"Moi, Charlotte Simmons" : Une Education pas très sentimentale

De temps en temps,entre deux critiques de films, un petit avis sur un livre, tant qu’il y aura du papier…

 

 


« Moi, Charlotte Simmons »/Tom Wolfe, parution 2006.

En commençant le livre, on est décontenancé : ce n’était que ça… Tom Wolfe, un des meilleurs écrivains américains vivants, le fondateur du « nouveau journalisme », écrivait « normalement »  avec un style banal assez impersonnel et sans doute assez mal traduit. Mais ce n’est pas du côté du style qu’il faut chercher le talent de Tom Wolfe, on comprend les qualités narratives de l’écrivain quand on se surprend à chercher son livre, à préférer se plonger dans «Moi, Charlotte Simmons» qu’à regarder Loana affronter les serpents dans la dernière émission de téléréalité de TF1, qu’on rechigne à éteindre sa lampe de chevet… Il existerait encore des livres qui racontent une histoire autre que la masturbation narcissique de l’autofiction déprimée érigée en système dans notre exception française…

Tel un Lucien de Rubempré dans «Les Illusions perdues», Charlotte Simmons, débarque d’une bourgade de montagne de Caroline du nord, à la très huppée Dupont university. Dès son arrivée, la jeune fille sage, et sans ressources autres qu’une bourse d’études, est confrontée à la jeunesse dorée américaine qui occupe les prestigieux bâtiments de l’université dont le très chic pavillon de Saint Ray réservé à l’élite.

Tandis que la famille Simmons a roulé toute la nuit pour éviter de payer un hôtel, les parents de la roomate de Charlotte ont accompagné leur fille Beverly en avion privé. Cette longue tige arrogante, un portable vissé à l’oreille, occupe la surface de la chambre des deux étudiantes avec ses malles de vêtements et ses emballages de matériel informatique et HiFi alors que Charlotte Simmons ne possède qu’une valise et un carton de livres.

Roman d’apprentissage d’une jeune fille coincée et brillante que l’université Dupont va révéler à elle-même à l’occasion d’un parcours initiatique semé d’épreuves qui ne sont pas celles des examens. Immergée dans les mœurs dissolues des héritiers des grandes familles américaines qui se défoncent au sexe et aux paradis artificiels avant d’occuper quatre ans plus tard les plus hauts postes de la finance, la jeune fille apprend vite mais non sans blessures et cicatrices.

Jolie, habillée comme un sac et sans le sou, Charlotte Simmons doit ruser pour se faire une place dans cet univers de frime et de marques, allant jusqu’à dépenser une grande partie de sa pension pour s’offrir un jean Diesel comme « tout le monde ». Partagée entre son attirance pour Hoyt, le bad boy, qui représente tout ce qu’elle déteste ou croyait détester et Adam, l’intello, tout ce qu’elle croyait aimer, le prude provinciale ne sortira pas indemne de l’aventure.

L’auteur suit quatre personnages principaux, en alternant les chapitres les concernant : Charlotte, la jeune fille prude et surdouée, Hoyt, le play-boy new-yorkais, Jojo, le sportif balourd, Adam Gellin, l’intellectuel pur. Petit à petit, les destins des principaux protagonistes s’interpénètrent jusqu’à la conclusion, une méthode classique mais foncièrement efficace. TW ne néglige pas pour autant les personnages secondaires qui pullulent dont certains second rôles sont proches des premiers : Berverly, la roomate anorexique et snob, Vance, le fils de milliardaire, alter ego de Hoyt, Camille, la féministe triviale du groupe de réflexion d’Adam, Bettina, la copine commère de Charlotte, Roth, l’entraîneur cynique de Jojo.

Comme pour ses précédents livres, TW a passé des années à se documenter et à observer la vie dans des universités américaines pour brosser l’univers de son roman, ce qui lui a valu d’être considéré comme le chef de file du « nouveau journalisme » où il pose une fiction sur le terrain d’une enquête préalable. Les livres de TW ont souvent été adaptés au cinéma comme «L’Etoffe des héros» ou «Le Bûcher des vanités». Dans «Moi, Charlotte Simmons», il y a matière à en tirer un superbe scénario de film.

Le style général est très académique alors que les dialogues sont décapants, recopiant la façon réelle de parler des étudiants de ces universités : le «fuck patois» est à l’honneur, le traducteur ayant renoncé à traduire ce mot en français (et il aurait eu du mal, compte tenu de ses usages multiples…), ce qui donne une drôle de rendu en lisant mais on s’y habitue… En revanche, les descriptions sexuelles sont extrêmement pudiques (ça nous change un peu de Houellebecq…), contrastant ainsi avec la crudité des dialogues.

C’est un livre très distrayant avec une excellente construction narrative et des personnages captivants, à défaut d’être réellement attachants. Ca se lit comme on regarde un très bon feuilleton : pour l’histoire, les personnages, la description acide d’un microcosme et la critique au scanner de la société américaine.

4/5

 

 

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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