"Volver" : Les mères plurielles de l'homme de la Mancha

Pedro Almodovar, 2006

 

Le film commence dans un cimetière où les vivantes briquent les dalles des mortes et mettent des fleurs sur les tombes. Le film finit dans l’antichambre de la mort dans le couloir sans issue d’un hôpital. Dans l’intervalle, un passé traumatique, sous la forme du retour de la figure de la mère, revient hanter ses victimes qui bricolaient leur survie le plus loin possible de leurs souvenirs.
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Deux surs, l’une mariée, l’autre pas. Raimonda (Penelope Cruz), pulpeuse pin-up provinciale, qui tire le diable par la queue, flanquée d’un mari chômeur et vicieux et d’une fille introvertie. Soledad, femme plaquée et timorée, qui tient un salon de coiffure à domicile.Depuis longtemps déjà, leurs parents sont morts lors d’un incendie accidentel, mais, pour des raisons obscures, Raimonda fut élevée par sa tante, même du vivant de sa mère. En sortant du cimetière, Raimonda, sa fille, Paula, et sa sur, Soledad, s’en vont visiter leur tante qui a déjà un pied dans la tombe. Agustina, la voisine déprimée, qui fume des joints sous le portrait de sa propre mère disparue, la première hippie du village, s’occupe de tatie.

La première reproduction du passé survient dans la vie de Raimonda par l’entremise de l’homme qu’elle a épousé pour y échapper, qu’elle retrouve mort dans leur appartement et dont il lui faudra cacher le cadavre… Le retour (volver) de la mère, qu’on soupçonne d’être un fantôme, achèvera de ramener les deux surs en enfance.

Traitée comme une tragi-comédie italienne, cette histoire dramatique où l’omniprésence de la mort le dispute au sordide du quotidien, échappe de justesse au pathos qui exsude de toutes les situations. On sent à chaque plan, l’admiration du réalisateur pour ces femmes du sud courageuses et énergiques, aguerries par l’habitude du malheur.

Dès l’apparition de Penelope Cruz sur l’écran, on comprend qu’on a affaire à une Sofia Loren ou une Gina Lollobrigida, une certaine langueur en moins, elle est magnifique ! Moulée dans des petits cardigans en laine sur des décolletés mortels, portant chignon, créoles et médaille de baptême entre ses seins généreux, à petits pas rapides entravés par des jupes droites trop étroites et des talons hauts, la Cruz irradie. Totalement aseptisée à Hollywood, l’actrice semble avoir été recolorée par son mentor madrilène, le jeu au bord des larmes, débordant d’émotion, de sensualité, et de nuances qu’on ne lui connaissait pas. Almodovar lui avait d’ailleurs demandé de prendre trois kilos et de porter un faux-cul pour incarner (au sens étymologique du mot) le rôle.

Almodovar est devenu le cinéaste de la cruauté du quotidien, des excentricités de ses débuts, il a conservé la facétie et les couleurs qu’il ne peut s’empêcher d’assortir : la blouse et la voiture rouge, l’oreiller et le gilet mauve, etc… Avec un incomparable sens du détail, le réalisateur filme les objets comme les personnages, les plans d’objets se suffisant à eux-mêmes pour la narration, une tendance qui a fait école aujourd’hui et qu’Almodovar décline tout le long du film, au point que ça en devient un peu lassant Par exemple, pour mettre en scène un repas, on fait un gros plan sur les tomates, le plan suivant sur un saladier et le troisième sur une table et des convives ; pour signifier l’alcoolisme du mari, un gros plan des canettes de bière dans la poubelle, etc De la même façon, les petites phrases des personnages suffisent à brosser leur psychologie et leur état d’esprit. Il y a néanmoins des scènes franchement drôles dans le film du côté des clientes du salon de coiffure de Soledad et des voisines de Raimonda dont la prostituée au grand cur, la copine gourmande.

En filigrane, le constat plus que la critique de la société méditerranéenne, les femmes en deuil grouillant comme des insectes noirs dans la chambre de la tante défunte, la préséance écrasante du matriarcat, la présence de l’homme vécue comme une intrusion, une agression incontournable, les personnages masculins étant traités par leur absence ou comme la cause du malheur, «une femme séparée, c’est avec sa mère qu’elle est le mieux!», dit la mère prodigue

Tout sur les mères plurielles d’Almodovar, ces femmes qui «portent la culotte» de maris adultères ou démissionnaires. De ces petits soldats du quotidien, qui refusent leur statut de victimes, Almodovar n’en finit plus de brosser les mérites avec Penelope Cruz, sa mère idéale, aussi féminine que courageuse et Anna Magnani en toile de fond sur une télévision. La scène où PC se prépare à une fête modeste dans un restaurant de banlieue en se maquillant face à son miroir en lingerie noire plongeant sur une peau mate et satinée va sans doute faire regretter à beaucoup d’hommes de ne pas être derrière la caméra d’Almodovar sur ce plan Comme dit la copine prostituée «avec ton décolleté et mes mojitas, on ferait fortune!».

Almodovar a dit lui-même à Cannes que «Volver» est son film le plus personnel "il me ramène aux origines dans ma région de la Mancha" qu’il avait déjà mises en scène dans «Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça?» (1984) avec Carmen Maura également. Il ajoute que sa mère est présente dans presque tous les plans du film, ce dont on ne doute pas… Penelope Cruz constate alors «dans les trois films que j’ai fait avec Pedro, j’étais mère». La référence avouée de Pedro Almodovar pour ce film est «Le Roman de Mildred Pierce» (1945) de Michaël Curtiz avec Joan Crawford.

Le fond du film est aussi dur que la forme se veut légère, c’est bien le talent du cinéaste pour faire passer l’amertume de la pilule, bien que quelques supportables longueurs inexpliquées alourdissent le récit. Un film qu’on apprécie sûrement d’autant mieux qu’on a de bonnes relations avec sa propre mère

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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