"le Roman des Jardin" : Le Jardin des délices

« Le Roman des jardin »/Alexandre jardin, parution 2005.

Un livre passionnant pour lequel l’intérêt pourtant décroît en sens inverse d’une courbe exponentielle… Avec une concentration de cinglés au mètre carré si dense qu’à mi-livre on frise l’indigestion, doublée d’un sentiment de soupçon sur l’intégrité de l’auteur… Si la véracité des faits rapportés par le nouvel Alexandre Jardin a été largement mise en avant lors de la promo du livre, petit à petit, le doute s’insinue : se pourrait-il que l’auteur se soit converti en route à la mythomanie qu’il dénonce dans sa famille? Sommé à la télé par un cousin de démentir des faits concernant le suicide de son oncle, l’auteur s’est réfugié dans un discours sur « sa » vérité et l’intitulé affiché de roman. Il y a de toute façon tout au long du livre une alternance de dénonciations et de rétractations de la part de l’auteur, de cris de haine et de déclarations d’amour à son clan, comme si l’auteur, terrifié de balancer sa famille, tentait de gommer ce qu’il venait de raconter.

Pourtant, ça commençait bien et dès le début du livre, Alexandre Jardin annonce la couleur : c’est est terminé du petit prodige qui faisait l’éloge de la fidélité et des bons sentiments dans d’assommants romans à l’eau de rose comme «Le Zèbre» ou «Fanfan», il tombe ici le masque après quarante ans à barboter dans le déni. Evoquant cette période, il dit : « Je fis même de l’amour une sorte de religion frénétique, un intégrisme conjugal dont mes livres auraient été des missels… »

Comme l’auteur le raconte, une rencontre avec le philosophe et éditeur Jean-Paul Enthoven, aussi allumé que le clan Jardin, va sceller son destin. Pour l’anecdote, il lui téléphone depuis son mobile du boulevard Saint Germain à Paris, JPE lui répond qu’il est en voyage au Chili, mais quelques minutes plus tard, il croise son interlocuteur sur le trottoir… Enthoven ne se démonte pas et lui répond «je t’appelle quand je rentre de l’aéroport». JPE est le genre de personnage chez qui AJ retrouve un air de famille, comme Françoise Verny, monstre mythique de l’édition, qui a créé son personnage d’Alexandre Jardin, auteur à succès.

Dans l’enfance d’Alexandre Jardin, le seul personnage relativement équilibré est une femme qui a les pieds sur terre dont un chez les Jardin : Zouzou, une ancienne maîtresse de son grand-père, devenue plus tard la gouvernante de sa grand-mère… On sent bien que l’auteur a été tenté de faire de Zouzou une femme «normale» mais qu’il n’a pas pu s’y résoudre, opérant peu à peu à sa jardinisation. Ballotté entre la France et la Suisse, deux lieux de débauche joyeuse, Alexandre et ses frères Jardin se muent en observateurs d’une réalité classée X. «Toutes nos maisons furent choisies de façon très spéciale afin d’abriter des amours dangereuses. Dans ces bâtisses révisées, on vénérait l’autre sexe à plein régime».

Seule rescapée de la folie des Jardin, Zouzou faisait elle aussi parti de la confrérie des 30 ex-maîtresses de son père, Pascal Jardin. Ces veuves éplorées plurielles se réunissaient chaque année à l’église Sainte Clothilde à Paris pour commémorer la mort du à 46 ans du scénariste Pascal Jardin, dit le Zubial, père d’Alexandre et fils du Nain Jaune. Un play-boy suicidaire ayant brûlé sa vie et celle des autres dans des excès de tout, un de ses passe-temps favoris consistant à déposer des chèques en blanc dans des cabines téléphoniques pour se mettre en danger. «La seule consigne était d’aimer de façon déraisonnable et si possible ruineuse…».

De sa mère, AJ rechigne à parler, le tabou est trop fort, il en fait une femme fatale, une collectionneuse d’hommes (dont Jacques Santi, le Tanguy des « Chevaliers du ciel », réalisateur de « Flag »), un cheptel d’hommes qui s’entendaient à merveille…, soudé par leur amour pour cette femme d’exception, acceptant de porter tous la même montre- bracelet, comme elle le leur imposait. Une mère reconvertie aujourd’hui en… psychothérapeute…
Le réalisateur Claude Sautet fut de la partie, son film «César et Rosalie» parlait de son ménage à trois avec les parents d’AJ, Yves Montand dans le rôle de Pascal Jardin, Sami Frey dans le rôle de Claude Sautet et Romy Schneider dans le rôle de la mère d’Alexandre Jardin. Ce serait Pascal Jardin qui aurait voulu un enfant… de… Claude Sautet…bien que l’auteur affirme qu’ils n’avaient aucune tendance homo… Un ménage à quatre si on tient compte de l’épouse de Claude Sautet confinée chez elle… Sautet, ce metteur en scène du couple et des « Choses de la vie », qui souffrait de carence émotionnelle, a traité le sujet dans «Un Cœur en hiver» (avec Daniel Auteuil, André Dussolier et Emmanuelle Béart). Pour en finir avec Pascal Jardin, tout comme il avait de son vivant publié «Le Nain jaune» dédié à son propre père, AJ avait fait la même chose en écrivant «Le Zubial» en hommage à Pascal Jardin, son père . Un livre… «dans lequel je m’offris le luxe de décrire mon père tel qu’il se rêvait…». Ces deux biographies ayant en commun de reprendre pour le titre le vrai surnom de leur sujet et de travestir la vérité.

Si la préférence d’Alexandre Jardin va à l’oncle Merlin, un doux dingue, magicien et inventeur de projets voués à l’échec, qui se pendra avec des ailes mécaniques de son invention, la star du livre, c’est L’Arquebuse, sa grand-mère : une femme qui détestait l’idée même de travail et ne respectait que littérature et jouissance, et, de préférences les deux en même temps. Une grand-mère, furieuse de vieillir, qui rêvait la nuit qu’elle était un poulet et que personne ne voulait la manger… Des nuits où elle laissait d’ailleurs la fenêtre ouverte en espérant qu’un cambrioleur lubrique viendrait abuser d’elle… Des nuits où elle demandait aux co-résidents de taper sur la cloison pendant leurs copulations diverses pour en profiter ! Ne sortant jamais de « La Mandragore », sa luxueuse maison à Vevey en Suisse, l’Arquebuse invitait multe tarés pour batifoler. Son amant, l’écrivain Paul Morand, étant mort, elle dressa son perroquet à parler de la voix de son maître avant de l’enterrer dans le caveau familial. On y enterrera aussi le ver solitaire que l’Arquebuse avait fait implanter dans son intestin pour s’empiffrer sans grossir et qu’elle nommait Zoé.

Si le «Nain jaune» répugnait son épouse, l’Arquebuse, par son inconvenant goût du labeur, il n’avait pas toujours le sens des affaires puisqu’il remit à flot pendant des années un palace parisien en faillite, de la taille de l’hôtel Raphaël à Paris, pour ne pas changer de chambre… Ce n’est pas tant que son mari ait été le chef de cabinet de Pierre Laval pendant l’occupation qui hérissait le poil de l’Arquebuse mais son incapacité à renoncer au rêve…

AJ cite les noms sans le déguiser : Claude Sautet, Yves Salgues, Alain Delon, etc… ou si peu : Jacques S (Santi), Serge G (Gainsbourg), Pierre C (Clémenti), etc… C’est bien l’ambiguïté du livre : un roman avec des personnages qui ont tous existé et sont présentés sous leur nom. Il faut dire les choses : l’intérêt de ce livre réside dans ce qu’il raconte une histoire vraie. C’est un livre né pour choquer le lecteur, un livre thérapeutique pour un auteur courageux qui aurait tant voulu se déjardiniser mais qui n’a pas pu faire autrement que de défendre son clan, l’existence de la victime passant ici par la réhabilitation de ses bourreaux.

Ainsi, les portraits des parents de l’auteur sont flous et enjolivés, un père aux mille maîtresses qui vénérait pourtant sa femme… Une mère d’une beauté telle qu’elle était quasiment obligée de séduire… « une femme solaire et polygame, ma mère ». Des parents qui préféraient la transparence à l’adultère bourgeois mesquin… « Mes parents, fous l’un de l’autre, aiment au pluriel », « … l’un comme l’autre vivaient à ciel ouvert sans pourtant se trahir… »

En revanche, la grand-mère concentre les foudres de l’auteur : une folle à lier, cultivant les roses, les fleurs de courgettes et le culte de l’oisiveté, mariée à son collabo de Nain Jaune, passant son temps dans la lecture ou la luxure.
Pire, le portrait du journaliste Yves Salgues, dont l’auteur dit qu’il l’a édulcoré… est assez nauséeux : un vieil héroïnomane taré, vivant entre des murs de revues pornos et partageant la couche d’une guenon qu’il droguait aussi pour ne pas se piquer seul… Quand l’Arquebuse, s’en voulant d’interdire l’entrée de « La Mandragore » à Yves Salgues et sa guenon, prénommée Zaza, s’y résout après avoir vu le film de Oshima « Max mon amour » qui traite du sujet (une femme trompe son mari avec un singe) s’en suit un repas à Vevey avec Zouzou et Zaza…

Si au début du livre, on ne doute pas de la sincérité de l’auteur, chemin faisant, on a l’impression qu’il s’est laissé rattraper par son clan, plongeant lui aussi dans l’outrance et la fantaisie. Venu à ce livre pour dénoncer son insupportable enfance, l’auteur ne tarde pas à idéaliser sa famille, zappant les suicides en série et présentant la totale amoralité des Jardin comme une sorte d’originalité qui leur serait tombé sur la tête, telle cette double rate, anomalie congénitale que posséderaient les siens. C’est pourtant justement le suicide de son demi-frère auquel leur mère apprend le jour de la mort de leur père, Pascal Jardin, qu’il est en vérité le fils de Claude Sautet… qui a été le facteur déclenchant de sa décision de tout balancer.

Le style d’Alexandre Jardin m’a surpris par sa qualité et son classicisme, installant une petite musique de nostalgie et une distance qui sied au souvenir. Dans cette quête identitaire désespérée où l’auteur hésite entre le rejet de sa filiation ou la récupération d’une famille irrécupérable, il y a pas mal de colère, habilement diluée dans l’humour, mais aussi une fascination non feinte pour ces mercenaires de l’amoralité qui osaient la transgression, cette part de Jardin qu’il revendique malgré tout.

En conclusion, un livre qui ne laisse pas indifférent, drôle parfois, un peu indigeste au final, une tentative rare de sincérité où il faut sans doute davantage lire entre les lignes qu’il n’y paraît. Un livre remarquablement bien rédigé avec du rythme et un sens du scénario, la marque de fabrique des Jardin.

Mais on peut s’inquiéter de savoir si ce n’est pas une sorte de auto-liquidation de l’écrivain Alexandre Jardin, ne s’est-il pas exclu de la partie à présent qu’il a dévoilé le dessous des cartes ? Comme il l’écrit lui-même : « En publiant ce texte, je craignais autant de violer mes proches que de me vider d’un coup de ma substance de romancier ».

4/5

 

 

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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