniennes, Luiz Braga va y intégrer sa touche personnelle. Forçant sur certaines couleurs ou les mettant en exergue, mélangeant le réel et l’imaginaire, il en résulte une sensation d’étrangeté, d’une œuvre un peu fantastique. En regardant les photos de Luis Braga, on est au delà de la photographie et à la lisière de la peinture.

La jeune réalisatrice, parlant au demeurant parfaitement français, a réussi le pari de faire exister aussi son style en filmant celui d’un artiste au style très fort, en deux mots, un film sur le film, et ce n’était pas facile. Un œil de cinéaste et une créativité certaine, à suivre…

 

 

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zoliobi

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