
« Anna M » : Adèle H version thèse universitaire
Anna M, c’est «Adèle H»* de nos jours avec des rapports mère-fille qui rappellent ceux de «La Pianiste»* en vaguement plus cool et une héroïne entre Deneuve de «Répulsion»* et Marilyn dans «Troublez-moi ce soir»*. En deux mots, si ça na pas, loin s’en faut, le génie des films précités, cest lourd, triste et plombé depuis la première scène où, le chien attaché à un réverbère, Anna se jette sous une voiture, et le chien aboie en vain…
Plus tard, Anna, après avoir été opérée par le Docteur Z, prend ce quil lui dit pendant la consultation au pied de la lettre, va-t-on se revoir, il répond oui, bien sûr, elle comprend qu’il a envie de la voir, persuadée dêtre aimée du chirurgien. Le basculement dans lobsession pour le Docteur Z est immédiat, beaucoup trop rapide, et on na pas le temps de voir lévolution. Très vite, Anna le harcèle, le suit, lui fait des cadeaux, lui téléphone sans cesse, lappelle par son prénom et parle son épouse en disant "cette femme". Quand Z accepte un rendez-vous avec Anna pour essayer de la calmer, elle en déduit quil est venu parce quil avait envie de la voir, quil aurait pu la virer par téléphone, or, il ne la pas fait, il sest déplacé pour elle et, par dessus le marché, il paye les consommations, Anna n’y voit que des signes damour partagé.
Le film est découpé en séquences correspondant aux trois phases de la pathologie quest lérotomanie où le malade simagine être aimé jusquau délire : lespoir, le dépit, la haine, auxquelles le réalisateur rajoute encore dautres divisions pour scinder son films en parties, ce qui donne un côté démonstratif universitaire, primo, deuxio, tertio, plus tard, à la ligne, etc
Sur le fond de lhistoire, bien que les rapports d’Anna avec sa mère, visiblement au moins aussi névropathe quelle, soient montrés, on ninsiste pas assez sur ces relations mortifères et leurs conséquences en termes de dégâts : les robes de petite fille dAnna quand elle est chez elle, sa crainte que sa mère rechute ou aille mal, cet appartement sinistre, la vie de famille dAnna consiste en ce tête à tête avec une mère dépressive qui ne sort jamais.
Le film est sauvé par son actrice dont le visage et les expressions, les regards, disent lessentiel : à regarder Anna M, à la filmer pour le réalisateur, le spectateur comprend ses tourments intérieurs, ses angoisses, sa révolte, sa violence, ce qui implique une empathie avec le personnage quon ne condamne pas. Au fond, on a tous quelque chose dAnna M en petit modèle, comme Flaubert disait « Madame Bovary, cest moi », à la différence que le processus dobnubilation est arrivé chez Anna à un stade pathologique avec une perte permanente de la notion de réalité. Le réalisateur dit dans une interview quAnna se comporte comme une enfant, ce quon voit bien dans la séquence où Anna se fait engager comme baby-sitter chez le voisin du dessus du Docteur Z pour lespionner, gardant ses deux petite filles, Anna se comporte comme si elle avait leur âge.
Le réalisateur essaye de créer à mi-film une ambiance fantastique mais le parti pris de scruter son personnage comme un sujet danalyse, lempêche dêtre crédible dans ce registre, trop fasciné quil est par laspect médical et psychiatrique des choses. Ce «Anna M» nous apporte une belle performance dactrice au top pouvant décliner tous les sentiments sur son visage dange, on est pas étonné de la prestation venant dIsabelle Carré, la meilleure comédienne française et de loin. Là où le film réussit, cest quon est mal à laise, peiné, compatissant, pour ce personnage de malade, de victime, observé impudiquement à la loupe par un réalisateur qui confond pas mal cinéma et thèse sur lérotomanie, c’est un film triste.
*"Adèle H" de François Truffaut avec Isabelle Adjani
*"La Pianiste" de Michael Haneke avec Isabelle Huppert
*"Répulsion" de Roman Polanski avec Catherine Deneuve
*"Troublez-moi"ce soir de Roy Baker (1952) avec Marilyn Monroe
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