Thrillers 2011, part.2 : « Avant d’aller dormir » et « Le Chanteur »

Je dois dire qu’en ce moment, j’ai la main heureuse, je viens de lire trois thrillers* au top dont les deux derniers seraient dans les best-sellers de l’été que je n’en serais pas autrement étonnée. Une femme de 47 ans qui perd la mémoire tous les matins au réveil, persuadée qu’elle a 20 ans, « Avant d’aller dormir », un thriller hypnotique dont le réalisateur Ridley Scott vient d’acheter les droits. Une enquête sur un chanteur punk disparu au faîte de sa gloire, 20 ans plus tôt, dans des conditions étranges, ce qui permet de reconstruire l’épopée punk, l’énergie et la violence de la scène anglaise à l’époque des Sex-Pistols. J’en suis à craindre que, statistiquement parlant, je ne trouve pas aussi fort avant des lustres…

*le troisième est « Meurtres pour rédemption », un chouchou des lecteurs et des critiques paru l’année dernière.
 

  

« Avant d’aller dormir » de S.J. Watson

Un livre qui démarre en sourdine et dont l’intensité dramatique va croître insidieusement avec un air de prendre son temps. Lente montée en puissance de la rééducation d’une amnésique qui tente de collecter des bribes de souvenirs sur un cahier avec l’aide d’un thérapeute, remuant le passé mais alors, soudain, le présent paraît incohérent.
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Après un accident de voiture survenu 20 ans auparavant, Christine se réveille tous les matins en ayant perdu la mémoire de ce qu’elle avait enregistré la veille, 20 ans que ça dure. En se levant, cette femme de 47 ans croit en avoir toujours 20 et ne se reconnaît qu’avec peine dans le miroir de la salle de bains : vieillie, ridée, le corps empâté. Dans son lit, un étranger, son mari, qui lui explique tous les matins qu’elle a perdu la mémoire dans un accident. Tous les traitements ayant échoué à la guérir, Christine tente une ultime démarche avec un neuropsy, Ed Nash, en cachette de son mari, Ben, qui aurait dit au médecin qu’il était opposé à une nouvelle thérapie. Ed Nash encourage Christine à noter ses journées dans un cahier et à le relire tous les matins, pour cela, il l’appelle sur son téléphone portable et lui rappelle où est caché le journal intime, dans une boite au fond de sa penderie. Les souvenirs d’une scène récurrente violente dans un hôtel, du visage d’une meilleure amie dont on lui dit qu’elle est partie vivre au bout du monde, une photo d’elle enceinte alors qu’elle n’a pas d’enfant, petit à petit, les réminiscences du passé remontant à la surface de la mémoire ne collent pas au présent.

On n’était pas loin du thriller hypnotique parfait impossible à refermer avant la dernière page si la fin n’était pas un peu bâclée, pas en harmonie avec l’ensemble, trop speed, cédant au coup de théâtre et aux explications nombreuses. Mais pour un coup d’essai, un premier livre, c’est un coup de maître!

« Le Chanteur » de Cathi Unsworth

Quelle merveille que ce livre où on entendrait presque la musique tant l’auteur, ancien critique musical, est passionné par son sujet, la naissance du punk dans l’Angleterre de Margaret Thatcher, sans jamais lâcher la dimension thriller. Il faut dire que l’ambiance glauque, les textes nihilistes des formations punk et la galère des tournées se prête à tous les excès et puisque « no future » il y a, pourquoi ne supprimer carrément le futur de certains protagonistes du récit?

Deux histoires en parallèle, construction narrative qui a fait ses preuves depuis quelques années. D’un côté, le début des années 2000 et Eddie Bracknell, pigiste paresseux qui, devant la résurgence du punk, va se passionner pour la légende d’un groupe punk dont le chanteur, Vince Smith, ange noir prédateur, a disparu depuis 20 ans. De l’autre côté, la naissance d’un des premiers groupes punk dans la mouvance des Sex-Pistols, de Malcom Mc Laren (leur manager) et la boutique « Sex » sur Kings road qu’il gèrait avec sa compagne Vivienne Westwood. De 1977 à 1981, deux copains d »école, Stevie Mullin, au physique de Gene Hackman dans « French connection », Lynton Powell, un black dans un univers de blancs, passionné de jazz,

Kevin Holme, un camarade plus timide, souffre-douleur, qu’ils recrutent comme batteur. Manque le chanteur, ce sera le fascinant Vincent Smith au regard d’améthyste qui malmène Rachel, une fiancée riche et mutique. Jusqu’au jour où le chanteur du groupe punk « Blood truth » va rencontrer la chanteuse de « Mood violet », la diaphane Sylvana aux cheveux d’or roux. Pour elle, il plaque le groupe ; quand en 2001, Eddie Bracknell retrouve les anciens de « Blood truth » qui ont changé de vie, Stevie, Lynton, Kevin, tous lui en veulent encore, considèrent qu’elle a envoûté Vince et détruit leur vie. Car Sylvana, peu après son mariage avec Vince, est morte d’une overdose et plus personne n’a jamais revu le chanteur qu’on imagine suicidé quelque part.Le livre est passionnant à double titre, on est rapidement captivé par le personnage de Vince, qu’on présente comme une version dark (encore plus dark) de Jim Morrison qui forme avec Sylvana un couple un peu dans le genre Jim et Pamela, d’autant qu’ils habiteront Paris comme eux (c’est Pamela Courson, morte d’une overdose quelques années plus tard, qui aurait trouvé Jim Morrison mort dans sa baignoire à Paris en 1971). La vérité sur Vince et Sylvana obsède le journaliste, lequel des deux à vampirisé l’autre? Chacun de son côté a laissé des cadavres sur sa route, Robin Leith, le premier fiancé de Sylvana, musicien de « Mood violet », ne s’est jamais remis de la rupture, devenu une épave, Donna, la manager du groupe, a été enfermée dans un HP, Lynton Powell est devenu junkie à cause de Vince lors de leur éprouvante dernière tournée, Rachel survit entre deux cures. Qui dit la vérité? Aidé par le photographe australien officiel et ami du groupe « Blood truth » à l’époque, Eddie Bracknell va se laisser posséder par son sujet, à la fois la musique obsédante, la violence des groupes du scène et celles des protagonistes. Ayant perdu Lou, sa petite amie, qui ne croit pas qu’il va enfin se mettre au travail et écrire son livre, Eddie prend le risque de réveiller les morts. Jusqu’aux dernières pages, on ne soupçonne pas l’issue, du moins en grande partie car le récit délivre habilement les informations au compte-goutte que le lecteur assemble presque en même temps que l’enquêteur, l’écrivain coupant la fin de ses chapitres au rasoir comme un plan de cinéma…

 

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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