"Confessions d'un Baby-boomer" : Sa Vie est un roman

 

 

« Confessions d’un Baby-boomer »/Philippe Kiefer, entretiens avec Thierry Ardisson,parution 2005.

La vie de TA est si passionnante que Philippe Kieffer, qui l’a confessé des mois durant, a douté parfois de la véracité des souvenirs de ce méridional si parisien qui a perdu son accent du sud à l’école de la rive droite. Dans son prologue, PK prévient le lecteur : «bienvenue dans un monde où il n’y a pas d’hommes mais des «mecs», pas de femmes mais des «gonzesses», pas d’enfants mais des «mômes», pas d’argent mais du «pognon» ou du «blé». Un monde imagé, dialogué, rejoué autant que pensé…Bienvenue dans la pluralité des mondes ardisonniens»

On se dit illico «dommage qu’il n’ait pas écrit le livre lui-même puisque c’est avant tout un écrivain» mais je pense que cet obsessionnel du contrôle qu’est TA a tant relu et corrigé son manuscrit que ça revient au même, au mieux, les entretiens avec Philippe Kieffer semblent lui avoir fait l’effet d’une psychothérapie pendant laquelle on dirait tout… et même un peu plus…

Au commencement était un «môme» dont les parents déménageaient sans cesse et qui, le bac en poche à 17 ans, à la question «que veux-tu comme cadeau ?», répondit «aller à Juan les Pins». Pourquoi Juan les Pins ? Parce que c’était son seul souvenir de luxe inabordable, celui des autres, quand ils allaient en famille en vacances chez des cousins.

Le grand-père de TA travaillait à la SNCF à Golfe-Juan tout près de Juan les Pins. C’est là que le père de TA, 20 ans, rencontra sa mère, 15 ans, ils se marièrent et prirent aussitôt la route. En ces lendemains de guerre où il y avait tant à reconstruire, le père de TA travaillait dans des entreprises de Travaux Publics et se déplaçait de ville en ville au grès des chantiers, c’était, comme le dit TA « un exilé de l’intérieur ».

A huit ans, la famille de TA s’installe à Arêches en Savoie et le met en pension au collège Saint Michel d’Annecy. Tous les WE, il revient en Savoie en passant par la gare routière d’Albertville. Il y fera pas mal d’expériences déterminantes : la pratique de la religion catholique, le vertige et la peur panique paralysante en cours de gym qu’il retrouvera sur les plateaux de télé à ses débuts et la pornographie par le truchement des graffitis obscènes dans les toilettes de la gare d’Albertville.

Pour les vacances, la famille Ardisson va à Draguignan chez une tante, faute de pouvoir s’offrir l’hôtel, tous les matins, ils se rendent à la plage aux Issambres à côté de la plage privée, près du paradis VIP dont il abusera ensuite toute sa vie, mais la vraie distraction, c’est le festival de jazz d’Antibes-Juan les Pins.

Retour à Juan les Pins l’été 1966 du bac de TA avec trois mille balles en poche donnés par son père. Seul dans un camping, ayant tout flambé en deux jours, en proie à son premier chagrin d’amour, TA va faire la rencontre qui va changer sa vie : la nuit… Johnny Honeywood, le patron du « Whisky-à-Gogo », célèbre boite des années 60, le prend en sympathie et l’engage comme DJ. Il fait la connaissance du monde interlope de la nuit et des orgies homosexuelles où il fait son apprentissage du voyeurisme qu’on retrouvera tout au long de sa carrière.

TA a eu plusieurs vies : après des études en dilettante à Montpellier, en 1970, il épouse son grand amour de jeunesse, Christiane, qu’il avait connu à Avignon où ses parents avaient posé leurs valises. Ils forment un couple de hippies chic pas choc qu’on retrouve à Bali, à Londres et à New York. Paris ne les intéresse pas, surtout elle. Malheureusement, TA devient rapidement accro à l’héroïne et part à Los Angeles se désintoxiquer.

Débarqué plus tard dans la capitale, il se fait rapidement une place au soleil dans la pub. Mais ça ne lui suffit pas, il veut écrire, la presse, les livres, l’édition, le mythique «Match» de son enfance, ce journal qu’ils attendaient lui est son père chaque semaine comme le messie de l’info. C’est sans doute dans ce news magazine qui a longtemps eu comme pub «le poids des mots, le choc des photos», qu’il apprend le sens du scoop et de la formule qui feront sa marque de fabrique. Un style pub avec des princesses «historiques et hystériques», des «coups de foudre» qui deviennent des «coups de poudre», des paradis «artificiels» mais «superficiels». Bien que PK raconte qu’enfant déjà, TA rédigeait des auto-interviews avec des questionnaires formatés comme ceux aujourd’hui de «Tout le monde en parle».

Du jour où il met un pied à la télé, c’en est fini de la pub, il vend son agence. Les débuts à la télé de TA sont difficiles, il est terrorisé par la caméra. Les émissions cultes vont pourtant se succéder : de «Bains de minuit», «Lunettes noires pour nuits blanches», «Double Jeu» à «Rive Droite Rive Gauche» et «Tout le monde en parle». Il publie en parallèle les fameuses «Descentes de police », interviews déjantées qu’il vend clé en main à «Rock and folk». Il lance le magazine «Interview» rebaptisé plus tard «Entrevue» (le premier titre était pris par Andy Warhol). Mais il demeure un écrivain avec notamment «Cinémoi» en 1973, «La Bilbe» en 1975, «Rive droite» en 1983. Une malheureuse affaire de plagiat avec le livre «Pondichéry» en 1993 le dégoûtera ensuite de la littérature (pour le moment). «Aux gaz lacrymogènes, il préfère l’acide lysergique : la révolution qu’il imagine est intérieure» (Rive Droite, 1983).

Après dix ans de mariage avec Christiane, elle le plaque pour un moniteur de ski. Les années suivantes sont sous le signe du « Palace », de « l’Elysée Matignon », des « Bains-douches », du rock, de Pacadis, de la pop, de la dope, surtout de la coke. Avec une riche héritière à ses côtés, Oumée, il fait l’apprentissage de la jet-set, passe toutes ses nuits dehors et ses matins blêmes à l’hôtel, ses week-ends dans des châteaux avec une aristocratie qui ne veut pas de lui. Au Palace, il rencontrera celle qui sera sa seconde et actuelle épouse : Béatrice, une jeune fille sage de 18 ans, sosie de sa mère jeune (voir les photos du livre) avec qui il aura trois enfants.

Le look a toujours été une affaire importante pour TA : démarrant la vie parisienne en chemises de soie colorées, foulards indiens et bottes en python, cheveux longs, moustache et boucle d’oreille en diamant, il va ensuite opter pour le complet gris et polo Lacoste qu’il transformera définitivement en costume et T.shirt noir de séminariste. «Autopsie du look : 1960 : tricheur. Panoplie : le chic tricheur c’est Marina et Renoma. Les mocos sont Weston, la montre Cartier, le briquet Dupont et la Triumph TR3… 1962 : rocker. Panoplie : Pento sur les cheveux et peigne dans la poche, le rocker a vu Marlon Brando dans «L’Equipée sauvage»… 1968 : gaucho. Panoplie : le gaucho porte une parka trop grande, un pull trop large et des pantalons trop courts…1974 : glitter. Panoplie : satin lurex et peau de serpent, le glitter s’habille aux states s’il le peut…» (Paris Hebdo 1980)

Le livre oscille entre vantardises et complexes, ce qui surprend, c’est que TA aime bien raconter ses échecs : souvent malheureux en amour, il fait même une tentative de suicide quand Christiane le laisse tomber. Miné par l’héroïne, il décroche en se tuant de jogging en «courant comme un con». Engagé par son idole, Daniel Filipacchi pour être directeur adjoint des publications HF, il se grille en voulant lancer un journal au sein du groupe. Dans une période où il passe ses journées le nez dans la poudre, il se fait virer d’une agence de pub. Terrifié à ses débuts à la télévision, il ne fait pas l’unanimité, il mettra trente ans à se sentir à l’aise sur un plateau et ne fera jamais de direct.

Ce qui étonne de la part de vieux séducteur voyeur flambeur, revenu de tout et de nulle part, c’est qu’à 57 ans, TA semble avoir trouvé un goût à la vie dont il ignorait tout, il a arrêté de fumer, vit une partie de la semaine dans la campagne normande, fait du sport et est devenu accro… aux check-up médicaux. Sous des airs dépravés et blasés, il fait l’éloge de la religion et du mariage mais a conservé le goût de la frime : tous les entretiens avec Philippe Kieffer se feront au 93, rue du Faubourg saint Honoré, titre éponyme de sa nouvelle émission sur PP qui est filmée dans son propre appartement (il en possède un autre pour sa femme et des enfants), ou dans les jardins du «Bristol» voisin, un des palaces de la capitale où il a son rond de serviette.

Cependant, une chose manque au bonheur nouveau de TA : l’écriture. Passé par une traversée du désert il y a dix ans, il est revenu en force sur Paris Première avec « Paris dernière » et «RDRG» (excellentissime émission qui révéla Frédéric Beigbeder et Elisabeth Quin, chroniqueurs) mais, comme il le dit lui-même «je me suis piégé… je suis devenu monodimensionnel, homme d’un seul média, ce que je n’avais jamais été…». Comme le fait remarquer PK, c’est le scandale de «Pondichéry» qui l’a empêché d’écrire d’autres livres, ces trois pages qu’il a recopiés in extenso sans en changer un mot…

Le livre est dédié à son père mort en 2004, cette famille qu’il a fuit et reniée pendant des années et avec qui il s’est réconcilié. Sur la couverture du livre, il y a la photo de TA adolescent et en exergue cette phrase de Brel «il nous a fallu bien du talent pour être vieux sans être adultes». TA est un vieil adolescent qui refuse de vieillir comme toute sa génération de baby-boomers selon sa propre définition «…des mecs nés dans les années 50, révolutionnaires dans les 60, défoncés dans les 70, entrepreneurs dans les 80, au pouvoir dans les 90 et toujours là dans les 2000…». Une génération qui écoutait les Doors «We want the world, and we want it now».

En conclusion, c’est un livre très distrayant à lire, parfois étrangement attachant, brossant des périodes entières aujourd’hui cultes : les années 60 et 70 en particulier. L’itinéraire d’un Rastignac qui se raconte comme Raimu, monté à Paris avec de dents de loup, prêt à tout pour sortir de la médiocrité, mais qu’aucune réussite ni ascension sociale ne semblait consoler de son enfance et qui semble, tel un père de Foucault, avoir trouvé tardivement une sorte de paix intérieure. Le samedi soir sur France 2, le père Ardisson, vêtu comme les curés de son adolescence en internat religieux, confesse ses invités…

4/5

 

 

Partager l'article

Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

Laisser un commentaire

Votre email ne sera pas publié. Remplissez les champs obligatoires (required):

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Back to Top