Jeanne Moreau à la Cinémathèque : "Rien n'est perdu"

samedi 9 février 2008, rétrospective Jeanne Moreau
Dure rencontre pour le spectateur, annulée le mercredi, rétablie le vendredi, avec un nombre de places comptées et plus la possibilité de réserver pour l’abonné. Mais les fans opiniâtres avaient confiance, elle viendrait quand même, leur Jeanne Moreau, la star de tant de films mythiques, et ils avaient raison. Personnellement, ayant eu lopportunité d’obtenir une invit, je n’ai pas fait la queue et profité bêtement de lesplanade attenante à la cinémathèque pour prendre lair avec ce temps printanier… (Pour la rencontre avec Catherine Deneuve lannée dernière, par exemple, après deux heures dattente, javais dû racheter la place de quelquun in extremis tout en ayant ma carte dabonné, donc payer deux fois ma place !) Rentrée dans la salle la fleur au fusil (à l’appareil photo, je veux dire), consternation : aucune place assise, la salle bondée, overbookée, repoussée de plus en loin par les hôtesses jusquà la dernière rangée tout en haut, celle plongée dans lobscurité quon ne voit pas en entrant. Tout ça pour dire que j’ai donc passé toute la rencontre (1h30) à l’extrême fond de la salle, debout ou accroupie contre le mur ou une marche d’escalier, et, contrairement à mon projet, je nai eu aucune possibilité de prendre des notes pour raconter la rencontre en détail sur le blog, je vais donc essayer de le faire de mémoire dans un ordre non chronologique (désolée pour les raccourcis). Quant aux photos, merci à mon cadeau de Noël, un nouvel appareil photo avec un zoom puissant !

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Quand Jeanne Moreau est arrivée, vêtue dun jean délavé et dune veste blanche, chaussons blanc aux pieds, la salle a applaudit et elle aussi, joyeuse, vivante, le ton était donné. Au deux intervenants, on a adjoint le biographe de Jeanne Moreau, assis discrètement au fond de la salle et sommé de rejoindre le trio sur scène, sa présence va servir dagenda sur 60 ans de carrière quil connaît mieux que lintéressée ! Beaucoup de généralités sur le métier dacteur et son intrication avec la vie privée, pour Jeanne Moreau, cest de la vie totale quil sagit sans frontière métier dactrice et vie réelle, elle préfère actrice que comédienne, acter, agir. Dans les questions qui suivront la rencontre à proprement parler, on creusera davantage certains sujets : sa relation avec Truffaut, par exemple, un jeune homme de 15 ans lui demande clairement si elle a eu une aventure avec lui, elle répond non, oui et non, elle a eu une relation très fusionnelle avec lui. Auparavant, elle a parlé de son expérience en tant que réalisatrice, du temps de son mariage américain (avec Friedkin mais elle ne le cite pas), Truffaut la mal pris, il la voulait actrice, diva, devant et pas derrière la caméra, il a profité dune histoire idiote de livre prêté, pas rendu, pour se fâcher avec elle pendant des années. Louis Malle, le grand amour de sa vie, elle y pense encore aujourdhui, elle provoque Serge Toubiana, directeur de la cinémathèque, qui mène le débat avec son aisance habituelle : « pourquoi on na jamais accepté Louis (Malle) dans la Nouvelle vague? », Toubiana, longtemps aux Cahiers du cinéma, ne louvoie pas : parce quil ne faisait pas partie de la bande des Cahiers comme Truffaut, Godard, Rivette, etc (On ne dit pas que cétait aussi parce que Louis Malle était tellement plus riche que tout le monde, issu dun famille de grands industriels possédant, en autres, les sucres Beghin).

Jouvre une parenthèse car je viens de voir Jeanne Moreau allant faire la promo du dernier téléfilm de Josée Dayan chez Ruquier (« Sous les vents de Neptune » le 15 et le 22 février sur France 2, daprès un livre de Fred Vargas), elle a réaffirmé ce quelle a dit à la cinémathèque et toutes ses réponses vont dans ce sens : vivre au présent, balayant dans lémission un peu tout ce qui était lui était rappelé de son passé, oui, ça lui faisait plaisir sur le moment, c’est un peu ce genre de réponses qu’elle a faites à l’animateur. Mais que Ruquier savise de passer un extrait dune émission ancienne de Louis Malle parlant de Jeanne Moreau et Brigitte Bardot dans « Viva Maria » au moment du tournage et le passé la submerge, cest lexception, son regard sembue. Un tournage avec des hauts et des bas, on lavait fâchée avec Brigitte, elle a été mise à lécart, elle en a souffert.


Retour à la cinémathèque. On est revenu plusieurs fois sur son tournage de « La Notte » avec Antonioni, une question ly ramène, elle a expliqué avec lucidité que le thème de lincommunicabilité entre un homme et une femme collait à lépoque alors quaujourdhui des problèmes plus graves ont pris le pas sur lactualité. (elle ne dit rien sur Antonioni mais elle en avait parlé longuement lors dune projection spéciale de La Notte au festival du cinéma italien lannée dernière, voir le billet sur cette soirée)
La question que va poser un spectateur mintéresse vivement : au sujet de « La Baie des anges » de Jacques Demy, un film que je rêve de voir depuis toujours (programmé jeudi 14 février à la cinémathèque dans la rétrospective Jeanne Moreau). Comment Demy dirigeait-il ses acteurs ? Au début de la rencontre, elle a affirmé quun grand réalisateur ne dirige pas ses acteurs, en deux mots, il les plonge dans une ambiance, souvent mentalement parlant. Chez Demy, cest le script qui lui a tout apporté, les indications sur la voix, la démarche, les pauses. Elle prend lexemple de Proust dont elle se rend compte en le lisant, en observant sa ponctuation, ses phrases longues, que cest là lécriture dun asthmatique. Pour Demy, cest pareil, il faut respecter chaque point, chaque virgule, tout est écrit. Et de tacler au passage les acteurs qui préfèrent changer le texte parce quils le « sentent » mieux Une question posée sur une pièce quelle a jouée autrefois, « La Servante servile », est du même tonneau : le metteur en scène ne disait rien que des stops, des remises en cause, il lui fallait alors trouver la solution elle-même, il la fait considérablement progresser, passer sur une autre rive de linterprétation, dailleurs, elle a conservé une lettre de quelquun qui lui a écrit ensuite quil lui avait servi danalyste, sen était-elle rendu compte

Reviendra-t-elle au théâtre elle qui a débuté à la Comédie française, cest en la voyant jouer sur scène quOrson Welles la invitée à dîner, quils sont devenus amis Oui, elle jouera à partir du 20 mai au théâtre une pièce avec Sami Frey et le 10 mai, elle sera de la fête de mai 68 à lOdéon si jai bien compris.

 

Jeanne Moreau fête ses 60 ans de carrière et ses 80 ans, son plan de carrière semble être de demeurer une femme curieuse, libre, vivante, elle a construit un personnage tout en restant elle-même, en se trouvant elle-même peut-être, un personnage un brin péremptoire, avec une assurance patentée de qui sait ce quelle vaut et que tout ça au fond ne vaut pas la vie, foncièrement et ostensiblement positif : au détour dun commentaire sur labandon dun film par un réalisateur dont jai oublié le nom, elle dit la chose la plus importante de la rencontre, à mon avis, « dans la vie rien nest jamais perdu », on se construit avec ses échecs, ses faiblesses, on doit en tirer quelque chose, sen servir comme matériau, ça, cest la leçon de vie de Madame Moreau. Une dame a insisté dune manière peu amène pour lui demander si les actrices de son âge avaient toutes autant de chance, etc tellement insisté quelle na plus esquivé à la seconde réponse : quand les comédiennes comprendront-elles quils faut renoncer à leurs signes extérieurs de richesse Vieillir ou mourir, quest-ce qui est mieux ? Le sujet avait été vaguement évoqué quand elle a moins tourné dans les années 70, quarante ans à lépoque, cétait vieux pour une actrice, dans son tout premier film, « Dernier amour », l’actrice principale, Annabella, 42 ans, était traitée comme une ancêtre, ça, elle la raconté au début La boucle est bouclée, la rencontre terminée, une horde sabat sur scène (dernière photo), elle disparaît sous les demandes dautographes 


Jeanne Moreau et Serge Toubiana

 

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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