L’Immensità : drame pop

Emanuele Crialese, 11 janvier 2023

Pitch

Aux prises avec le poids des conventions sociales et d’un mariage conflictuel, une femme tente de rester libre.

Notes

Le film démarre sur la BO de Rumore (de Rafaele Carrà). Une mère de famille, qu’on découvre pensive, presque triste, puis, survoltée, mettant la table en musique, comme on jouerait, avec ses trois enfants.

Pénélope Cruz (qui joue en italien avec une pointe d’accent espagnol), est magnifique, quand elle défait son chignon au début du film pour danser dans sa cuisine avec ses enfants (j’aimerais bien avoir l’adresse de son coiffeur!), en mettant le couvert, la nappe repassée de frais, les assiettes multicolores, mèches bouclées, savamment décoiffées, virevoltantes, encadrant son visage de madone, il n’est plus besoin d’en rajouter pour démontrer que cette femme (Cruz ici d’une beauté saisissante, sophistiquée et naturelle en même temps) est trop séduisante et ludique pour être ce qu’on attend d’elle, une épouse, éteinte et docile, une femme au foyer assignée aux tâches ménagères, résignée aux fluctuations de l’humeur de son mari.

Mariée à Felice, un Napolitain macho, Clara (Penèlope Cruz), d’origine espagnole, enfermée dans un mariage conflictuel qui flirte avec une violence conjugale larvée, ne trouve d’échappatoire que dans une relation fusionnelle avec ses enfants. Ensemble, ils regardent les émissions de variété à la télévision. Une télévision en noir et blanc…

C’est le point fort du film : Les années 70 comme si on y était, les tubes italiens de l’époque (Rafaele Carrà, Patty Bravo, Adriano Celentano, …), les vêtements seventies chic de la middle class italienne (pas la mode hippie…) : Jupes, talons, sacs à main sages, chemisiers à lavallière, manteaux ceinturés à col en fourrure, jeans pattes d’éléphant, maillots de bain colorés, les femmes des années 50/70 étaient élégantes pour simplement sortir dans la rue, les voitures décapotables, les cabines téléphoniques ; on chantait, on dansait, et, en public, on camouflait ses peines, en deux mots, on donnait le change.

Sauf que sous décor vintage exceptionnellement bien rendu, sous la BO pop (et la mélancolie des ces années-là s’y rattachant), le sujet du film est le drame de cette femme exilée deux fois, de son pays, de la ville (le couple habite dans une banlieue nouvelle de Rome), emmurée dans la solitude, écrasée par les conventions sociales d’une époque qui renvoyait pourtant une image de libération des contraintes patriarcales. En contrepoint, Adri, la fille aînée de Clara, s’imaginant parfois venir d’une autre planète, se sent prisonnière d’un corps qu’elle n’a pas choisi, et, emmurées dans leurs souffrances, les deux développent une complicité.

Le père, exigeant, colérique, exige, interdit, prend mal qu’Adri s’habille en garçon, mais la mère s’en fiche, elle aime ses enfants et basta ; Clara tente de leur inculquer leur droit à cette liberté qu’elle n’aura, toutes proportions gardées, qu’en se soustrayant à la vie quotidienne, en plongeant dans une dépression refuge qui la mènera un jour dans une clinique «se reposer ».

Et aussi

De Crialese, je n’avais vu que Respiro (2003), portrait d’une femme libre sur l’ile de Lampedusa avec une actrice très belle, Valeria Golino, et une BO décalée. Au fond, les écrivains, les réalisateurs racontent toujours un peu la même chose, sous un angle différent ou plus explicite. Ici, il y a une histoire additionnelle enchâssée dans l’histoire, traitée avec pudeur, qui aurait pu être le sujet d’un autre film… Le réalisateur livre un film assez personnel avec le personnage d’Adriana, mal dans sa peau, lui qui a confié, lors de la présentation du film à Venise en septembre dernier, être né fille. 

Un drame pudique électrisé par l’imagerie et la BO seventies, un film attachant.

 

L’Immensità (photos Pathé)

L’Immensità

L’Immensità

 

 

Notre note

3.5 out of 5 stars (3,5 / 5)

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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