Semaine du cinéma russe : "Le Père" et "L'Etau"
« Le Père », tiré d’une nouvelle de Platonov « Le Retour », écrivain salué par Hemigway, est un film exceptionnellement réussi, un chef d’oeuvre, serait-on tenté de dire dans l’enthousiasme, un monument d’émotion pudique servi par une mise en scène inventive et subtile. Un film qu’on verrait bien à Cannes, et qu’on vient d’ailleurs de projeter au festival de Toronto et à la Semaine du cinéma russe à New York. Le genre de film consensuel avec la qualité du cinéma d’auteur et la lisiblité du film pour un large public, comme on en a vu quelques uns l’année dernière, « La Vie des autres » ou « Good Bye Bafana », par exemple. Personnellement, alors que je me trouve quelquefois dure comme une pierre à voir tant de films l’oeil sec…, j’ai été submergée par l’émotion d’un bout à l’autre du récit, dès les premières images, c’était gagné et le film ne m’a plus lâchée.
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Un homme rentre chez lui. La guerre est finie et il a peur du retour. Peur de ne plus reconnaître sa femme et ses enfants, de ne plus être capable de mener une vie normale. Au moment de quitter ses camarades, une femme soldat élégante lui dit adieu, puis l’étreint furtivement, on comprend que ces deux-là ont vécu une histoire forte à la guerre, une image et on peut tout imaginer. Sur le chemin du retour, il rencontre Macha sur le quai de la gare, la lingère du front, une très jeune fille enceinte d’un soldat reparti on ne sait où. Elle aussi a peur du retour. Macha est si désespérée qu’Alexei lui propose de l’accompagner dans sa famille en se faisant passer pour son fiancé, le père de l’enfant à naître. On donne une fête le soir-même pour leurs fiançailles dans la maison des deux tantes de Macha. Comme dans le train avec Macha, Alexei est tenté de joindre le geste à la parole, oubliant volontiers que l’attendent épouse et enfants, retardant l’échéance du retour. Car ce qui lie cet homme à cette jeune femme, c’est la guerre partagée, l’horreur dont on ne revient pas mentalement, un référentiel commun que ceux qui sont restés en ville ne saisiront pas, l’amie de classe de Macha, par exemple, poupée futile pour qui la guerre est une notion totalement abstraite. Car, étrangement, la guerre, aussi ignoble soit-elle, a été paradoxalement structurante pour ces deux êtres qui ont besoin d’un autre qui partage ses souvenirs inavouables. Macha dira « avant, je n’existais pas ».
Quand Alexei rejoint enfin sa famille, il trouve son fils qui occupe caricaturalement le rôle du père, ado très autoritaire et bougon, et, très vite, il comprend qu’un tonton Seymion, comme l’appelle sa fille de quatre ans, l’a remplacé dans le lit de son épouse Liouba, apportant vivres et sécurité. Alors qu’il rêvait du foyer familial dans les tranchées, il se prend à rêver de Macha et de la guerre, la mise en scène utilisant des images superposées en transparence avec des allers et retour ici et là-bas. La première scène est magnifique, avec une plongée comme en avion fonçant vers le sol sur les tranchées dans la brume, et soudain, les chars, les tirs, les explosions, malmenant un maheureux troupeau de moutons se trouvant sur le passage. A cet instant (celui de la plongée comme un avion), on pense à « Apocalypse now », question d’ambiance, quelque chose dans l’air, mais ensuite, curieusement, le réalisateur, répondant aux questions des spectateurs, dira que parmi ses réalisateurs préférés, il y a Coppola (et Truffaut aussi). Film sur les sentiments et l’investissement amoureux, la femme aimée en fonction des circonstances, du statut qu’on occupe, film sur le pardon et la difficulté d’aimer au quotidien, sur le paradoxe d’une vie plus simple en temps de guerre qu’en temps de paix…
Ce film sera projeté à nouveau deux fois cette semaine : le lundi 11 novembre à 14h et le mardi 13 novembre à 21h30, pour les parisiens, c’est possible!!! et impossible de ne pas l’aimer!!!
« L’Etau » de Valéry Todorovski
Récupéré par Igor, caïd du quartier, qui réclame la drogue que DJ a jetée dans un lavabo, ce dernier est forcé de devenir son dealer pour le rembourser et devient rapidement son bras droit, second défaut du film que cette générosité du truand idéalisé. Car Igor Verner est présenté comme un type, ignoble au demeurant pour infester toute la ville de drogue, hyperprotecteur avec sa soeur et paternant DJ pour qui il s’est pris d’affection. Tout le monde aime DJ, troisième défaut de crédibilité du film, Igor, sa soeur, sa petite amie, le flic qui traque Igor, les deux copains, ça fait beaucoup.
Un film démarrant très fort qui s’enlise à la mi-temps, outres les défauts de crédibilité, tous craquent pour le héros trop beau y compris le truand trop gentil, il y a un problème de proportions entre les scènes tournées de façon classique et les scènes dilatées, colorées, speed du début, une manière créative qu’on retrouve de temps en temps en insert comme on monterait le son (on le monte d’ailleurs…) Apparemment choc au départ, ce film, ce qui est un comble!, est en fait trop lisse, chez les dealers, pas de drogués et surtout pas le héros, les ravages de la drogue sont montrés, un peu… sur un sujet pareil, le réalisateur n’ose pas, stoppe en cours de route. Si tout le film avait été comme son début, voire l’heure de film, il aurait fait fort, là, on reste sur sa faim et pendant tout l’heure suivante… A voir pour le talent du réalisateur qui explose certaines séquences du film.
Voir le programme complet du festival…
infos pratiques :
Cinéma l’Escurial
11, bd du Port-Royal (13°)
Métro Les Gobelins
séances 14h/16h30/19h/21h30
www.kinoglaz.fr
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