La rentrée des icônes quadra : « A la folle jeunesse » d’Ann Scott et « Apocalypse bébé » de Virginie Despentes

Lectures de rentrée 2010, partie1
       
« A la folle jeunesse » d’ Ann ScottCe livre mince (140 pages écrit large) est un peu la chronique d’un écrivain qui n’arrive plus à écrire, encombrée par l’image déformée de la pop écrivaine de « Superstars » qu’elle fut en 2000, emmurée dans des phobies paralysantes qui interdisent le mouvement, entravent les désirs. Nostalgie chic d’une nouvellement quadra qui se souvient que dans tout ce qu’elle a détesté de sa famille, moteur de sa colère et des mots pour l’écrire, dans ce passé/passif, il y avait parfois du soleil.Mais sans la haine et la colère, peut-on encore écrire ou du moins écrire comme avant l’apaisement relatif? On découvre ici, à la place de la Louise de « Superstars », une jeune femme issue de la haute bourgeoisie où tout est luxe, solitude et évitement. La mère reporter suractive se débrouillant pour être toujours absente, en mission à l’autre bout du monde. Le père inacessible, remarié à une beauté quasiment de l’âge de sa fille dont ils ont un fils qui a pris toute la place. Le cimetière de ceux qui ont dispau toujours tôt et tragiquement, souvent suicidés, figés dans une éternelle jeunesse, renforce le sentiment que la narratrice est une rescapée mais pour quoi faire?
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Ce livre m’a fait penser à Beigbeder, ami au passage d’Ann Scott, le Beigbeder d »Un Roman français » qui tente l’expérience de la sincérité, la démarche pudique de celui qui n’a plus rien à démontrer, reconnaît que tout ce qu’il avait à prouver lui semble bien dérisoire aux alentours de la quarantaine, l’âge castrateur menace de la fin de la séduction où l’on donne encore le change, pas toujours… Mais chassez le naturel… fut-il fabriqué… l’un et l’autre ne peuvent s’empêcher de faire référence à l’icône absolue de la branchitude des années 80 : BEE. Ici, Ann Scott lui piquerait l’idée de son avant-dernier livre « Lunar park » : mélanger le vrai et le faux avec l’accent du vrai, l’icône US lui écrit que tout ce qu’elle écrira sera considéré comme vrai… Beaucoup de marques (le fameux name-dropping inventé par BEE) parasitent encore le livre, même si c’est pour les mettre à distance… Le milieu décrit ramène souvent chez Castel, aux défilés de mode, la compagne Shannon transparente, plus une image de la compagne idéale qu’un personnage, est top model. La narratrice laisse tomber Shannon sans raison (que sa déception qu’elle ne l’ait pas tirée de son immobilisme) pour illustrer sa peur de la vie, d’une relation amoureuse harmonieuse (plus à l’aise sans doute dans l’adversité de l’Inès de « Superstars » qui lui en fait baver). Le personnage de Stella, l’ovni qui a du bons sens dans un univers immature sous anxiolytiques, intervient pour demander à la narratrice si elle n’en a pas marre de se regarder tomber amoureuse et de fuir ensuite.

Qu’il s’agisse de BEE (toujours au dessus du lot, le petit dernier

, livre aux accents de film noir, « Suite(s) impériale(s), est un must), de Beigbeider, d’Ann Scott, leur lucidité perfusée comme un poison ne résout rien, pire, ne leur sert qu’à mesurer la vanité de la nostalgie des paradis perdus des années 80. Car, on a beau se souvenir combien c’était nul ces années le nez dans la poudre, à chauffer des petites cuillers en argent massif dans les salles de bains des palaces, quelque chose retient ces écrivains de tourner vraiment la page : la jeunesse perdue, seuls les très jeunes peuvent s’offrir le luxe de se foutre en l’air d’autant plus qu’ils sont beaux et riches et célèbres, ensuite, ce ne sont plus que rustines, rides et regrets, étoiles fracassées qui ont oublié de vivre, seules au monde.


« Apocalypse bébé » de Virgine Despentes
En lisant le livre de VD juste après celui d’Ann Scott, je me suis rendu compte combien je préférais le précédent… Dès les premières pages d' »Apocalypse bébé », dès le titre, devrais-je dire, une impression de déjà vu, déjà lu : le titre provoc, comme d’habitude, et surtout une indiscible sensation d’avoir non pas un roman dans les mains mais un produit griffé Virginie Despentes avec les mêmes formules chocs, la même colère, la place faite à tant % de sexe, tant % de violence, tant % de dévalorisation de la narratrice, additionné d’une sorte de prosélytisme pro-porno saupoudré au fil des pages démontré, entre autre choses, dans son énergique dernier livre (« King-Kong théorie », 2006).Habitant elle-même un temps Barcelone, la ville sert de décor à un faux polar destiné surtout à mettre en scène des événements épouvantables, quoique ce soit plutôt la ville de Paris qui trinque, on admet qu’à Barcelone, c’est bêtement beau et bleu. La scène de viol collectif, la fin pas loin d’être grotesque tant on on en rajoute, les souvenirs de la camarade de classe tabassée par son père, c’est pour Paris. En Espagne, on tâcle gentiment le milieu gay lesbien mais ça ne va pas loin, en revanche, le décor est planté pour la partouze indispensable à tout livre de Houellebecq ou Despentes, deux écrivains nés au début des années 90 et devenus les leaders du renouveau de la littérature française dont on attend (les éditeurs surtout) la prochaine sortie de livre comme un évènement marketing.

Cédant néanmoins à la mode de la narration multiple, ici, ce n’est pas deux narrateurs comme souvent, voire trois, mais 8!!! qui vont raconter leur point de vue sur l’affaire. Quelle affaire? Valentine a disparu, fille d’un écrivain raté, mauvais mari, symbolisant ici l’homme repoussoir, et d’une mère qui l’a abandonnée, mais qui avait ses raisons… Valentine choyée par sa grand-mère bourgeoise « pétée de thunes » qui a engagé une détective : la terne Lucie que personne ne calcule, ne remarque, ou pour la nommer « la moche », que Valentine ne va pas tarder à semer. Heureusement, une accolyte providentielle va venir en renfort pour aider Lucie : La Hyène, amazone gay n’ayant peur de rien et surtout pas des hommes qu’elle violente pour les faire parler, comme ce chanteur d’un groupe de rock nommé opportunément « PDTC (Panique Dans Ton Cul) », bousculant gentiment Lucie qu’elle amène chez ses copines et qui s’amourache d’une des leurs.

On l’aura compris, dès les premières pages, ça m’a lassée

(pour être sincère, pas autant que LE Houellebecq, après LE Despentes, j’avais commencé « La Carte et le territoire » et il m’est tombé de mains… à reprendre plus tard…). Si j »aimais bien autrefois les premiers livres de VD comme « Les Chiennes savantes », un vrai talent d’écrivain, une écriture à vif… Aujourd’hui, outre cette impression d’enlisement dans années 90 à ressasser tout le mal qu’inspire à l’auteur notre société, on dirait une petite entreprise bien huilée, technique parfaite, produit nickel, haine fonds de commerce, un humour qu’elle a conservé parfois mais trop c’est trop ; c’est dans les imperfections qu’on ressent l’émotion, ici, tout est taillé au carré comme un buisson au château de Versailles. C’est un peu la différence aussi entre ces deux livres de la rentrée de deux ex jeunes écrivaines choc devenues quadra, que leur enfance vient rattrapper, diviser, l’une semble écrire pour survivre, se fichant un peu d’être lue, l’autre pour faire tourner la boutique. Mais peut-être que je me trompe, ça n’est que mon impression…

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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