
« L’Assureur-vie »/Avant-Première/Festival du cinéma allemand
La première scène de ce film est superbe et donne le ton du film : le vent et la pluie à verse sur une route la nuit, le plan du visage dun homme dans sa voiture conduisant péniblement, les gouttes de pluie grossissant comme de la grêle sur les parois de la voiture, le hurlement assourdi de la tempête en fond sonore, gros plan sur la vitre piquetée de pluie, agrandissement jusquà un tableau abstrait sinscrivant intégralement sur lécran, plusieurs fois de suite Lhomme sort de sa voiture en courant pour se précipiter dans lhôtel, la scène est filmée de la banquette de la voiture derrière le pare-brise
Burkhard Wagner vend des assurances sur la vie, le problème, cest que la sienne est en train de se noyer dans un océan de solitude nuit et jour sur les routes pendant que sa femme ne lui répond pas au téléphone : scènes récurrentes de W dans une cabine téléphonique parlant à un répondeur, ce quon soupçonne à cause des monologues qui semblent ne jamais avoir de retour
Cest une des caractéristiques du cinéma allemand nouveau que ce génie du détail quotidien filmé mine de rien qui vaut toutes les explications : un mot, un silence, un regard, le plan dune alliance à lannulaire ou dune boite de somnifères sur une table, un cheveu blanc quon retire devant le miroir dun lavabo, cest léger, sans chichis, ça fait plus vrai que nature.
Lassureur est un harceleur qui poursuit ses victimes pour leur coller un contrat dassurance-vie : comme cette restauratrice quil traque dans ses cuisines, se rend-elle compte quelle pourrait devenir une handicapée sans assurance… Ou ce pauvre monsieur pipi quil piste dans les toilettes au sous-sol, que fera-t-il quand la coupelle de pourboires sera vide Souvent mis à la porte, au mieux, lassureur amuse et quelquefois convainc. Comme on limagine, cest pathétique et drôle, tout le long du film, le subtil équilibre entre le drame et lhumour est au millimètre (cette théorie de Truffaut quun film doit être triste et gai à parts égales), cest même un tour de force davoir évité le pathos avec un sujet qui aurait pu virer très facilement au mélo. Frappant à la porte dune caravane sous le prétexte de demander de leau, W vend deux contrats à un couple de babas fusionnels, lhomme allume deux cigarettes et en donne une à sa femme, plus tard, quand W rencontrera enfin son alter ego, il allumera lui aussi deux cigarettes (une heure et demi plus tard dans le film)
W se change sur le bord de la route, le nez dans le coffre de sa voiture qui fait fonction de penderie, il fait un brin de toilette dans des sanitaires publics, seul à entretenir la conversation au téléphone de sa cabine avec lhôtesse daccueil du centre de dépannage automobile. Dans les cafés des autoroutes, il y a dautres gens seuls comme W qui errent de façon organisée tel ce représentant en contrefaçons désolé du faux Zippo que lui a offert sa fiancée, Rachid, un beur qui préfère lAllemagne parce quil y est considéré comme un français… Un soir, W remarque une jeune femme qui, comme on bat les cartes, compte le nombre de prospectus qui lui reste en faisant claquer les feuilles de papier contre son oreille, le même geste quil fait tous les jours avec ses contrats dassurance Ce sera le début dune histoire damour
Filmé essentiellement la nuit avec un talent incontestable (quand on voit les plans de nuit tout gris sale de certains films ), des lumières en contre-jour et une tendance à dilater les images et leur grain à en devenir un tableau abstrait (sans abuser du procédé, par petite touches) Ce film est également une petite merveille de sensibilité et dhumour, démotion toujours tempérée par la dérision, magnifiquement interprété par un acteur allemand que je ne connaissais pas mais qui a quelquefois des regards fulgurants et hallucinés à la Anthony Perkins, excusez du peu Pour poursuivre dans les ressemblances, ce film a quelque chose à voir avec lambiance de «Feux rouges» de Cédric Kahn avec JP Darroussin, cet homme au volant sur la route la nuit, cette façon de filmer entre émotion et dépression, simplicité et raffinement, qui suscite lempathie immédiate du spectateur.
Prions pour que ce film admirable soit distribué en France, quon se rende compte de ce quon peut faire en 28 jours dont 70% de nuits avec de faibles moyens, le réalisateur présent après la projection a confié quavant dêtre cinéaste, il fut représentant de commerce Tous les chemins mènent à Rome surtout ceux qui ny conduisent pas, ça leur enseigne sans doute un peu dhumilité A conseiller très vivement.
réalisateur : Bülent Akinci
casting : Jens Harzer, Marina Galic, Anna Maria Mühe
"Der Lebenversicherer" ("L’Assureur-vie") : Ce film a déjà été présenté à de nombreux festivals dont celui de Rio de Janeiro récemment. Il a obtenu à Berlin le prix du dialogue et à Moscou le prix du meilleur acteur.
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