«La Douleur» : le refuge

focus film Emmanuel Finkiel, sortie 24 janvier 2018

Pitch

Après l’arrestation et la déportation de son mari en 1944, Marguerite Duras va s’enfermer mentalement dans la douleur de l’attente de son retour...

Notes

« La Douleur» (photo Films du poisson)

«La Douleur» (photo Films du poisson)

En juin 1944, Robert Anthelme, le mari de Marguerite Duras, en arrêté. Il faisait partie d’un réseau de résistance tout comme elle, le meilleur ami/amant de Marguerite, Dyonys, et Morland, le chef du réseau (nom de résistance de Mitterrand). Quand il est enfin libéré en avril 1945, après avoir été déporté de Dachau depuis la prison de Frênes, il est dans un tel état de santé qu’il a fallu le transporter en cachette de Dachau où, étant donné pour mort, les amis de Marguerite sont allés aux-mêmes le chercher.

Mais depuis quelques mois, après avoir remué ciel et terre pour faire sortir son mari de la prison de Frênes et après l’avoir aperçu dans un camion en voie d’être déporté pour un camp allemand, Marguerite a sombré dans la douleur de l’attente, une douleur qui a pris toute la place et asphyxié son espace mental ; elle reste enfermée chez elle à remplir des cahiers, une sorte de journal, indifférente, par exemple, à la libération de Paris qu’elle avait tant souhaitée. Contre toute attente, elle n’a même pas envie de voir son mari… D’ailleurs, si elle a été rongée par son absence, l’aime-t-elle toujours? La question se posera plus tard…

Benjamin Biolay (qui interprète sobrement Dyonys) lui dira cette phrase qui est la clé du film « A qui êtes-vous le plus attachée, à votre douleur ou à votre mari? »

«La Douleur» (photo Films du poisson)

«La Douleur» (photo Films du poisson)

Il y a sans doute un virage dans le récit, c’est celui où Marguerite cessera de voir Rabier, ce flic français collabo, qu’elle séduit platoniquement (dans le film!) et perversement, le méprisant et le fréquentant néanmoins afin de sauver son mari. Cependant, quand il lui proposera un deal : dénoncer un homme de son réseau de résistance contre intervenir en haut lieu afin que son mari ne soit pas déporté, vraie résistante, elle refusera de trahir. Mais Rabier a-t-il autant de pouvoir qu’il le dit? Fasciné par l’écrivaine, se disant féru de littérature, la prestation du génial Benoit Magimel (Rabier) est toute en ambiguïté : est-il un homme sincère, un flic manipulateur ou un plouc collabo profitant de son pouvoir du moment sur Marguerite tout en restant lucide? Avait-il tout compris depuis le début? Quand ils se verront pour la dernière fois dans un restaurant, où elle pense le piéger, où elle se laisse finalement aller à boire et à flirter avec lui, il lui dira avant de partir brusquement qu’ils ne sont pas du même monde et que dans une autre vie, elle ne l’aurait jamais regardé… Elle ne le reverra jamais… d’autant que Paris est à quelques jours d’être libéré.

« La Douleur» (photo Films du poisson)

«La Douleur» (photo Films du poisson)

«La Douleur» (photo Films du poisson)

«La Douleur» (photo Films du poisson)

Si Marguerite s’est battue dans l’adversité, a fait preuve de courage et d’énergie, du jour de la reddition de l’Allemagne, son mari ne revenant pas tout de suite, ce qui prolonge encore l’attente, moteur de sa douleur (qui, seule, donne encore un sens à sa vie), elle se coupe de la réalité de la vie et rejoint le monde abstrait de l’écriture de ses carnets où elle décrira encore pendant longtemps le parcours intérieur de sa douleur.

Quand le mari de Marguerite revient, la douleur a pris sa place, en quelque sorte, son retour ne mettant paradoxalement pas fin à l’attente insupportable de l’homme aimé qui validait sa douleur. Un homme aimé davantage absent que présent ; omniprésent et idéalisé par son absence, il devient alors  surnuméraire par sa présence…

 

Et aussi

Malgré 1 casting en or (Mélanie Thierry, Benoit Magimel, Benjamin Biolay), 1 ambiance intimiste, presque confinée, parfois oniriste, originale, restituant bien l’atmosphère de l’occupation, «La Douleur», décrivant le parcours intérieur d’1 attente réelle, se muant rapidement en raison de vivre, puis, en « attente refuge », en mécanisme de défense emmurant MD dans un monde intérieur, déconnectée de la vie  (la protégeant des réalités à venir?), la fascination du réalisateur pour l’oeuvre de Duras empêche son film de quitter le livre (trop de passages en voix off). La comédienne Mélanie Thierry, quasiment de tous les plans, est Marguerite Duras, stupéfiante de justesse. C’est certainement une des actrices les plus talentueuses et les plus discrètes du panorama cinématographique français. J’ai vu ce film jeudi dernier en AP spéciale au cinéma «Les 7 Parnassiens» à Montparnasse, cinéma trop discret de 7 salles (faisant partie de L’Association Francaise des Cinémas d’Art et d’Essai***) à l’excellente programmation. ** www.art-et-essai.org   *Le livre « La Douleur » de MD ne sortira que beaucoup plus tard (35 ans plus tard)  à partir de ces carnets qu’elle jurera alors avoir complètement oubliés...  

Diffusion

«La Douleur » d’Emmanuel Finkiel, sortie 24 janvier 2028

Production « Films du poisson »

Distribution « Films du losange »

Notre note

4 out of 5 stars (4 / 5)

Mots clés: , , , ,

Partager l'article

Lire aussi

Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

Laisser un commentaire

Votre email ne sera pas publié. Remplissez les champs obligatoires (required):

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Back to Top