"Mysterious Skin" : Le deuil de l'innocence

Greg Araki, 2005

 

Un petit garçon blond de huit ans en état de choc, caché dans une cave sous la maison, sa maison, un long filet de sang le long des narines, sa famille le retrouve amnésique des cinq heures qui précédent Un petit brun effronté du même âge matant sa mère s’envoyer en l’air avec des bellâtres qui le fascinent. Sa mère qui l’inscrit à l’entraînement d’une équipe de baseball pour que son fils lui débarrasse le plancher pendant ses frasques L’entraîneur de l’équipe au physique aryen qui n’est pas sans rappeler les amants de sa mère Une mère absente avec des subites effusions lui disant qu’elle l’aime à la folie.
——Des années plus tard, Brian Lackey, le blond, est devenu un ado ingrat et coincé à grosses lunettes, sujet à des cauchemars et des phobies. Une émission de télé le persuade qu’il fut jadis enlevé par des extra-terrestres, une femme claudicante témoigne sur l’écran avec laquelle il va se lier pour mener ses investigations.

Neil Mc Cormick, le brun, est une petite frappe cruelle qui séduit tous les hommes de son patelin et se prostitue à l’occasion. Monté à New York, il passe à la vitesse supérieure, prostitué patenté et demandeur d’expériences traumatisantes avec des largués, des tarés de tout poil. De l’immonde représentant en confiserie au sadique défoncé qui le tabasse, en passant par le malade en fin de vie, scène difficilement soutenable avec le comportement suicidaire de Neil qu’on dirait prémédité A NY, il y a Wendy, la confidente malgré elle depuis l’enfance, la jeune femme qu’il aurait sans doute pu aimer si il n’avait pas croisé le chemin du premier pédophile qui l’a démoli, l’initiateur qu’il a idéalisé.
C’est terriblement bien vu par le réalisateur, ce pathétique attachement du brun à son premier bourreau, disparu dans la nature depuis des années, dont il se persuade qu’il fut son «préféré». Devenu ado, Neil rode autour de la maison du crime avec nostalgie, cette maison où il emmènera Brian pour se souvenir, se raccrochant à la pensée d’avoir été le «préféré» comme à une bouée de sauvetage pour accepter l’inacceptable. Celui qui nie, celui qui embellit, dans les deux cas, les ravages de la pédophilie sur les destins de ces deux ados sont irréversibles et celui qui sait va presque plus mal que l’autre Il n’y aurait donc aucune thérapie de reconstruction possible

Le choix du réalisateur est de ne pas montrer explicitement les scènes de pédophilie mais de filmer les visages en gros plan et sur ces visages, on pourrait lire toute l’histoire du film de l’enfance dévastée aux pulsions incontrôlables qui submergent les adultes ; l’expression ignoble de l’entraîneur est particulièrement bien rendue, la scène initiatique, très pudique, avec les pop corn explosés à terre, du jeu au passage à l’acte avec la mort programmée de l’innocence, la fin de l’enfance, est amenée d’une façon subtile qui feindrait d’humaniser l’adulte pédophile comme une victime de ses inclinations C’est un peu la faiblesse et la force du film, cette apparente absence de jugement sur les agissements coupables des adultes, laissant le spectateur juger, les cartes en main. Mais est-ce que ce n’est pas pire que le premier pédophile soit un cliché du sportif des campagnes de pub, parfaitement intégré au rêve américain, et pas un taré des bas-fonds de NY dont on n’attendrait pas autre chose ?

Si le réalisateur nous épargne les scènes frontales, les sujets étant filmés au maximum de dos, ce n’est pas le cas des sons et des dialogues, achevant, si besoin était, de mettre le spectateur mal à l’aise, regrettant, exceptionnellement, qu’il n’y ait pas une coupure pub pour souffler un peu et allant d’ailleurs boire un Coca à la cuisine à mi-film pour supporter la suite Ce n’est rien de dire que le film est difficile à voir, c’est une véritable épreuve, non seulement, on est choqué mais on s’en veut presque de regarder le film !!! On rejoint alors la dualité de sentiments de l’histoire sous les traits des deux personnages principaux : le déni ou le voyeurisme, Brian ou Neil, ne pas savoir ou en savoir trop

Dans ces conditions, il est difficile, sous le coup de poing du récit, d’avoir du recul sur la façon de filmer du réalisateur Gregg Araki Néanmoins, le choix de présenter le récit en voix off et comme vu par les deux enfants donne une puissance d’empathie immense qui vous entraîne tout de suite avec eux au cur du cauchemar de leur enfance saccagée. Présenté à la Mostra de Venise en 2004, «Mysterious skin» de Greg Araki fait suite à sa trilogie «Totally fed up» (1993), «Doom generation» (1995) et «Nowhere»(1997), cinéma plutôt underground, si on excepte l’inclassable «Splendor» (1999).

On a beaucoup insisté sur le caractère cinéma indépendant du film présenté au festival de Sundance, on reconnaît la griffe «indépendant» au choix des acteurs, à leur façon de jouer un peu comme des amateurs surdoués, s’agissant des adolescents, les mêmes qu’on retrouve dans le cinéma de Gus Van Sant et Larry Clark. Le plan final est très beau, très pur, procurant une vague sensation d’apaisement, à moins que ce ne soit la quille du générique pour en finir avec ce film infiniment dérangeant !

On est obligé de convenir que ce film est remarquablement bien réalisé et génialement interprété, qu’avec le pire des sujets, le réalisateur évite la complaisance et l’écueil de l’exhibition tout en ne faisant grâce d’aucun détail au spectateur. C’est assez perversement intelligent de la part du réalisateur qu’on ait rien à lui reprocher et tout à l’histoire, d’autant qu’il arrive à conserver, assez mystérieusement, une notion résiduelle de l’amour. Un film choc qui accomplit sa mission : choquer !

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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