La Poupée : Trop belle pour lui

W.J. Has, 1968, sortie 7 décembre 2022

Pitch

Un homme qui a fait fortune pendant la guerre s’éprend d’une poupée futile, fille d’un comte désargenté.

Notes

1878. Dans la Pologne dévastée par la répression russe de 1863, un bar où un homme âgé, bien habillé, las, se désole «le patron délaisse le magasin». Un luxueux magasin de Varsovie autour duquel tout semble graviter dans la première partie du film. Enfin, le patron, ancien commis qui a fait fortune pendant la guerre, revient au magasin, il brasse désormais également des affaires florissantes dans toute l’Europe. Son nom : Stanislaw Wokulski. Auparavant, son plus fidèle employé et ami, celui pris de lassitude au café, avait déposé dans la vitrine du magasin le manège à poupées anciennes. Pour le faire revenir?

Effusions entre les deux hommes. Devenu riche, Wokulski n’est plus aussi intéressé qu’avant par ce magasin centre du monde des riches clients de Varsovie. Son esprit, son coeur, est ailleurs, il s’est épris d’une poupée grandeur nature : Isabella, fille du comte Lecka. Une poupée qui lui échappe d’autant qu’il n’ose pas l’aborder ; mais, au fonds de lui, complexé par ses origines, il pressent qu’elle ne l’aimera jamais. Plus tôt, il s’est mis en colère au magasin, a renvoyé un employé trop obséquieux et clamé : « il faut en finir avec cette vie de boutiquier ». Isabella lui dira bien plus tard qu’il a le choix de cesser d’être un boutiquier…

W rachètera la maison du compte Lecka plus que son prix afin de payer les dettes de ce père dépensier. Cette aristocratie ruinée et qui, de surcroît le méprise, ne le tolère que pour sa fortune. L’un d’eux dit, résigné « les roubles ont remplacé les sabres… »

Contrairement au Guépard de Visconti, réalisateur à qui on pourrait comparer Has pour l’extrême soin dans ses tableaux somptueux, que sont les images de son film, le raffinement des toilettes, le code des couleurs, femmes en rose et rouge, Isabella en rose pastel, robes souvent outrageusement décolletées (excepté à la fin où elle porte, avec une provocation larvée, du blanc), ici, la célèbre phrase de Lampedusa, clé du récit, «il faut que tout change pour que rien ne change» n’est pas adaptée. Ici, l’aristocratie décatie ne veut rien d’autre que de continuer ses réceptions, ses voyages, sans rien donner en retour qu’une présence éthérée, presque absente. Isabella aurait pu être un Tancrede au féminin mais, contrairement à lui, elle est attachée  aux fastes d’un passé aujourd’hui en voie de décomposition comme l’est la Pologne. Isabella est passive. Poupée perverse, elle se laisse adorer, ravissante, souriante, piquant quand il faut raviver la flamme de W dont elle sait qu’il va payer son père pour elle, se dérobant ensuite. 

Tableaux d’une ville en lambeaux, de personnages aussi délabrés que le décor, poupées fantomatiques posées sur des sièges, sont filmés (admirablement) en panoramique comme un voyage dans un musée. Le film est d’une beauté raffinée, dépouillée du baroque et de l’ostentation dans lesquels il aurait pu facilement basculer.

Un film poétique et esthétique dans sa forme et politique et sociétal dans le fond. Les rapports entre les classes sociales sont montrées sous l’angle de la solitude d’un homme riche, généreux (W donne à ses amis d’autrefois en difficulté), à qui des aristocrates, fussent-ils ruinés, ne pardonnent pas son extraction sociale. C’est la toute la cruauté du film, au delà de la banalité d’une simple déception amoureuse. W, qui trouvait un peu de chaleur humaine et de fierté dans son magasin, qu’il a délaissé, est seul dans ces salons défraîchis débordant de gens qui ne le voient pas, ne se fréquentant qu’entre eux. À l’exception de la grand-mère, jadis éprise d’un officier pauvre, qui semble le comprendre et lui dit dans une demi-conscience : «il ne faut jamais tuer l’amour». 

Et aussi

La Poupée

La Poupée (1968) est adapté d’un classique de la littérature polonaise, le roman éponyme de Bolesław Prus, écrivain des mœurs de son époque, associé au positivisme polonais.

Qui était Wojciech Has?

W. Has, cinéaste admiré de cinéphiles tels Martin Scorsese, tombé dans l’oubli après 14 films réalisés entre les années 60 et 80, meurt en 2000 dans l’anonymat. A noter qu’à ses débuts, Has avait été élève des Beaux-arts, étudiant la peinture en même temps que d’une école de cinéma, ce qui peut expliquer qu’on parle davantage de tableaux dans ses films que d’images.

Parmi ses films les plus connus, Le Manuscrit trouvé à Saragosse 1965) et La Clepsydre 1972).

La critique polonaise l’a souvent associé au Surréalisme à cause de la dimension onirique de ses tableaux.

Le Manuscrit

La Clepsydre

 

 

 

Diffusion

Sortie en salles le 7 décembre 2022

MALAVIDA FILMS

Notre note

5 out of 5 stars (5 / 5)

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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